Il suffira d'indiquer ici quelques textes qui montrent que la loi était chantée chez
les deux peuples classiques grecs et romains. Constatons d'abord que chez eux, à l'ori-
gine, loi et religion ne faisaient qu'un, et que la constitution de Solon, comme les lois
royales de Rome et même la loi des XII Tables, clans tout ce qui nous reste d'elles,
mélangeaient dans une sorte de rituel commun ce qui avait rapport à la propriété ou
aux successions avec ce qui regardait les sacrifices ou le culte des morts. Il semble
bien, d'après un passage d'Elien (Hist. Var., II, 39), que ces vieilles lois étaient
rythmées et, d'après un autre d'Aristote (Probl., XIX, 28), qu'avant de les écrire on
les avait chantées; c'est pour ce motif qu'en Grèce on les appelait v<5(jl°' et en latin
carmina. Il ne faut pas nous imaginer ici un chant à la moderne avec ses cadences
multiples, mais une mélopée monotone, bâtie sur quelques notes toujours les mêmes,
se répétant autant de fois qu'il en était besoin, et analogue à celle sur laquelle les aèdes
modernes du Caire récitent les exploits des Mogahidîn, Bibars, Antar, Abou-Zéîd,
Zou '1-Himméh. Ainsi présentés au public, ces graves récitatifs religieux ou légaux
étaient choses invariables dont on n'aurait pu altérer le texte ou le rythme sans en
compromettre lourdement ou même sans en détruire l'efficacité : il fallait donc que la
justesse de la voix se combinât avec l'intégrité de la lettre pour que la formule légale,
comme la formule religieuse, liât la partie qui la prononçait et celle qui la recevait.
Non moins que M. Gardiner, je pense qTi'à l'époque historique l'idée clu religieux,
ainsi que celle clu légal, se rattachait â la légende du plaidoyer d'Osiris devant le
tribunal d'Héliopolis. Les juges avaient reconnu qu'Osiris, non seulement, avait été la
victime de Set, mais qu'il avait prouvé son dire selon les termes de la loi prononcés
exactement avec la voix juste; il avait eu raison dans la forme comme clans le fond et
avait été proclamé fï^, c'est-à-dire juste de voix. Tout mort, identifié à Osiris, pas-
sait en jugement à l'exemple du dieu. La scène qui avait eu lieu naguère, au début
des temps, dans la ville sainte se reproduisait pour chaque mort à l'arrivée clans le
royaume d'Osiris : il était introduit devant son cortège d'assesseurs, sa vie entière
était passée en revue et son cœur pesé devant le tribunal, puis, le jugement rendu
pour ou contre lui, Thot le lui signifiait. Avant le prononcé de la sentence, il était
par la religion et par la magie, afin de débiter correctement les formules dont il avait
besoin pour parcourir sans encombre le chemin qui menait de son tombeau terrestre
au paradis du dieu. La sentence rendue et notifiée solennellement, il était proclamé
juridiquement à l'égal du dieu : c'est ainsi que le sens légal du mot conduisit
les Égyptiens au sens funéraire qui prévalut par la suite. En terminant, je rappellerai
une fois de plus que toutes les significations qu'on connaît à l'expression dérivent na-
turellement de cette première valeur mi-religieuse mi-légale. Par exemple, un roi est
, et c'est à bon droit qu'on traduit victorieux, triomphant contre
ses ennemis, mais c'est par assimilation du rôle guerrier du roi au rôle judiciaire et
magique du dieu que la locution juste de voix prend alors la force de vainqueur,
prédominant. Et il en est de même pour tous ses autres emplois : elle n'est plus qu'une
métaphore du genre de celles qu'on trouve dans toutes les langues.
les deux peuples classiques grecs et romains. Constatons d'abord que chez eux, à l'ori-
gine, loi et religion ne faisaient qu'un, et que la constitution de Solon, comme les lois
royales de Rome et même la loi des XII Tables, clans tout ce qui nous reste d'elles,
mélangeaient dans une sorte de rituel commun ce qui avait rapport à la propriété ou
aux successions avec ce qui regardait les sacrifices ou le culte des morts. Il semble
bien, d'après un passage d'Elien (Hist. Var., II, 39), que ces vieilles lois étaient
rythmées et, d'après un autre d'Aristote (Probl., XIX, 28), qu'avant de les écrire on
les avait chantées; c'est pour ce motif qu'en Grèce on les appelait v<5(jl°' et en latin
carmina. Il ne faut pas nous imaginer ici un chant à la moderne avec ses cadences
multiples, mais une mélopée monotone, bâtie sur quelques notes toujours les mêmes,
se répétant autant de fois qu'il en était besoin, et analogue à celle sur laquelle les aèdes
modernes du Caire récitent les exploits des Mogahidîn, Bibars, Antar, Abou-Zéîd,
Zou '1-Himméh. Ainsi présentés au public, ces graves récitatifs religieux ou légaux
étaient choses invariables dont on n'aurait pu altérer le texte ou le rythme sans en
compromettre lourdement ou même sans en détruire l'efficacité : il fallait donc que la
justesse de la voix se combinât avec l'intégrité de la lettre pour que la formule légale,
comme la formule religieuse, liât la partie qui la prononçait et celle qui la recevait.
Non moins que M. Gardiner, je pense qTi'à l'époque historique l'idée clu religieux,
ainsi que celle clu légal, se rattachait â la légende du plaidoyer d'Osiris devant le
tribunal d'Héliopolis. Les juges avaient reconnu qu'Osiris, non seulement, avait été la
victime de Set, mais qu'il avait prouvé son dire selon les termes de la loi prononcés
exactement avec la voix juste; il avait eu raison dans la forme comme clans le fond et
avait été proclamé fï^, c'est-à-dire juste de voix. Tout mort, identifié à Osiris, pas-
sait en jugement à l'exemple du dieu. La scène qui avait eu lieu naguère, au début
des temps, dans la ville sainte se reproduisait pour chaque mort à l'arrivée clans le
royaume d'Osiris : il était introduit devant son cortège d'assesseurs, sa vie entière
était passée en revue et son cœur pesé devant le tribunal, puis, le jugement rendu
pour ou contre lui, Thot le lui signifiait. Avant le prononcé de la sentence, il était
par la religion et par la magie, afin de débiter correctement les formules dont il avait
besoin pour parcourir sans encombre le chemin qui menait de son tombeau terrestre
au paradis du dieu. La sentence rendue et notifiée solennellement, il était proclamé
juridiquement à l'égal du dieu : c'est ainsi que le sens légal du mot conduisit
les Égyptiens au sens funéraire qui prévalut par la suite. En terminant, je rappellerai
une fois de plus que toutes les significations qu'on connaît à l'expression dérivent na-
turellement de cette première valeur mi-religieuse mi-légale. Par exemple, un roi est
, et c'est à bon droit qu'on traduit victorieux, triomphant contre
ses ennemis, mais c'est par assimilation du rôle guerrier du roi au rôle judiciaire et
magique du dieu que la locution juste de voix prend alors la force de vainqueur,
prédominant. Et il en est de même pour tous ses autres emplois : elle n'est plus qu'une
métaphore du genre de celles qu'on trouve dans toutes les langues.