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Mais, dites-vous, vous perdez, vous aussi,
le sentiment des proportions, vous voulez lut-
ter sans colonies et sans débouchés avec des
nations huit fois grandes comme nous.

Ma foi, oui, j'en conviens, en regardant
ces colosses je ne me sens pas pénétré de cette
crainte qui vous domine, et je trouve dans
notre histoire de très bonnes raisons pour ne
pas l'éprouver comme vous. J'y trouve, en
effet, des moments où nous luttions avec
avantage, dans l'application des arts à l'indus-
trie, avec des nations autrement puissantes, et
comme force créatrice, et comme production,
et comme débouchés, que ne le sont aujour-
d'hui la France ou l'Angleterre. Nous avions
alors devant nous l'Italie dans toute la splen-
deur d'une activité artistique supérieure en
qualité, prodigieuse en nombre. Nous avions
alors deaant nous ces républiques fameuses
dont une seule, Venise, armait jusqu'à trois
mille bâtiments, entretenait des comptoirs
sur le littoral de toutes les mers, et qui avait
pour débouchés, le monde. Cela nous empê-
chait-il, nous, petite nation d'avoir nos spé-
cialités comme fabricats, de les voir préfé-
rer sur les marchés étrangers, et, sans plus
de marine que nous n'en avons à présent,
sans plus de colonies que nous n'en possé-
dons de nos jours, d'atteindre à un degré de
prospérité et de richesse dont les historiens
étrangers, visitant alors notre pays, nous ont
tracé le merveilleux tableau.

Et de nos jours, Monsieur, où les barriè-
res tendent à disparaître et où les moyens de
communication et d'échange se multiplient
dans des proportions étonnantes, le marché
du monde n'appartient-il pas à celui qui fait
le mieux ou à celui qui fabrique au meilleur
marché? N'avons-nous pas, chez nous-mêmes,
des industriels qui soutiennent très honora-
blement la concurrence avec les industries
des nations voisines? Dans la production
d'art, par exemple, que deviendraient nos
artistes si la production était bornée à la
consommation intérieure? La question est
donc de faire mieux que les autres dans de
certains genres et alors les débouchés ne
manquent jamais.

Comme vous le voyez, Monsieur, dans
cette question, nous aurons, je le crains bien,
de la peine à nous rencontrer. Nous nous
plaçons dos à dos : vous regrettez ce qui a
été, moi je regarde ce qui peut, ce qui doit
être. Vous concluez de la disparition des cor-
porations, des gildes, des jurandes, des ab-
bayes, des couvents, à la disparition, sans
retour, des arts appliqués à l'industrie. Moi
je conclus delà diffusion des richesses, de
l'accroissement du bien-être et de sa meil-
leure distribution, à des besoins de luxe nou-
veaux et plus nombreux, partant, à une re-

naissance artistique. Vous craignez la fié-
vreuse ardeur de notre génération vers le pro-
grès; moi, je crois que cette passion qui
nous pousse vers le mieux est un des plus
beaux apanages de notre société moderne,
qu'elle en est le ressort plein de force et de
vigueur et que c'est par son moyen que nous
atteindrons ce grand inconnu vers lequel, que
nous le voulions ou non, nous nous sentons
tous irrésistiblement attirés.

Agréez, je vous prie, Monsieur le Directeur,
l'assurance de ma parfaite considération.

22 Octobre 1863.

Joseph Gérard.

Nous avons relu attentivement l'article de
M. Gérard et les réflexions dont nous l'avons
accompagné. Nous n'avons point découvert
que nous ayons été inexact; la lettre qu'on
vient de lire n'infirme en rien notre manière
de voir. Si notre correspondant pense que
nous avons exagéré l'expression de cette ma-
nière de voir, nous regrettons sincèrement
d'avoir donné lieu à cette interprétation.

La lettre de M. Gérard renferme quelques
points que nous ne pouvons laisser passer
sous silence.

Memlinc, Van Eyck et Rubens n'ont rien
à voir dans tout ceci. Nous avons parlé Art
Industriel; que viennent donc faire, sous la
plume de notre honorable correspondant, les
noms de ces illustres maîtres à propos de la
question qui nous occupe? Veut-il faire allu-
sion aux miniatures ornementées des deux
premiers et aux décors du troisième? Il sait
fort bien que ce n'est point sous ce rapport
que ces maîtres brillent exclusivement dans
le ciel de l'art flamand, et que leur part d'in-
vention, dans cette partie, est relativement
bien faible. A son tour, M. Gérard nous a
prêté.... dirons-nous une sottise, pour parler
comme lui? Non, car c'est là un mot échappé
à la chaleur de ses convictions et nous sommes
certain qu'il y a là distraction.de sa part.

Nous n'avons pas écrit une histoire de la
peinture flamande, mais nous croyons en
savoir assez pour éprouver un vif saisisse-
ment envoyant M. Gérard avancer, avec sang-
froid, que Van Dyck est le fondateur de l'école
anglaise! Certes, on ne dira pas que voilà un
lieu commun, mais nous devons répéter ici,
avec plus de force que la première fois, que
pour nous, l'art industriel dont nous nous
occupons, n'a rien à démêler avec notre
immortelle école de peinture.

Quant à l'esprit d'invention qui caractérise
la France, oui, M. Gérard, nous en avons
peur et nous en avons le droit. Peut-être
feriez-vous plus de cas de cet esprit d'inven-
tion qu'il ne faut pas dénigrer sans preuves,

si vous vouliez vous rappeler les noms et sur-
tout les chefs-d'œuvre de grâce, d'esprit, de
dessinetde splendeurque, depuistrois siècles,
la France jette dans la circulation européenne.
Laissez-moi vous montrer, seulement en pas-
sant, un petit noyau de cette magnifique pha-
lange d'artistes industriels : Le Pautre, Gué-
rard, Bérain, Meissonnier, Marot, LeBarbier,
Germain, Picart, Ducerceau, Delafosse, Ran-
son, Toro, Forty, Gillot, Fragonard, Man-
sart, Blondel, Salembier, Bouchardon, et cent
autres que ma mémoire ne me rappelle pas en
ce moment. Et nous, qu'avons-nous à oppo-
ser à cela? Nous avons eu de grandes illus-
trations dans les arts proprement dits, ils
ont fait école, le monde entier le reconnaît.
A notre tour, reconnaissons franchement, et
sans qu'on puisse nous reprocher, à nous,
de manquer de patriotisme, notre infériorité
sous le rapport de l'art industriel; reconnais-
sons aussi que, dans les temps modernes, le
génie de la nation ne s'y est pas porté. Quand
la Belgique a eu à s'occuper d'art industriel,
on retrouve toujours, en cherchant bien, une
influence étrangère inspirant l'entreprise et
l'exploitant à son profit. L'histoire de notre
industrie, dans les archives locales, prouve
à l'évidence ce fait qui offre un profond en-
seignement. Et maintenant encore, en est-il
autrement?

Oui, M. Gérard, nous avons peur de la
France ; qu'elle refasse depuis trois siècles les
idées grecques, italiennes et flamandes, avouez
qu'en ce qui concerne les idées grecques et
italiennes, elle les refait bien et que ce serait
vanité à nous que de vouloir faire mieux.
N'envions rien à personne et rendons à César
ce qui est à César. Quant à notre école de
peinture, soyons fiers et heureux du lot ma-
gnifique que Dieu lui a donné, mais, encore
une fois, ne mêlons pas cette question à celle
de l'art industriel. Notre prudente modestie ne
nous empêche pas de demander avec vous des
améliorations à l'enseignement industriel,
nous les avons même demandées depuis très
longtemps, mais il ne faut point se lasser
de le répéter, on veut trop à la fois.

Dans l'art industriel, la France possède ce
don qu'elle apporte à tout ce qu'elle fait : l'es-
prit, l'imprévu; l'Allemagne, le sentiment et
la poésie; l'Angleterre, le précision et l'uti-
lité.

Jusqu'à présent, la caractère spécial à l'art
industriel belge nous échappe. M. Gérard
peut-il nous dire quel il est?

M. Gérard dit qu'il trouve dans notre his-
toire de très bonnes raisons pour ne pas
partager nos craintes. Ses raisons, il oublie
de le dire, s'appuient sur une époque où
Louvain comptait 200,000 habitants; Ypres,
100,000, Audenarde et nos autres villes en
 
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