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CHRONIQUE DES ARTS
appartient au ministre des Beaux-arts de
porter à la connaissance du Corps légis-
latif. En les développant avec netteté et
fermeté, il nous paraît impossible que
nos députés ne se rendent pas à l’évi-
dence. Convaincus, ils consentiront,
comme les membres du parlement anglais
et des chambres allemandes, à voter les
fonds nécessaires pour donner une grande
extension à l’enseignement du dessin, à
la vulgarisation du goût; et de ce jour
la France ne possédera plus seulement
un ministère des Beaux-arts n’intéres-
sant que des classes privilégiées, mais
un ministère des A rts intimement lié à la
population tout entière et à la prospérité
du pays.
Émile Galichon.
L’ART EN PROVINCE,
STRASBOURG, COLMAR, MULHOUSE.
Le dernier numéro de la Revue de M „ de
Lutzow 1 contient une correspondance
d’Alsace, qui donne un tableau assez fidèle
du sort des arts dans cette province. Vou-
lant à notre tour montrer à nos lecteurs ce
qui se passe dans cette région intéressante
de la France, nous ne saurions mieux faire
que de résumer l’article de la revue alle-
mande, sauf à en compléter certaines par-
ties et à y ajouter quelques détails nou-
veaux.
L’auteur de la correspondance commence
par établir une distinction fondamentale
entre le département du Bas-Rhin et celui
du Haut-Rhin. 11 prouve que l’apathie ar-
tistique du premier tient à la toute-puis-
sance du militarisme à Strasbourg, au culte
des choses officielles, et à d’autres causes
analogues (on sait que tous les candidats du
gouvernement ont triomphé dans ce dépar-
tement). Les arts y reçoivent peu d’encou-
ragements pécuniaires, et moins de sympa-
thie encore. L’administration leur témoigne
une certaine hostilité ; l’initiative privée
reste les bras croisés.
La Société des Amis des Arts de Stras-
bourg, dont la Gazette et la Chronique ont
déjà plusieurs fois entretenu leurs lecteurs,
se trouve réduite à une subvention totale
de 600 francs. Le département y contribue
pour 300 francs. Et lorsque, l’an dernier, la
société a demandé à ses représentants, au
Conseil général, une augmentation de 200 fr.
c pour toucher du moins autant que la
Société de Tir du Bas-Rhin », elle a éprouvé
un refus grossier. Réduite à ses propres
ressources, ou à peu de chose près, elle ne
peut pas exercer une influence efficace, et
se voit forcée de renoncer à toute rivalité
avec Lyon, Marseille, Bordeaux, toutes
grandes villes de la France.
En 1869, elle a acheté pour 5,800 francs
d’objets d’art; les achats des particuliers se
sont élevés à 5,010 francs, soit au total
10,810 francs d’acquisitions faites à l’expo-
sition annuelle (du 23 mai au 14 juin,
181 n0S).En 1868, le montant des acquisi-
tions était de 18,335 francs (particuliers ,
10,635; société, 7,700) -. La Société des
Amis des Arts de Strasbourg n’est pas en-
core parvenue à s’entendre avec les sociétés
de Metz et de Nancy, et cette alliance, qui
serait si nécessaire se fera peut-être encore
attendre longtemps.
Deux autres sociétés qui touchent égale-
ment à l’art, quoique de moins près, ont
été plus maltraitées encore par l’administra-
tion et par le Conseil général. Je veux parler
de la Société littéraire de Strasbourg et de la
Société pour ta conservation des monuments
historiques. A l’ouverture de la session de
1. Zeitschrift f. bild. Kuvst. 5e année 3e livraison,
Leipzig. Seemann,
2. V. Chronique des Arts du 27 décembre '1868.
1869 du Conseil général du Bas-Rhin, le
préfet a proposé de leur retirer la subven-
tion de 1,000 francs que recevait chacune
d’elles. Les motifs par lesquels il a justifié
cette mesure méritent d’être signalés : « Il
m’a semblé qu’elles (ces subventions) étaient
au nombre des dépenses dont vous désirez
dégrever le budget du département. Ces
sociétés ne sont plus à leur naissance, elles
ont donné des preuves de leur vitalité, et
doivent pouvoir se passer aujourd’hui du
concours du département. »
Que vous semble de ces considérants? et
que serait-ce s’ils passaient dans la jurispru-
dence ? Conserver les souvenirs du passé,
entretenir des monuments précieux pour
l’histoire de l’art, encourager le goût des
belles créations littéraires, fadaises que tout
cela, dépenses inutiles ! Il faut que les so-
ciétés artistiques, littéraires, scientifiques,
sachent à l’avenir qu’elles sont des dépenses
de luxe ; il faut qu’elles se mettent à spécu-
ler, qu’elles cherchent à réaliser des béné-
fices et à procurer à leurs actionnaires de
gros dividendes. Article premier du règle-
ment : N’être à la charge de personne, et
surtout pas des départements qui ont des
placements plus avantageux pour leurs re-
venus, par exemple, les sociétés de Tir; —
article deuxième : ne s’occuper des mo-
numents historiques, de la littérature, des
beaux-arts, en second lieu seulement, après
qu’elles auront fait preuve de vitalité, c’est-
à-dire quand elles n’auront plus d’argent et
que cela ne coûtera rien.
Théorie admirable du préfet du Bas-
Rhin que nous recommandons à ceux de ses
collègues qui veulent faire du zèle pour les
budgets départementaux! Mais suivons-le
sur son terrain. Proclamons que toute sub-
vention doit avoir pour corollaire un résul-
tat matériel, appréciable en chiffres, une
utilité pratique immédiate, plus réelle et
plus solide que les jouissances du beau.
Notre temps a compris ces exigences à cer-
tains égards, et par cette découverte gran-
diose de l’enseignement des arts industriels
il leur a donné satisfaction ; il a su allier les
aspirations artistiques les plus nobles à des
avantages pécuniaires très-brillants. C’est ainsi
que l’Angleterre a réussi à augmenter son ex-
portation de quelques centaines de millions.
L’Allemagne l’a suivie dans cette voie ; ses
plus obscures provinces ont fait des sacri-
fices considérables qui sont sur le point
d’être compensés au triple et au quadruple.
Maintes villes de la France ont compris la
concurrence qui les menaçait et se sont
mises sur la défensive. Le Bas-Rhin, ce dé-
partement si riche et si actif, dans une posi-
tion si favorable, n’a encore rien fait, et les
intérêts matériels sont aussi méconnus que
les intérêts intellectuels.
Les collections sont fort belles, mais on
n’a pas pensé jusqu’ici à les utiliser pour la
réforme du goût. La collection d’antiquités
de la Bibliothèque est peu accessible au
public, et n’a pas encore exercé une in-
fluence sensible sur les producteurs. Celle
de la maison de Notre-Dame est dans le
même cas. Les estampes faisant partie du
musée, 4,000 numéros je crois, se trouvent
je ne sais où. L’École municipale de dessin
végète, elle ne compte que 60 à 80 élèves,
chiffre minime pour une ville de 80,000 ha-
bitants. Bref, je ne trouve nulle part ni
action ni ensemble; la prospérité de l’indus-
trie est mise au même rang que le déve-
loppement intellectuel, et le mot progrès
est odieux dans toutes ses acceptions.
Nous serions injustes en n’approuvant pas
la transformation que le musée de sculp-
ture et de peinture a subie récemment.
Installé dans un local assez bien éclairé de
la place d’Armes, il est maintenant abor-
dable à tous. Il a son gardien, son catalogue.
N’en demandons pas plus pour le moment,
et espérons que l’avenir finira par éveiller
le patriotisme artistique des Strasbourgeois
et l’égalera à celui de Colmar. Ils verront
alors quelle différence il y a entre l’exécu-
tion consciencieuse d’une corvée désagréable1
et le vrai dévouement.
Le Haut-Rhin est le centre d’un mouve-
ment artistique assez considérable. Il en-
courage les artistes vivants, et il n’oublie
pas les vieux maîtres. Les constructions mo-
numentales ont abondé dans les dernières
années, et les particuliers, tout en se pas-
sant d’une société des amis des arts, font
des acquisitions nombreuses. Le musée de
Mulhouse, pour ne citer qu’un exemple,
doit son existence à l’initiative privée.
La Chronique du 20 décembre 1868 a
longuement parlé du musée de Colmar. Nous
nous contenterons de dire ici qu’il continue
à poursuivre la voie qu’il a si bien inaugu-
rée, et qu’il prospère autant qu’on peut le
souhaiter. Dans l’année qui vient de s’écou-
ler, il s’est augmenté d’une immense salle
destinée aux marbres et aux plâtres. Les
gravures et objets autres que peintures
ont été éloignés de la nef de l’église qui
forme la galerie principale, et placés dans
des salles appropriées. La distribution et
l’éclairage des tableaux ne laisse plus rien à
désirer. Bref, au bout de peu d’années, ce
musée s’est conquis une des premières
places parmi les musées de province.
L’an dernier, il a reçu du gouvernement
la Fontaine en Bretagne deM. Bernier (Splon
de 1869). Cette nouvelle œuvre de cet ar-
tiste distingué figure dignement à côté de
son aînée, le Sentier dans les genêts, qui a
été donné à sa ville natale il y a deux ans.
Les embellissements de la ville méritent
une mention à part. Ils consistent en une
cour d’assises qui n’a que le tort de trop
ressembler à un temple des muses, et en dif-
férents autres monuments. Dans une niche
pratiquée dans un des angles du marché
couvert, on a placé récemment le Vigneron
alsacien de M. Bartholdi (Salon de 1969). C’est
une nouvelle libéralité de notre éminent
sculpteur qui a déjà doté Colmar de la Fon-
taine de Martin Schœn, du monument de
l’amiral Bruat, etc. On restaure enfin l’église
Saint-Martin, et à cette occasion on ferait
bien d’organiser une place plus convenable
à la Vierge au buisson de roses.
A Mulhouse, la tyrannie du coton est en-
core aux prises avec l’indépendance artis-
tique naissante. La plupart des grands in-
dustriels professent un goût fort vif pour
certains arts, plusieurs d’entre eux exposent
régulièrement à chaque Salon. La fondation
du musée de peinture (1864), est une preuve
de la faveur dont les arts commencent à jouir
dans cette ville. 11 renferme surtout des
toiles alsaciennes contemporaines. On y re-
marque aussi quelques jolis morceaux de
J. Didier, d’Appian, de Curzon, etc.
L’école de dessin fondée par la Société
industrielle fonctionne régulièrement. La
construction d’une foule d’éditices superbes,
publics ou privés, parmi lesquels on re-
marque surtout la cathédrale protestante
(elle a coûté 2,200,000 francs), a imprimé à
l’architecture un mouvement important.
Nous trouvons donc partout, dans la belle
province dont nous venons de nous occuper,
des éléments d’art sérieux, mais isolés,
qu’il faudrait réunir et féconder : à Stras-
bourg, des artistes distingués, les sculpteurs
Friedrich, Grass, Dock, les peintres Haffner,
Th. Schuler, etc., une Société des Amis des
arts ; à Colmar, un musée unique ; à Mul-
house, beaucoup d’argent et beaucoup de
bonne volonté. Ne pourrait-on pas unir ces
efforts variés pour la plus grande prospé-
rité de l’art! La solution d’un problème
pareil est aujourd’hui si facile, et cette solu-
tion, tant de contrées l’ont adoptée! Elle
s’appelle enseignement des arts du dessin.
Nous dirons prochainement comment on
pourrait l’appliquer à l’Alsace.
Z.
1. Au budget de 1869 figure une somme de 10,000 f.
pour le musée. Mais je crois que les frais d’installa-
tion y sont compris.
CORRESPONDANCE DE LONDRES.
16 janvier 1870.
Le lord Willoughby de Eresby, grand
chambellan héréditaire d’Angleterre, a fait
vendre dernièrement, chez Christie, la su-
perbe collection d’argenterie qu’il avait réu-
nie à Grimsthorpe Castle. L’art national
était représenté là depuis Élisabeth jusqu’à
Georges IV, par une série de pièces remar-
quables, parmi lesquelles nous citerons :
Une boîte d’argent avec couvercle en
forme de coquille, les pieds figurés par
des colimaçons. Date 1570. 300 £.
12 onces 1/4.
Une paire de tasses avec ornements en
repoussé. Date 1566. 5 onces 1/2, £ 14.10.
Une belle coupe avec ornements gravés
et pied ciselé. Date 1529. 5 onces 1/2.
£ 19.12.
Une salière ciselée à jour. Date 1606.
37 onces. £ 103.
Un « tankard » avec ornements de feuil-
lage. Date 1678. 27 guinées.
Deux gobelets avec ornements de fleurs
et fruits, datés 1682-1684. £ 78.10.
Cinq paires de flambeaux donnés par
Catherine de Bragance à un couvent d’Ham-
mersmith. £ 200.
Une bouilloire à thé datée 1748 et signée
Paul Lamerie £ 37.
Une tasse à deux anses avec couvercle du
même artiste et datée-17 40. £ 115.10.
Une paire d’étriers à ornements de feuil-
lage ciselés et datés 1625. Ils ont appartenu
au maréchal de Vitry.
Une bouilloire à thé avec têtes dans des
médaillons et des guirlandes de ruban gra-
vés par Hogarth, et le plateau orné de
masques, médaillons et guirlandes ciselés
datée 1722 et provenant de la collection de
lord Tentersden. £ 366.15.
Les choses se passent un peu à la fran-
çaise dans l’Inde. Sur l’initiave de M. Fer-
guson, il avait été décidé qu’on ferait un
plan archéologique de l’Inde, et 1,000 livres
avaient été votées au budget de l’an dernier
pour commencer le travail. On a choisi pour
cela un maître de dessin, qui est parti à la
tête d’une expédition, et qui s’est arrêté à la
première pagode en ruine qu’il a rencon-
trée dans les jungles. Il a pris des moulages
des sculptures, soixante-seize en tout; puis,
n’ayant plus de fonds, ayant même dépassé
son crédit de 271 livres, il est revenu sans
rapporter un seul plan ou croquis, et laissant
ses moules pourrir au milieu des herbes.
Pendant ce temps l’artiste touchait toujours
à Bombay les émoluments de la place, sans
même avoir eu la précaution de laisser un
remplaçant.
Le ministère de l’Inde veillera un peu
mieux à l’avenir, sans doute, à la manière
dont les fonds votés pour missions scienti-
fiques ou artistes sont appliqués.
L’université de Cambridge a procédé à
l’élection du titulaire de la chaire de beaux-
arts fondée par M. Slade, et cette fois le
choix sera approuvé de tous. C’est l’émi-
nent architecte Sir Digby Wyatt qui a été
nommé.
Le musée de South Kensington, jaloux du
boudoir de la Duthé, si heureusement sauvé
par M. Double, a eu la bonne fortune d’ac-
quérir dernièrement celui que Marie-An-
toinette avait offert à la marquise de Sérilly.
Il a été immédiatement installé dans une
salle et formera le commencement d’une
série de décorations, d’intérieurs des divers
temps, soit en reproductions., soit en ori-
ginaux.
Oxford, dont les collections d’objets d’arts
si riches étaient difficilement accessibles,
vient de les rendre publiques certains jours
à des heures déterminées. De plus, Mes-
sieurs W. Smith et R. Fisher ont presque
terminé l’arrangement et la description de
la collection d’estampes laissée par le major
Douce,
CHRONIQUE DES ARTS
appartient au ministre des Beaux-arts de
porter à la connaissance du Corps légis-
latif. En les développant avec netteté et
fermeté, il nous paraît impossible que
nos députés ne se rendent pas à l’évi-
dence. Convaincus, ils consentiront,
comme les membres du parlement anglais
et des chambres allemandes, à voter les
fonds nécessaires pour donner une grande
extension à l’enseignement du dessin, à
la vulgarisation du goût; et de ce jour
la France ne possédera plus seulement
un ministère des Beaux-arts n’intéres-
sant que des classes privilégiées, mais
un ministère des A rts intimement lié à la
population tout entière et à la prospérité
du pays.
Émile Galichon.
L’ART EN PROVINCE,
STRASBOURG, COLMAR, MULHOUSE.
Le dernier numéro de la Revue de M „ de
Lutzow 1 contient une correspondance
d’Alsace, qui donne un tableau assez fidèle
du sort des arts dans cette province. Vou-
lant à notre tour montrer à nos lecteurs ce
qui se passe dans cette région intéressante
de la France, nous ne saurions mieux faire
que de résumer l’article de la revue alle-
mande, sauf à en compléter certaines par-
ties et à y ajouter quelques détails nou-
veaux.
L’auteur de la correspondance commence
par établir une distinction fondamentale
entre le département du Bas-Rhin et celui
du Haut-Rhin. 11 prouve que l’apathie ar-
tistique du premier tient à la toute-puis-
sance du militarisme à Strasbourg, au culte
des choses officielles, et à d’autres causes
analogues (on sait que tous les candidats du
gouvernement ont triomphé dans ce dépar-
tement). Les arts y reçoivent peu d’encou-
ragements pécuniaires, et moins de sympa-
thie encore. L’administration leur témoigne
une certaine hostilité ; l’initiative privée
reste les bras croisés.
La Société des Amis des Arts de Stras-
bourg, dont la Gazette et la Chronique ont
déjà plusieurs fois entretenu leurs lecteurs,
se trouve réduite à une subvention totale
de 600 francs. Le département y contribue
pour 300 francs. Et lorsque, l’an dernier, la
société a demandé à ses représentants, au
Conseil général, une augmentation de 200 fr.
c pour toucher du moins autant que la
Société de Tir du Bas-Rhin », elle a éprouvé
un refus grossier. Réduite à ses propres
ressources, ou à peu de chose près, elle ne
peut pas exercer une influence efficace, et
se voit forcée de renoncer à toute rivalité
avec Lyon, Marseille, Bordeaux, toutes
grandes villes de la France.
En 1869, elle a acheté pour 5,800 francs
d’objets d’art; les achats des particuliers se
sont élevés à 5,010 francs, soit au total
10,810 francs d’acquisitions faites à l’expo-
sition annuelle (du 23 mai au 14 juin,
181 n0S).En 1868, le montant des acquisi-
tions était de 18,335 francs (particuliers ,
10,635; société, 7,700) -. La Société des
Amis des Arts de Strasbourg n’est pas en-
core parvenue à s’entendre avec les sociétés
de Metz et de Nancy, et cette alliance, qui
serait si nécessaire se fera peut-être encore
attendre longtemps.
Deux autres sociétés qui touchent égale-
ment à l’art, quoique de moins près, ont
été plus maltraitées encore par l’administra-
tion et par le Conseil général. Je veux parler
de la Société littéraire de Strasbourg et de la
Société pour ta conservation des monuments
historiques. A l’ouverture de la session de
1. Zeitschrift f. bild. Kuvst. 5e année 3e livraison,
Leipzig. Seemann,
2. V. Chronique des Arts du 27 décembre '1868.
1869 du Conseil général du Bas-Rhin, le
préfet a proposé de leur retirer la subven-
tion de 1,000 francs que recevait chacune
d’elles. Les motifs par lesquels il a justifié
cette mesure méritent d’être signalés : « Il
m’a semblé qu’elles (ces subventions) étaient
au nombre des dépenses dont vous désirez
dégrever le budget du département. Ces
sociétés ne sont plus à leur naissance, elles
ont donné des preuves de leur vitalité, et
doivent pouvoir se passer aujourd’hui du
concours du département. »
Que vous semble de ces considérants? et
que serait-ce s’ils passaient dans la jurispru-
dence ? Conserver les souvenirs du passé,
entretenir des monuments précieux pour
l’histoire de l’art, encourager le goût des
belles créations littéraires, fadaises que tout
cela, dépenses inutiles ! Il faut que les so-
ciétés artistiques, littéraires, scientifiques,
sachent à l’avenir qu’elles sont des dépenses
de luxe ; il faut qu’elles se mettent à spécu-
ler, qu’elles cherchent à réaliser des béné-
fices et à procurer à leurs actionnaires de
gros dividendes. Article premier du règle-
ment : N’être à la charge de personne, et
surtout pas des départements qui ont des
placements plus avantageux pour leurs re-
venus, par exemple, les sociétés de Tir; —
article deuxième : ne s’occuper des mo-
numents historiques, de la littérature, des
beaux-arts, en second lieu seulement, après
qu’elles auront fait preuve de vitalité, c’est-
à-dire quand elles n’auront plus d’argent et
que cela ne coûtera rien.
Théorie admirable du préfet du Bas-
Rhin que nous recommandons à ceux de ses
collègues qui veulent faire du zèle pour les
budgets départementaux! Mais suivons-le
sur son terrain. Proclamons que toute sub-
vention doit avoir pour corollaire un résul-
tat matériel, appréciable en chiffres, une
utilité pratique immédiate, plus réelle et
plus solide que les jouissances du beau.
Notre temps a compris ces exigences à cer-
tains égards, et par cette découverte gran-
diose de l’enseignement des arts industriels
il leur a donné satisfaction ; il a su allier les
aspirations artistiques les plus nobles à des
avantages pécuniaires très-brillants. C’est ainsi
que l’Angleterre a réussi à augmenter son ex-
portation de quelques centaines de millions.
L’Allemagne l’a suivie dans cette voie ; ses
plus obscures provinces ont fait des sacri-
fices considérables qui sont sur le point
d’être compensés au triple et au quadruple.
Maintes villes de la France ont compris la
concurrence qui les menaçait et se sont
mises sur la défensive. Le Bas-Rhin, ce dé-
partement si riche et si actif, dans une posi-
tion si favorable, n’a encore rien fait, et les
intérêts matériels sont aussi méconnus que
les intérêts intellectuels.
Les collections sont fort belles, mais on
n’a pas pensé jusqu’ici à les utiliser pour la
réforme du goût. La collection d’antiquités
de la Bibliothèque est peu accessible au
public, et n’a pas encore exercé une in-
fluence sensible sur les producteurs. Celle
de la maison de Notre-Dame est dans le
même cas. Les estampes faisant partie du
musée, 4,000 numéros je crois, se trouvent
je ne sais où. L’École municipale de dessin
végète, elle ne compte que 60 à 80 élèves,
chiffre minime pour une ville de 80,000 ha-
bitants. Bref, je ne trouve nulle part ni
action ni ensemble; la prospérité de l’indus-
trie est mise au même rang que le déve-
loppement intellectuel, et le mot progrès
est odieux dans toutes ses acceptions.
Nous serions injustes en n’approuvant pas
la transformation que le musée de sculp-
ture et de peinture a subie récemment.
Installé dans un local assez bien éclairé de
la place d’Armes, il est maintenant abor-
dable à tous. Il a son gardien, son catalogue.
N’en demandons pas plus pour le moment,
et espérons que l’avenir finira par éveiller
le patriotisme artistique des Strasbourgeois
et l’égalera à celui de Colmar. Ils verront
alors quelle différence il y a entre l’exécu-
tion consciencieuse d’une corvée désagréable1
et le vrai dévouement.
Le Haut-Rhin est le centre d’un mouve-
ment artistique assez considérable. Il en-
courage les artistes vivants, et il n’oublie
pas les vieux maîtres. Les constructions mo-
numentales ont abondé dans les dernières
années, et les particuliers, tout en se pas-
sant d’une société des amis des arts, font
des acquisitions nombreuses. Le musée de
Mulhouse, pour ne citer qu’un exemple,
doit son existence à l’initiative privée.
La Chronique du 20 décembre 1868 a
longuement parlé du musée de Colmar. Nous
nous contenterons de dire ici qu’il continue
à poursuivre la voie qu’il a si bien inaugu-
rée, et qu’il prospère autant qu’on peut le
souhaiter. Dans l’année qui vient de s’écou-
ler, il s’est augmenté d’une immense salle
destinée aux marbres et aux plâtres. Les
gravures et objets autres que peintures
ont été éloignés de la nef de l’église qui
forme la galerie principale, et placés dans
des salles appropriées. La distribution et
l’éclairage des tableaux ne laisse plus rien à
désirer. Bref, au bout de peu d’années, ce
musée s’est conquis une des premières
places parmi les musées de province.
L’an dernier, il a reçu du gouvernement
la Fontaine en Bretagne deM. Bernier (Splon
de 1869). Cette nouvelle œuvre de cet ar-
tiste distingué figure dignement à côté de
son aînée, le Sentier dans les genêts, qui a
été donné à sa ville natale il y a deux ans.
Les embellissements de la ville méritent
une mention à part. Ils consistent en une
cour d’assises qui n’a que le tort de trop
ressembler à un temple des muses, et en dif-
férents autres monuments. Dans une niche
pratiquée dans un des angles du marché
couvert, on a placé récemment le Vigneron
alsacien de M. Bartholdi (Salon de 1969). C’est
une nouvelle libéralité de notre éminent
sculpteur qui a déjà doté Colmar de la Fon-
taine de Martin Schœn, du monument de
l’amiral Bruat, etc. On restaure enfin l’église
Saint-Martin, et à cette occasion on ferait
bien d’organiser une place plus convenable
à la Vierge au buisson de roses.
A Mulhouse, la tyrannie du coton est en-
core aux prises avec l’indépendance artis-
tique naissante. La plupart des grands in-
dustriels professent un goût fort vif pour
certains arts, plusieurs d’entre eux exposent
régulièrement à chaque Salon. La fondation
du musée de peinture (1864), est une preuve
de la faveur dont les arts commencent à jouir
dans cette ville. 11 renferme surtout des
toiles alsaciennes contemporaines. On y re-
marque aussi quelques jolis morceaux de
J. Didier, d’Appian, de Curzon, etc.
L’école de dessin fondée par la Société
industrielle fonctionne régulièrement. La
construction d’une foule d’éditices superbes,
publics ou privés, parmi lesquels on re-
marque surtout la cathédrale protestante
(elle a coûté 2,200,000 francs), a imprimé à
l’architecture un mouvement important.
Nous trouvons donc partout, dans la belle
province dont nous venons de nous occuper,
des éléments d’art sérieux, mais isolés,
qu’il faudrait réunir et féconder : à Stras-
bourg, des artistes distingués, les sculpteurs
Friedrich, Grass, Dock, les peintres Haffner,
Th. Schuler, etc., une Société des Amis des
arts ; à Colmar, un musée unique ; à Mul-
house, beaucoup d’argent et beaucoup de
bonne volonté. Ne pourrait-on pas unir ces
efforts variés pour la plus grande prospé-
rité de l’art! La solution d’un problème
pareil est aujourd’hui si facile, et cette solu-
tion, tant de contrées l’ont adoptée! Elle
s’appelle enseignement des arts du dessin.
Nous dirons prochainement comment on
pourrait l’appliquer à l’Alsace.
Z.
1. Au budget de 1869 figure une somme de 10,000 f.
pour le musée. Mais je crois que les frais d’installa-
tion y sont compris.
CORRESPONDANCE DE LONDRES.
16 janvier 1870.
Le lord Willoughby de Eresby, grand
chambellan héréditaire d’Angleterre, a fait
vendre dernièrement, chez Christie, la su-
perbe collection d’argenterie qu’il avait réu-
nie à Grimsthorpe Castle. L’art national
était représenté là depuis Élisabeth jusqu’à
Georges IV, par une série de pièces remar-
quables, parmi lesquelles nous citerons :
Une boîte d’argent avec couvercle en
forme de coquille, les pieds figurés par
des colimaçons. Date 1570. 300 £.
12 onces 1/4.
Une paire de tasses avec ornements en
repoussé. Date 1566. 5 onces 1/2, £ 14.10.
Une belle coupe avec ornements gravés
et pied ciselé. Date 1529. 5 onces 1/2.
£ 19.12.
Une salière ciselée à jour. Date 1606.
37 onces. £ 103.
Un « tankard » avec ornements de feuil-
lage. Date 1678. 27 guinées.
Deux gobelets avec ornements de fleurs
et fruits, datés 1682-1684. £ 78.10.
Cinq paires de flambeaux donnés par
Catherine de Bragance à un couvent d’Ham-
mersmith. £ 200.
Une bouilloire à thé datée 1748 et signée
Paul Lamerie £ 37.
Une tasse à deux anses avec couvercle du
même artiste et datée-17 40. £ 115.10.
Une paire d’étriers à ornements de feuil-
lage ciselés et datés 1625. Ils ont appartenu
au maréchal de Vitry.
Une bouilloire à thé avec têtes dans des
médaillons et des guirlandes de ruban gra-
vés par Hogarth, et le plateau orné de
masques, médaillons et guirlandes ciselés
datée 1722 et provenant de la collection de
lord Tentersden. £ 366.15.
Les choses se passent un peu à la fran-
çaise dans l’Inde. Sur l’initiave de M. Fer-
guson, il avait été décidé qu’on ferait un
plan archéologique de l’Inde, et 1,000 livres
avaient été votées au budget de l’an dernier
pour commencer le travail. On a choisi pour
cela un maître de dessin, qui est parti à la
tête d’une expédition, et qui s’est arrêté à la
première pagode en ruine qu’il a rencon-
trée dans les jungles. Il a pris des moulages
des sculptures, soixante-seize en tout; puis,
n’ayant plus de fonds, ayant même dépassé
son crédit de 271 livres, il est revenu sans
rapporter un seul plan ou croquis, et laissant
ses moules pourrir au milieu des herbes.
Pendant ce temps l’artiste touchait toujours
à Bombay les émoluments de la place, sans
même avoir eu la précaution de laisser un
remplaçant.
Le ministère de l’Inde veillera un peu
mieux à l’avenir, sans doute, à la manière
dont les fonds votés pour missions scienti-
fiques ou artistes sont appliqués.
L’université de Cambridge a procédé à
l’élection du titulaire de la chaire de beaux-
arts fondée par M. Slade, et cette fois le
choix sera approuvé de tous. C’est l’émi-
nent architecte Sir Digby Wyatt qui a été
nommé.
Le musée de South Kensington, jaloux du
boudoir de la Duthé, si heureusement sauvé
par M. Double, a eu la bonne fortune d’ac-
quérir dernièrement celui que Marie-An-
toinette avait offert à la marquise de Sérilly.
Il a été immédiatement installé dans une
salle et formera le commencement d’une
série de décorations, d’intérieurs des divers
temps, soit en reproductions., soit en ori-
ginaux.
Oxford, dont les collections d’objets d’arts
si riches étaient difficilement accessibles,
vient de les rendre publiques certains jours
à des heures déterminées. De plus, Mes-
sieurs W. Smith et R. Fisher ont presque
terminé l’arrangement et la description de
la collection d’estampes laissée par le major
Douce,