ENFANTS DANSANT
(Académie de Venise.)
CHAPITRE V
Retour de Raphaël à Urbin en 1004. — La Cour de Guidobaldo. — Balthazar Castiglione
et le « Cortegiano ». — Le Saint Michel et le Saint Georges du Louvre.
O on long séjour dans l’Ombrie n’avait pas fait oublier à Raphaël sa ville
natale, son cher Urbin. A peine eut-il rempli les engagements contractés
à Pérouse et à Città di Castello, qu’il résolut d’aller revoir les siens,
son oncle Simon, toujours si affectueux pour lui, et cette famille des Monte-
feltro pour laquelle son père avait été un ami bien plus qu’un sujet. Ce voyage
eut lieu en 1004, peut-être au retour de Sienne. Le petit duché avait traversé
dans l’intervalle les épreuves les plus cruelles; mais c’étaient de ces épreuves
qui élèvent, bien loin de déprimer. L’ambition d’Alexandre VI et de son fils
avait bouleversé l’Italie. Une première fois chassé de ses Etats, Guidobaldo
était revenu en triomphe, aux acclamations d’une foule immense; bientôt il lui
fallut songer de nouveau à combattre un adversaire aussi cruel que rusé et
audacieux. Cela se passait au mois de novembre 1002. L’enthousiasme de la
population était arrivé à son paroxysme. Quel moment admirable que celui où
les dames d’Urbin se présentèrent devant leur prince et jetèrent à ses pieds
bagues, bracelets, colliers, perles et diamants, le suppliant d’accepter ces offrandes
pour le salut de la patrie ! Mais que pouvaient quelques milliers de citoyens
contre les bandes féroces conduites par un homme dans lequel le génie du mal
semblait s’être incarné? Guidobaldo était plus vaillant qu’heureux, plus instruit
qu’habile : qualités bien insuffisantes pour tenir tête à un César Borgia. Le
jeune duc ne tarda pas à se convaincre que toute résistance était inutile, et
qu’il verserait sans profit aucun le sang de ses sujets. Il aima mieux se sacrifier
que d’attirer sur’ son pays des calamités sans nom. Cependant, avant de partir
de nouveau pour l’exil, il prit une résolution à la fois sage et généreuse : il
donna l’ordre de raser les principales fortifications du duché. « A quoi servent
ces remparts? s’écria-t-il. Si je conserve mes Etats, je n’ai pas besoin de bastions