— 90 —
moissons contre des oiseaux pillards, nous
préférons sa Barque du Nil, dont la voile
arrondie par le souffle du vent, détache sa
silhouette gracieuse sur l'or d'un ciel embrasé
par le soleil. M. Théodore Frère s'égare à
plaisir dans le désert, dans les ruines, dans
les rues tortueuses des villes égyptiennes ;
aucun mystère de la vie orientale ne lui est
inconnu, et ses tableaux sont comme pé-
nétrés de la vive et chaude lumière de la
haute-Egypte. La Prière du soir dans le désert,
par M. Guillaumet, est rendue avec une so-
lennité poétique qui prouve, en même temps
qu'une certaine habileté de pinceau, l'intelli-
gence des grandes scènes de la vie orientale.
M. Huguet colore ses sujets égyptiens ou
algériens de tons vifs et chauds qui nous pro-
mettent un coloriste. Enfin les Oiseaux pé-
cheurs de M. de Tournemine égaient de leurs
joyeux essaims roses le fond blanchâtre des
maisons de la basse-Egypte; nous ne chica-
nerons pas trop M. de Tournemine sur la
singularité de ces volatiles dignes de figurer
à un jardin d'acclimatation. Les pâles mai-
sons orientales sont peintes avec finesse et
encadrées de palmiers qui colorent de leur
feuillage accentué, les tons un peu monotones
de ces paysages.
Louons quelques bonnes intentions dans
les intérieurs de ville ou de maison de M.
Brest; le dessin toutefois est un peu mou,
la couleur froide. Si de l'Asie mineure, nous
nous transportons d'un vol rapide dans la Ca-
lifornie, nous verrons un cavalier, poursuivi
par une tribu de sauvages, fuir à bride abat-
tue sur un terrain couvert d'ossements et se
retourner pour choisir un but à ses coups dans
le groupe de ceux qui le poursuivent. C'est
le facteur du pays. Cette scène, dramatique
par elle-même, est convenablement rendue
par M. Saintin; le soleil qui se couche, prête
encore une triste poésie à ce duel inégal.
L'Algérie est le rendez-vous du plus grand
nombre de nos voyageurs. C'est en Algérie
que M. Bellel a pris cette Route de Mèdèah à
Boghar, à laquelle nous préférons les fusains
magnifiques d'aspect que nous avons vus de
cet artiste. Dans son Marché à Biskra, M.
Degand, en montrant de la vigueur et en don-
nant à son tableau une certaine coloration
foncée, nous rappelle les puissants effets de
la peinture de Decamps. M. Fromentin ne
procède que de lui-même; où trouverez-vous
autre part ces fonds largement indiqués au
couteau, ces contours lins et délicats quoique
à peine tracés, cette couleur chaude et ce-
pendant ménagée avec parcimonie, de manière
à couvrir à peine la toile. Plus le talent, ta-
lent essentiellement poétique et rêveur, de
M. Fromentin nous est sympathique, plus
nous avons regret de le voir s'engager dans
une voie fatale où l'artiste finit, en sacrifiant
tout à la rapidité de l'exécution, par n'être
plus que l'ombre de lui-même. Ces réserves
établies, réserves qu'il faut faire aussi bien
si l'on considère M. Fromentin comme écri-
vain que si on l'envisage comme peintre, nous
admirerons à loisir la verve et l'énergie de
ce Fauconnier arabe galopant sur un cheval
lancé à fond de train. Si nous n'aimons pas
les teintes ardoise des chevaux placés dans le
Bivouac arabe au lever du jour, nous n'avons
que des éloges pour cette scène animée, bien
composée, embellie des couleurs les plus gaies
et les plus brillantes qui s'appelle La curée
après la chasse au faucon. Ici les qualités de
M. Fromentin, la distinction, la noblesse,
reparaissent dans la pose des cavaliers et dans
cet élégant cheval blanc qui occupe le centre
du tableau; on peut s'approcher sans crain-
dre de ne voir dans ces tons fondus qui de
loin font un si bon effet, qu'un placage de
couleurs confuses étalées avec le couteau.
M. Hauguet dans Le cortège d'une mariée
arabe, se distingue par la recherche de la
couleur; mais jamais des femmes, même ara-
bes, n'ont eu les yeux aussi démésurément
écarquillés que veut nous le faire croire notre
artiste. M. Lauret réussit mieux à peindre
la nature inanimée, les vastes lignes du ver-
sant de l'Atlas ou les rochers chaudement
éclairés sur le bord delà mer Algérienne,
que les troupeaux qui peuplent ces régions,
les bœufs qui vivent sur cette terre desséchée.
M. Magy a rendu avec talent l'aridité et la
désolation des montagnes roses. Ses Kabyles
moissonneurs, posés avec une certaine nobles-
se, ne sont pas toujours d'un dessin très serré.
M. Montalant au contraire rend minutieuse-
ment les moindres détails de cette riche vé-
gétation; nous voudrions un peu plus de lar-
geur dans l'Oasis de Biskra. Nous retrouvons
dans M. Washington la verve, l'éclat, le
brio qui peuvent donner l'idée des fêtes bril-
lantes de l'Algérie; cette fantasia dessinée
avec fougue, rehaussée d'un chaud coloris,
semble un sabbat de démons, tant cette foule
confuse s'agite, se démène, s'embrouille,
sans qu'on aperçoive ni le sol, ni le ciel. La
Tribu nomade en voyage, conserve les mêmes
qualités de vigueur et de lumière avec plus
de calme et de sagesse dans la composition.
La Danse russe de M. Chérémeteff est froide
et sans intérêt. Les scènes des mœurs russes
de M. Patrois, possèdent un charme que leur
donne plutôt le sentiment poétique des figu-
res que l'habileté de l'artiste. Nous nous
plaindrons surtout de retrouver toujours les
mêmes têtes dans tous les tableaux de M.
Patrois ; en admettant que les Russes présen-
tent un type caractéristique, nous ne saurions
croire qu'ils aient tous le même nez, la même
bouche, les mêmes yeux.
Enfin, terminons par Le défilé du Caucase,
dont M. Lagorio a bien saisi la grandeur;
par les bonnes études rapportées de Perse
par M. J. J. Laurens; enfin par les excellen-
tes scènes d'Orient que M. Pasini expose
cette année. M. Pasini a pris possession de
la Perse ; ses cavaliers persans ramenant des
prisonniers, perdus dans l'immensité d'un
désert crayeux, sont d'un effet saisissant. Nous
aimons beaucoup la largeur avec laquelle
M. Pasini a représenté le mont Sina'i; on
comprend que cette chaîne de hautes et im-
posantes montagnes ait été donnée pour thé-
âtre par la foi antique, à une des scènes les
plus grandioses que la terre ait jamais vues.
Les peintres de marine sont peu nombreux,
mais ce qui prouve encore mieux la dégéné-
rescence de ce genre, c'est la décadence ra-
pide de certains artistes, justement fameux
naguère, et dont on regrette de voir figurer à
l'exposition des œuvres tout à fait indignes
de leur nom , de leur réputation et du respect
qu'ils doivent au public et à eux-mêmes. C'est
avec une profonde tristesse que nous voyons
la chute de M. Gudin dont les succès de M.
Morel-Fatio et surtout de M. Durand-Brager
ne nous consolent qu'à demi. M. Morel-Fatio
excelle surtout à rendre l'aspect calme de la
mer, quand les vents se taisent, quand le
ciel est pur, quand le soleil inonde de lu-
mière la surface de l'eau. Dans les Chasseurs
de phoques, un soleil éclatant se lève au milieu
des brouillards gris du Nord, les premiers
plans sont nets et fins de ton, l'horizon se
perd dans les vapeurs de la matinée. Nous
aimons moins l'effet trop blanc de la mer sur
laquelle se balance, élégant et léger, le yacht
impérial, La reine Hortense; enfin le Gros
temps nous offre une opposition de lumière
et de teintes sombres, des nuages lourds,
une mer noire et épaisse, tous les signes
avant-coureurs de la tempête fidèlement ren-
dus.
M. Durand-Brager est un marin éniérite,
il connaît en détail tous les agrès d'un navire,
il sait tous les termes du métier, il en fait
même un peu parade dans le titre de ses
tableaux; mais on lui pardonne cette inno-
cente ostentation en présence du mérite réel
de ses marines. M. Durand Brager brise avec
une vérité frappante les lames houleuses
contre le flanc d'un navire; l'onde brisée
rejaillit en poussière lumineuse. L'eau écu-
mante et agitée semble l'élément préféré de
M. Durand-Brager qui d'ailleurs n'a jamais
été mieux inspiré que cette année.
M. Aiguier se plaît sous le ciel chaud de
Toulon ; il aime cette mer aux reflets bleuâ-
tres qu'il anime de quelques pêcheurs traî-
nant leurs filets; nous nous plaindrons seu-
lement du dessin mou de quelques arbres
moissons contre des oiseaux pillards, nous
préférons sa Barque du Nil, dont la voile
arrondie par le souffle du vent, détache sa
silhouette gracieuse sur l'or d'un ciel embrasé
par le soleil. M. Théodore Frère s'égare à
plaisir dans le désert, dans les ruines, dans
les rues tortueuses des villes égyptiennes ;
aucun mystère de la vie orientale ne lui est
inconnu, et ses tableaux sont comme pé-
nétrés de la vive et chaude lumière de la
haute-Egypte. La Prière du soir dans le désert,
par M. Guillaumet, est rendue avec une so-
lennité poétique qui prouve, en même temps
qu'une certaine habileté de pinceau, l'intelli-
gence des grandes scènes de la vie orientale.
M. Huguet colore ses sujets égyptiens ou
algériens de tons vifs et chauds qui nous pro-
mettent un coloriste. Enfin les Oiseaux pé-
cheurs de M. de Tournemine égaient de leurs
joyeux essaims roses le fond blanchâtre des
maisons de la basse-Egypte; nous ne chica-
nerons pas trop M. de Tournemine sur la
singularité de ces volatiles dignes de figurer
à un jardin d'acclimatation. Les pâles mai-
sons orientales sont peintes avec finesse et
encadrées de palmiers qui colorent de leur
feuillage accentué, les tons un peu monotones
de ces paysages.
Louons quelques bonnes intentions dans
les intérieurs de ville ou de maison de M.
Brest; le dessin toutefois est un peu mou,
la couleur froide. Si de l'Asie mineure, nous
nous transportons d'un vol rapide dans la Ca-
lifornie, nous verrons un cavalier, poursuivi
par une tribu de sauvages, fuir à bride abat-
tue sur un terrain couvert d'ossements et se
retourner pour choisir un but à ses coups dans
le groupe de ceux qui le poursuivent. C'est
le facteur du pays. Cette scène, dramatique
par elle-même, est convenablement rendue
par M. Saintin; le soleil qui se couche, prête
encore une triste poésie à ce duel inégal.
L'Algérie est le rendez-vous du plus grand
nombre de nos voyageurs. C'est en Algérie
que M. Bellel a pris cette Route de Mèdèah à
Boghar, à laquelle nous préférons les fusains
magnifiques d'aspect que nous avons vus de
cet artiste. Dans son Marché à Biskra, M.
Degand, en montrant de la vigueur et en don-
nant à son tableau une certaine coloration
foncée, nous rappelle les puissants effets de
la peinture de Decamps. M. Fromentin ne
procède que de lui-même; où trouverez-vous
autre part ces fonds largement indiqués au
couteau, ces contours lins et délicats quoique
à peine tracés, cette couleur chaude et ce-
pendant ménagée avec parcimonie, de manière
à couvrir à peine la toile. Plus le talent, ta-
lent essentiellement poétique et rêveur, de
M. Fromentin nous est sympathique, plus
nous avons regret de le voir s'engager dans
une voie fatale où l'artiste finit, en sacrifiant
tout à la rapidité de l'exécution, par n'être
plus que l'ombre de lui-même. Ces réserves
établies, réserves qu'il faut faire aussi bien
si l'on considère M. Fromentin comme écri-
vain que si on l'envisage comme peintre, nous
admirerons à loisir la verve et l'énergie de
ce Fauconnier arabe galopant sur un cheval
lancé à fond de train. Si nous n'aimons pas
les teintes ardoise des chevaux placés dans le
Bivouac arabe au lever du jour, nous n'avons
que des éloges pour cette scène animée, bien
composée, embellie des couleurs les plus gaies
et les plus brillantes qui s'appelle La curée
après la chasse au faucon. Ici les qualités de
M. Fromentin, la distinction, la noblesse,
reparaissent dans la pose des cavaliers et dans
cet élégant cheval blanc qui occupe le centre
du tableau; on peut s'approcher sans crain-
dre de ne voir dans ces tons fondus qui de
loin font un si bon effet, qu'un placage de
couleurs confuses étalées avec le couteau.
M. Hauguet dans Le cortège d'une mariée
arabe, se distingue par la recherche de la
couleur; mais jamais des femmes, même ara-
bes, n'ont eu les yeux aussi démésurément
écarquillés que veut nous le faire croire notre
artiste. M. Lauret réussit mieux à peindre
la nature inanimée, les vastes lignes du ver-
sant de l'Atlas ou les rochers chaudement
éclairés sur le bord delà mer Algérienne,
que les troupeaux qui peuplent ces régions,
les bœufs qui vivent sur cette terre desséchée.
M. Magy a rendu avec talent l'aridité et la
désolation des montagnes roses. Ses Kabyles
moissonneurs, posés avec une certaine nobles-
se, ne sont pas toujours d'un dessin très serré.
M. Montalant au contraire rend minutieuse-
ment les moindres détails de cette riche vé-
gétation; nous voudrions un peu plus de lar-
geur dans l'Oasis de Biskra. Nous retrouvons
dans M. Washington la verve, l'éclat, le
brio qui peuvent donner l'idée des fêtes bril-
lantes de l'Algérie; cette fantasia dessinée
avec fougue, rehaussée d'un chaud coloris,
semble un sabbat de démons, tant cette foule
confuse s'agite, se démène, s'embrouille,
sans qu'on aperçoive ni le sol, ni le ciel. La
Tribu nomade en voyage, conserve les mêmes
qualités de vigueur et de lumière avec plus
de calme et de sagesse dans la composition.
La Danse russe de M. Chérémeteff est froide
et sans intérêt. Les scènes des mœurs russes
de M. Patrois, possèdent un charme que leur
donne plutôt le sentiment poétique des figu-
res que l'habileté de l'artiste. Nous nous
plaindrons surtout de retrouver toujours les
mêmes têtes dans tous les tableaux de M.
Patrois ; en admettant que les Russes présen-
tent un type caractéristique, nous ne saurions
croire qu'ils aient tous le même nez, la même
bouche, les mêmes yeux.
Enfin, terminons par Le défilé du Caucase,
dont M. Lagorio a bien saisi la grandeur;
par les bonnes études rapportées de Perse
par M. J. J. Laurens; enfin par les excellen-
tes scènes d'Orient que M. Pasini expose
cette année. M. Pasini a pris possession de
la Perse ; ses cavaliers persans ramenant des
prisonniers, perdus dans l'immensité d'un
désert crayeux, sont d'un effet saisissant. Nous
aimons beaucoup la largeur avec laquelle
M. Pasini a représenté le mont Sina'i; on
comprend que cette chaîne de hautes et im-
posantes montagnes ait été donnée pour thé-
âtre par la foi antique, à une des scènes les
plus grandioses que la terre ait jamais vues.
Les peintres de marine sont peu nombreux,
mais ce qui prouve encore mieux la dégéné-
rescence de ce genre, c'est la décadence ra-
pide de certains artistes, justement fameux
naguère, et dont on regrette de voir figurer à
l'exposition des œuvres tout à fait indignes
de leur nom , de leur réputation et du respect
qu'ils doivent au public et à eux-mêmes. C'est
avec une profonde tristesse que nous voyons
la chute de M. Gudin dont les succès de M.
Morel-Fatio et surtout de M. Durand-Brager
ne nous consolent qu'à demi. M. Morel-Fatio
excelle surtout à rendre l'aspect calme de la
mer, quand les vents se taisent, quand le
ciel est pur, quand le soleil inonde de lu-
mière la surface de l'eau. Dans les Chasseurs
de phoques, un soleil éclatant se lève au milieu
des brouillards gris du Nord, les premiers
plans sont nets et fins de ton, l'horizon se
perd dans les vapeurs de la matinée. Nous
aimons moins l'effet trop blanc de la mer sur
laquelle se balance, élégant et léger, le yacht
impérial, La reine Hortense; enfin le Gros
temps nous offre une opposition de lumière
et de teintes sombres, des nuages lourds,
une mer noire et épaisse, tous les signes
avant-coureurs de la tempête fidèlement ren-
dus.
M. Durand-Brager est un marin éniérite,
il connaît en détail tous les agrès d'un navire,
il sait tous les termes du métier, il en fait
même un peu parade dans le titre de ses
tableaux; mais on lui pardonne cette inno-
cente ostentation en présence du mérite réel
de ses marines. M. Durand Brager brise avec
une vérité frappante les lames houleuses
contre le flanc d'un navire; l'onde brisée
rejaillit en poussière lumineuse. L'eau écu-
mante et agitée semble l'élément préféré de
M. Durand-Brager qui d'ailleurs n'a jamais
été mieux inspiré que cette année.
M. Aiguier se plaît sous le ciel chaud de
Toulon ; il aime cette mer aux reflets bleuâ-
tres qu'il anime de quelques pêcheurs traî-
nant leurs filets; nous nous plaindrons seu-
lement du dessin mou de quelques arbres