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9e Année.

N° 5 —

}o Janvier 1870.

LA CHRONIQUE

TOLITIQJJE

DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ

Paraissant tous les Dimanches

ABONNEMENTS :

Paris, un an. 15 fr.

— six mois. . .. 8 fr.

UN NUMÉRO : 2 0 CENT.
RÉDACTION : Rue Vivienne} 55} Paris

Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité. &c., &c.

Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Etranger» — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Etranger-

Paraissant tous les Dimanches ^

ABONNEMENTS :

De'partemekts, un an.. 18 fr,

— six mois. 10 fr.

Etranger, le port en sus.

ADMINISTRA TION : Rue Vivienne} oo, Paris


L’ART ET L’INDUSTRIE

CONSIDÉRÉS AU POINT DE VUE ÉCONOMIQUE.

Nos plus illustres orateurs se sont
succédé, la semaine dernière, à la tri-
bune pour y développer leurs doctrines
protectionistes , libres - échangistes ou
compensationistes, et, à notre grand re-
gret, nous avons constaté que pas un
d’entre eux n’a donné à renseignement
du dessin et au développement du goût
l’importance considérable qui leur re-
vient dans ces graves questions. Plu-
sieurs même n’ont pas dit un mot de
ces deux grandes forces productrices.
M. Thiers a reconnu que c’était unique-
ment à la perfection et à la distinction de
nos produits que nous devions nos anciens
succès ; il a constaté que, pour toutes
les industries, la qualité des produits a
baissé en France ; il a déclaré que c’était
une faute de jeter nos industriels dans la
voie du bon marché, alors qu’ils ne de-
vaient avoir qu’un but, la perfection, et
cependant il n’a pas conclu en deman-
dant de multiplier en France les écoles
de dessin et les musées, pour assurer et
augmenter la délicatesse du goût, prin-
cipale cause de notre prospérité.

Si M. de Forcade de la Roquette a
parlé de l’excellence de l’industrie pari-
sienne, «à laquelle, a-t-il dit, notre pays
doit cette pépinière d’artistes dont on ne
saurait trop vanter le talent, ces ouvriers
pleins d’intelligence, dessinateurs ha-
biles, sachant donner à tous les objets
qu’ils façonnent la délicatesse,'la dis-
tinction et l’élégance, » il semble penser
aussi que les objets de luxe seuls
relèvent de l’art, et, erreur plus re-
grettable encore, il paraît croire, en
matière de goût, aux idées innées.

Après avoir tracé le tableau le plus
flatteur des industries essentiellement
parisiennes, il nous a montré l’Angle-
terre, à la suite des Expositions de 1851
et de 1855, attirant nos ouvriers, par
des prix élevés, pour installer chez elle
des écoles et s’assurer dans l’avenir une
génération d’artistes aussi distingués que
les nôtres. « Mais, s’est-il empressé d’a-
jouter, au lieu de former des ouvriers
habiles, nos compatriotes perdirent eux-
mêmes, dans une certaine proportion,
leurs talents, et ils arrivèrent à n’être
plus que des ouvriers ordinaires. En vé-
rité, ce résultat est des plus rassurants

pour la supériorité de la France, parce
qu’il montre que ce bon goût qui fait
notre incontestable supériorité, ne peut
s’amoindrir. »

Malheureusement, ce tableau est plus
qu’incomplet, car il est mensonger et
dangereux à développer devant une
France trop enivrée de sa gloire et trop
peu soucieuse de connaître ce qui se
passe en dehors d’elle. Gomment ! vous
savez que des artistes français ont été
appelés en Angleterre par des industriels
pour donner un cachet de distinction à
leurs produits, qu’ils en sont revenus
avec leurs facultés créatrices amoindries,
parce qu’ils ne s’y trouvèrent point dans
un milieu suffisamment artiste pour tenir
en éveil leur imagination, et vous igno-
rez, ou vous feignez d’ignorer, que l’An-
gleterre a prodigué les millions pour ;
fonder cette admirable institution de
Kensington qui lui a donné non seule-
ment d’excellents ouvriers, mais encore
d’intelligents professeurs, qui vont vul-
garisant dins tous les comtés la connais-
sance du dessin et du beau ? Comment !
protectionistes et libres échangistes, vous
reconnaissez que la France l’emporte sur
les autres pays plutôt par la perfection
de ses produits que par le bon marché,
et du haut de la tribune française, vous
ne dénoncez pas les efforts inouïs de nos
rivaux pour atteindre et surpasser cette
perfection qui est notre force ? Quoi !
vous ne faites pas savoir au pays trop
insouciant, qu’à l’exemple de l’Angle-
terre, sur le modèle de Kensington, on
a créé à Vienne le Musée autrichien pour
l’art et l’industrie ; à Berlin, le Gewerbe
Institut ; à Moscou, l’école Strogonoff, et
que les plus petits Etats de l’Allemagne
comptent aujourd’hui des institutions
pleines de jeunesse et de vie, semblables
à cette Centralslelle de Stuttgard, qui en
quelques années a ouvert dans le Wur-
temberg plus de cent écoles de dessin !

Taire ces créations au moment où elles
se manifestent en tous lieux pour ruiner
notre commerce ; au moment même où
l’Autriche déclare l’enseignement du des-
sin gratuit et obligatoire jusque dans les
écoles primaires, je dis que c’est com-
mettre plus qu’une faute, en entretenant
nos industriels dans une sécurité fatale.
Déclarer à la tribune que nous n’avons
rien à redouter d’efforts qui tendent à
amoindrir notre incontestable supério-
rité, je soutiens que c’est parler un lan-
gage funeste et méconnaître le vrai sen-
timent patriotique. Les nations ne de-

mandent point à être flattées ; elles ont
besoin de connaître la vérité.

Oui, la France l’emporte aujourd’hui
sur tous ses rivaux par l’excellence de
son goût ; mais le goût n’est pas une
qualité innée, capricieuse, qui vient
sans travail, en dehors de toute loi, et
qu’une nation est assurée de ne jamais
perdre. L’histoire nous apprend tout le
contraire. Pour développer cette qualité,
plante délicate à l’excès, il ne faut rien
moins que des efforts incessants et gui-
dés par le flambeau de la tradition.
L’Italie a longtemps possédé cette plante
précieuse, et ses artistes ont créé des
chefs-d’œuvre qui n’ont pas encore été
égalés ! Qu’est devenue sa supériorité
si marquée ? Elle a disparu lorsque, trop
confiante en ses forces et trop présomp-
tueuse, cette nation a cessé de chercher
toujours le mieux.

Il n’est pas plus vrai de penser que
des peuples soient incapables de s’élever
à la connaissance du beau, que de croire
à l’inaltérabilité du goût chez ceux qui
ont appris à en apprécier les nuances dé-
licates. Par le travail, toutes les nations
sont susceptibles d’acquérir l’intelligence
du beau, et dans cette voie les Anglais
ont déjà réalisé de grands progrès.
« Jusqu’à présent, ont dit MM. Mérimée
et de Laborde, les rapporteurs de nos
expositions universelles, nous n’avons
eu à lutter que contre des efforts indivi-
duels et nous sommes déjà atteints sur
quelques points dans les arts, battus
complètement par les poteries de Minton,
menacés par l’orfèvrerie d’Elkington et
par plusieurs industries. Quand un peu-
ple a les grandes facultés, et par-dessus
tout cette qualité de persévérance qui
ne connaît aucun obstacle, vous avez
tout à redouter. Les Anglais, quoique
vous en pensiez, ont les dispositions ar-
tistes les plus rares à un degré éminent. »
Qui oserait soutenir en effet qu’un peu-
ple qui a eu des artistes tels que Rey-
nolds, Gainsborough, Wilkie, Hogarth,
Crôme, Constable, Turner, Lawrence,
Bonington... ne puisse façonner des
ouvriers capables de rivaliser avec les
nôtres et même de les surpasser ? Ne
croyons point qu’ayant en notre posses-
sion un goût inné nous puissions, sans
crainte aucune de nos rivaux, nous re-
poser paresseusement sur nos lauriers.
Cette idée fausse est en contradiction
absolue avec l’histoire, qui nous montre
l’art progressant à travers les siècles en
raison d’efforts persévérants pour en dé-

couvrir les lois éternelles. Si nous voulons
ne jamais être vaincus, pénétrons-nous au
contraire de la pensée que, pour mainte-
nir entre nos mains un sceptre que l’uni-
vers nous envie, il faut lutter avec une
grande énergie. Toutes les nations s’ap-
prêtent à nous porter la guerre sur le
terrain de la perfection ; préparons-
nous donc au combat en multipliant
chez nous les moyens d’étude , pour
conserver notre suprématie, non pas
seulement dans les industries de luxe,
mais dans nombre d’industries considé-
rables qui relèvent du dessin.

C’est une grave erreur de ne trouver
la manifestation du goût que dans ces
œuvres de luxe fabriquées par les maisons
Barbedienne, Ghocquel, Froment-Meu-
rice, Servant, Rouvenat, Christolle,
Fourdinois.... dans ces mille articles dits
cle Paris ; il se montre et détermine des
résultats importants, partout où deux
couleurs sont associées, où une forme est
accusée, dans l’étoffe la plus commune
comme dans le vase le plus vulgaire. Il
n’est personne qui soit absolument indif-
férent au charme d’un coloris agréable
et à l’attrait d’une belle forme. La femme
la plus pauvre choisira toujours, à prix
égal, et souvent même à un prix plus
élevé, la robe qui lui offrira les teintes
les plus harmonieuses, le bol qui aura le
galbe le plus gracieux. Ainsi donc, sans
parler de ces objets de luxe qui donnent
à un pays des bénéfices énormes, de ces
objets dans lesquels la matière première
est hors de proportion avec la valeur
donnée par la distinction du dessin et le
fini de l’exécution, decesobjets superbes
qui ont fait de Tyr, d’Athènes, de Co-
rinthe, de Venise, de Florence, les villes
les plus riches des temps anciens et mo-
dernes, il est évident que le bon goût et
l’élégance, l’art, pour tout dire, garantis-
sent à presque toutes les grandes indus-
tries une supériorité véritable et assurent
à leurs produits un débit considérable.

Pour obtenir ces produits supérieurs,
souvent il n’est point nécessaire d’em-
ployer des matières premières d’un prix
plus élevé et de consacrer un temps plus
long que pour fabriquer des marchandises
d’une valeur inférieure; il faut simple-
ment avoir des ouvriers bien éduqués,
h travaillant sur des modèles émanés d’ar-
: tistes ayant le sentiment des colorations
agréables et des formes plaisantes.

Ce sont ces vérités, si importantes pour
notre industrie et passées sous silence
par nos plus éminents économistes, qu’il
 
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