9e Année.
— N° 18 —
ier Mai 1870.
LA CHRONIQUE
TOLITIQJJE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Paris, un an. 15 fr.
. 8 fr.
2 0 CENT.
^ jtiX
g
N /.<S/
— six mois.
UN NUMERO
RÉDACTION : Rue Yivienm. oh. Puas
Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité, &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Etranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Etranger
Paraissant tous les Dimanches^^s
ABONNEMENTS :
Departements, un an. 18 fr.
— six mois. . . . . 10 fr.
Étranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne, 55, Paris
L’ÉCOLE MUNICIPALE DE DESSIN
DU IIIe ARRONDISSEMENT.
L’Exposition annuelle des travaux exé-
cutés par les élèves de l’École municipale de
dessin du IIIe arrondissement, ouverte pen-
dant les premiers jours d’avril, nous a fourni
l’occasion d’avoir à constater et les progrès
accomplis incessamment par l’école sous
l’habile direction de M. Levasseur, et l’in-
contestable utilité de ces établissements d’é-
ducation publique dont l’administration mu-
nicipale ne saurait activer par trop de moyens
le développement complet.
Beaucoup d’améliorations matérielles ont
été introduites dans le régime intérieur de
l’école. C’est maintenant à la distribution
régulière des études, libéralement offertes
par la ville à nos jeunes travailleurs de l’in-
dustrie, qu’il faudrait songer. Les exercices
de dessin d’après l’estampe, la bosse, les
végétaux et la nature vivante sont habile-
ment et prudemment dirigés par M. Levas-
seur : les diverses exposilions publiques au
Champ de Mars et au Palais de l’Industrie
l’ont suffisamment démontré ; mais les études
auxiliaires d’architecture industrielle, de
perspective, d’anatomie et de physiologie
élémêntaires, d’histoire de l’art et de com-
position décorative, qui sont le complément
indispensable des connaissances acquises par
les jeunes dessinateurs, sont encore ici, dans
cette école, comme dans les autres établis-
sements similaires de la ville, non point
réglementaires, mais facultatives. Si M. Le-
vasseur se trouvait, par une circonstance
quelconque, privé du concours volontaire et
entièrement gratuit que lui ont offert spon-
tanément MM. Forestier, le D1' Lintilhac...
pour professer le soir plusieurs fois par
semaine, et depuis plusieurs années, leurs
savantes leçons, l’école du IIIe arrondissement
ne pourrait offrir aux visiteurs français ou
étrangers ce spectacle d’un ensemble de
travaux sérieux, où la patience et l’obser-
vation s’allient si heureusement à une verve
toute parisienne chez ces jeunes élèves qui
sont la richesse et l’espoir de nos grandes
industries d’art.
Aux souvenirs des prix de tout ordre
remportés par l’école aux divers concours
proposés par l’Union centrale à son exposi-
tion des Champs-ÉIysées en 1869, aux études
de pure imitation par la sculpture et le dessin
d’après la bosse et la nature vivante, M. Le-
vasseur a cru devoir ajouter cette année des
essais de composition ornementale: une
luire modelée en bas-relief et un panneau
décoratif dessiné. C’est là une heureuse
innovation, dont nous ne saurions trop vive-
ment le féliciter. Cette mise en demeure de
« l’élève, pourvu d’études suffisantes, d’avoir
à faire preuve d’initiative personnelle, en
entrant dans la voie des applications d’art,
affirme et justifie le but des écoles munici-
pales, qui est, on ne saurait le contester, d’en-
richir et de développer l’esprit de nos jeunes
travailleurs en mettant à leur portée des
études libérales où ils puissent largement
puiser ce que souvent les exigences de la
commande et la précipitation des travaux de
l’atelier ne pourraient leur fournir.
Il y a donc pour la ville de Paris un puis-
santintérêt,non-seulementéconomique, mais
encore social et d’une haute moralité, à secon-
der et à consacrer enfin les efforts faits par
l’initiative individuelle dans les écoles qui,
comme celles de M. Levasseur, placées sous
son patronage direct, contribuent incessam-
ment, par les progrès qu’elles réalisent, à
entretenir cette magnifique activité intellec-
tuelle dont la capitale est à bon droit sifière.
J. Grangedor.
ANATOLE DAUVERGNE.
Par une belle journée d’avril 1858, Léon
Benouville, Alfred Gérente, Anatole Dau-
vergne et moi, nous étions réunis à Provins,
chez notre ami Félix Bourquelot, dans une
tourelle branlante des anciennes fortifica-
tions de la ville, où cet enfant de Provins
avait établi sa demeure, à la fois pittoresque
et romantique. C’est dans cette retraite qu’il
allait tous 'les ans, au printemps et à l’au-
tomne, se reposer de Paris en respirant l’air
natal. Lorsque nous le visitâmes, il passait
là ses vacances de Pâques et nous avions
profité de son séjour sur ce que nous appe-
lions son « bâton de perroquet » pour aller
visiter le vieux Provins, dont il devait nous
faire les honneurs. Je passe sur les détails
de cette amusante excursion et j’arrive au
sujet principal de cet article. De cinq que
nous étions alors, jeunes encore et pleins de
vie, quatre d’entre nous sont aujourd’hui
couchés dans la tombe : Bénouville nous fut
enlevé en quelques jours au commencement
de l’année 1859, Gérente et Bourquelot sont
morts en 1868, et Dauvergne vient d’aller
les rejoindre ! Qu’il soit permis au dernier
survivant de ce petit groupe d’amis de dire
ici quelques mots de celui qui vient à jamais
de disparaître.
Né à Coulommiers le 28 septembre 1812,
Anatole Dauvergne, après avoir fait à Paris
de bonnes études classiques, entra vers 1834
à l’atelier de Léon Coignet, y travailla quel-
que temps et partit ensuite pour la Nor-
mandie, qu’il parcourut le sac au dos. De
retour à Paris, il débuta au Salon de 1837
par un bon tableau, la Grange aux dîmes,
àProvins. Il exposa successivement, en 1838,
une Vue de la vallée de Montmorency, la
Veillée du Camaldule. En 1839, après avoir
exposé au Louvre la Mort du comédien, il
partit pour l’Italie, d’où il envoya au Salon
de 1840 la Rue Couverte près du port, à
Gênes, une Vue de la tour de François Ier ait
Havre, un Canal a Venise. En 1841, il peignit
et exposa les Contadines de Venise, Raphaël
et la Fornarina, un Paysan hongrois et en-
fin le Tombeau de Léopold Robert, danslecime-
tûre de San Cristoforo, près de Venise. Cette
dernière toile , composée avec art et tout
empreinte du mélancolique souvenir qu’avait
laissé dans l’âme de l’auteur le grand peintre
des Moissonneurs, avec qui il s’était ren-
contré à Venise, cette toile, dis-je, eut un
grand succès et appela sur Dauvergne l’at-
tention du monde artiste. Encore quelques
efforts et il fixait sa réputation naissante.
Malheureusement ses idées, trop mobiles,
le poussèrent dans d’autres voies. Aulieu de
rester sur la brèche et de continuer la lutte
engagée aux expositions annuelles du Lou-
vre, il se mit, sous prétexte d’étude, à en-
treprendre une suite de courses en Nor-
mandie d’abord, puis dans le centre et le
midi de la France, dessinant par ci, écrivant
par là, discourant partout. Car, j’oubliais de
le dire, Dauvergne, dont le cerveau était sur-
tout alors comme en ébullition, avait un in-
cessant besoin d’expansion; il lui fallait tou-
jours à sa portée un ami ou au moins un
auditeur. 11 avait moins besoin, en effet,
d’échanger des idées que d’exprimer les
siennes propres, et il les exprimait, je dois
le dire, avec abondance et dans un langage
toujours élégant et facile, où sa verve et sa
bonne humeur se donnaient pleine carrière.
Quand il ne pouvait s’adresser de vive voix
à ses amis, il leur faisait de longues lettres
écrites avec esprit, pleines d’abandon et de
cordialité, qu’on lisait et relisait avec plaisir.
Au lieu donc d’emmagasiner pour un temps
ses idées, de.les laisser mûrir et de les ap-
pliquer avec sagesse à un travail quelcon-
que, il les dépensait follement par les che-
mins, soit en paroles, soit en écrits plus ou
moins sérieux et au fur et à mesure de leur
production. Il serait trop long d’énumérer
ici tous les journaux auxquels il a collaboré;
il ne pouvait séjourner quelques jours dans
une ville sans offrir sa plume à l’une des
feuilles de la localité. Histoire, littérature,
critique, roman, archéologie, beaux-arts,
politique même, tout lui était bon, pourvu
qu’on le laissât dire et écrire à sa fantaisie.
C’est vers 1849 et à Moulins, où il s’était
momentanément fixé, qu’il prit la direction
dqV Art enprovince, recueil fondé par Achille
Allier, qui ne put pas soutenir longtemps la
concurrence des journaux de Paris.
Toutefois, malgré sa vie errante et les oc-
cupations multiples qu’il s’était créées, Dau-
’ vergne n’abandonna pas son art. L’archéo-
logie, dont il s’était beaucoup occupé, lui
offrait, dans une de ses branches, — la pein-
ture murale,— le moyen d’utiliser le fruit
de ses premières études; il saisit cette occa-
sion de reprendre ses pinceaux et étudia
avec ardeur cette partie décorative de nos
édifices civils et religieux du moyen âge. Il
releva un grand nombre de ces anciennes
peintures et se prépara ainsi à en exécuter
de nouvelles.
Son premier essai eut lieu de 1850 à 1852
dans l’église de Bourbon-1’Archambault, dont
il révivifia et compléta l’ancienne décoration
murale. Il fut plus tard chargé de décorer
l’église d’Issoire. Des travaux analogues ont
été par lui exécutés en 1851 à la cathédrale
du Puy-en-Velay; en 1854, à Notre-Dame-du-
Port de Clermont, dont il peignit deux cha-
pelles; en 1856, à la cathédrale de la même
ville, où M. Viollet-le-Duc le chargea de dé-
corer la chapelle de la Vierge, etc. Les ar-
chives de la Commission des monuments
historiques contiennent d’excellents relevés
signés du nom de Dauvergne, notamment
des reproductions à l’aquarelle des pein-
tures découvertes dans la chapelle de Saint-
Michel du Puy et dans la cathédrale de Cler-
mont.
Il faut ajouter à l’œuvre du peintre une
vue de Clermont-Ferrand, gravée par Marvy;
un portrait de Moïse Valentin, gravé dans
Y Histoire des peintres, d’Armengaud ; les
portraits de M. le comte de Caumont (Salon
de 1843), de M. l’abbé. Cochet (Salon de
1845), de Mgr Laurence, évêque de Tarbes
(Salon-de 1846) ; de M®r Darcimoles, arche-
vêque d’Aix; de Mgr de Morlhon, évêque du
Puy; de M®r Ant. de Pons, évêque de Mou-
lins, etc.
Comme archéologue, il a beaucoup tra-
vaillé. Le Comité impérial des travaux his-
toriques, dont il était membre, lui doit un
nombre considérable de communications
très-intéressantes qui sont, pour la plupart,
insérées dans son Bulletin. Ces derniers tra-
vaux lui valurent, en 1863, la croix d’hon-
neur.
Dauvergne avait, entre autres, une qua-
lité bien précieuse et bien rare : personne
n’enviait moins que lui le bonheur d’autrui.
La plupart de ses amis, mieux doués que lui
de fixité dans les idées et de persévérance
dans le travail, étaient arrivés à des posi-
tions auxquelles il eût pu prétendre ; loin
de les jalouser, il était heureux de leurs
succès, il s’honorait de leur amitié, il se
vantait avec complaisance des relations af-
fectueuses qu’il entretenait avec eux, il les
grandissait parfois, enfin, jusqu’à les sur-
faire. Peut-être, je le veux bien, se mêlait-il
à son insu à toutes ces louanges un petit
grain de vanité, mais quelle vanité mo-
deste et charmante que celle-là!
Dauvergne s’était retiré depuis quelques
années à Coulommiers pour assister sa
vieille mère caduque et infirme, et qui
n’avait plus que lui sur qui elle pût comp-
ter. Depuis lors, sa vie se passa au chevet
de la malade, dans des soins incessants et
— N° 18 —
ier Mai 1870.
LA CHRONIQUE
TOLITIQJJE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
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. 8 fr.
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Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité, &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Etranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Etranger
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Departements, un an. 18 fr.
— six mois. . . . . 10 fr.
Étranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne, 55, Paris
L’ÉCOLE MUNICIPALE DE DESSIN
DU IIIe ARRONDISSEMENT.
L’Exposition annuelle des travaux exé-
cutés par les élèves de l’École municipale de
dessin du IIIe arrondissement, ouverte pen-
dant les premiers jours d’avril, nous a fourni
l’occasion d’avoir à constater et les progrès
accomplis incessamment par l’école sous
l’habile direction de M. Levasseur, et l’in-
contestable utilité de ces établissements d’é-
ducation publique dont l’administration mu-
nicipale ne saurait activer par trop de moyens
le développement complet.
Beaucoup d’améliorations matérielles ont
été introduites dans le régime intérieur de
l’école. C’est maintenant à la distribution
régulière des études, libéralement offertes
par la ville à nos jeunes travailleurs de l’in-
dustrie, qu’il faudrait songer. Les exercices
de dessin d’après l’estampe, la bosse, les
végétaux et la nature vivante sont habile-
ment et prudemment dirigés par M. Levas-
seur : les diverses exposilions publiques au
Champ de Mars et au Palais de l’Industrie
l’ont suffisamment démontré ; mais les études
auxiliaires d’architecture industrielle, de
perspective, d’anatomie et de physiologie
élémêntaires, d’histoire de l’art et de com-
position décorative, qui sont le complément
indispensable des connaissances acquises par
les jeunes dessinateurs, sont encore ici, dans
cette école, comme dans les autres établis-
sements similaires de la ville, non point
réglementaires, mais facultatives. Si M. Le-
vasseur se trouvait, par une circonstance
quelconque, privé du concours volontaire et
entièrement gratuit que lui ont offert spon-
tanément MM. Forestier, le D1' Lintilhac...
pour professer le soir plusieurs fois par
semaine, et depuis plusieurs années, leurs
savantes leçons, l’école du IIIe arrondissement
ne pourrait offrir aux visiteurs français ou
étrangers ce spectacle d’un ensemble de
travaux sérieux, où la patience et l’obser-
vation s’allient si heureusement à une verve
toute parisienne chez ces jeunes élèves qui
sont la richesse et l’espoir de nos grandes
industries d’art.
Aux souvenirs des prix de tout ordre
remportés par l’école aux divers concours
proposés par l’Union centrale à son exposi-
tion des Champs-ÉIysées en 1869, aux études
de pure imitation par la sculpture et le dessin
d’après la bosse et la nature vivante, M. Le-
vasseur a cru devoir ajouter cette année des
essais de composition ornementale: une
luire modelée en bas-relief et un panneau
décoratif dessiné. C’est là une heureuse
innovation, dont nous ne saurions trop vive-
ment le féliciter. Cette mise en demeure de
« l’élève, pourvu d’études suffisantes, d’avoir
à faire preuve d’initiative personnelle, en
entrant dans la voie des applications d’art,
affirme et justifie le but des écoles munici-
pales, qui est, on ne saurait le contester, d’en-
richir et de développer l’esprit de nos jeunes
travailleurs en mettant à leur portée des
études libérales où ils puissent largement
puiser ce que souvent les exigences de la
commande et la précipitation des travaux de
l’atelier ne pourraient leur fournir.
Il y a donc pour la ville de Paris un puis-
santintérêt,non-seulementéconomique, mais
encore social et d’une haute moralité, à secon-
der et à consacrer enfin les efforts faits par
l’initiative individuelle dans les écoles qui,
comme celles de M. Levasseur, placées sous
son patronage direct, contribuent incessam-
ment, par les progrès qu’elles réalisent, à
entretenir cette magnifique activité intellec-
tuelle dont la capitale est à bon droit sifière.
J. Grangedor.
ANATOLE DAUVERGNE.
Par une belle journée d’avril 1858, Léon
Benouville, Alfred Gérente, Anatole Dau-
vergne et moi, nous étions réunis à Provins,
chez notre ami Félix Bourquelot, dans une
tourelle branlante des anciennes fortifica-
tions de la ville, où cet enfant de Provins
avait établi sa demeure, à la fois pittoresque
et romantique. C’est dans cette retraite qu’il
allait tous 'les ans, au printemps et à l’au-
tomne, se reposer de Paris en respirant l’air
natal. Lorsque nous le visitâmes, il passait
là ses vacances de Pâques et nous avions
profité de son séjour sur ce que nous appe-
lions son « bâton de perroquet » pour aller
visiter le vieux Provins, dont il devait nous
faire les honneurs. Je passe sur les détails
de cette amusante excursion et j’arrive au
sujet principal de cet article. De cinq que
nous étions alors, jeunes encore et pleins de
vie, quatre d’entre nous sont aujourd’hui
couchés dans la tombe : Bénouville nous fut
enlevé en quelques jours au commencement
de l’année 1859, Gérente et Bourquelot sont
morts en 1868, et Dauvergne vient d’aller
les rejoindre ! Qu’il soit permis au dernier
survivant de ce petit groupe d’amis de dire
ici quelques mots de celui qui vient à jamais
de disparaître.
Né à Coulommiers le 28 septembre 1812,
Anatole Dauvergne, après avoir fait à Paris
de bonnes études classiques, entra vers 1834
à l’atelier de Léon Coignet, y travailla quel-
que temps et partit ensuite pour la Nor-
mandie, qu’il parcourut le sac au dos. De
retour à Paris, il débuta au Salon de 1837
par un bon tableau, la Grange aux dîmes,
àProvins. Il exposa successivement, en 1838,
une Vue de la vallée de Montmorency, la
Veillée du Camaldule. En 1839, après avoir
exposé au Louvre la Mort du comédien, il
partit pour l’Italie, d’où il envoya au Salon
de 1840 la Rue Couverte près du port, à
Gênes, une Vue de la tour de François Ier ait
Havre, un Canal a Venise. En 1841, il peignit
et exposa les Contadines de Venise, Raphaël
et la Fornarina, un Paysan hongrois et en-
fin le Tombeau de Léopold Robert, danslecime-
tûre de San Cristoforo, près de Venise. Cette
dernière toile , composée avec art et tout
empreinte du mélancolique souvenir qu’avait
laissé dans l’âme de l’auteur le grand peintre
des Moissonneurs, avec qui il s’était ren-
contré à Venise, cette toile, dis-je, eut un
grand succès et appela sur Dauvergne l’at-
tention du monde artiste. Encore quelques
efforts et il fixait sa réputation naissante.
Malheureusement ses idées, trop mobiles,
le poussèrent dans d’autres voies. Aulieu de
rester sur la brèche et de continuer la lutte
engagée aux expositions annuelles du Lou-
vre, il se mit, sous prétexte d’étude, à en-
treprendre une suite de courses en Nor-
mandie d’abord, puis dans le centre et le
midi de la France, dessinant par ci, écrivant
par là, discourant partout. Car, j’oubliais de
le dire, Dauvergne, dont le cerveau était sur-
tout alors comme en ébullition, avait un in-
cessant besoin d’expansion; il lui fallait tou-
jours à sa portée un ami ou au moins un
auditeur. 11 avait moins besoin, en effet,
d’échanger des idées que d’exprimer les
siennes propres, et il les exprimait, je dois
le dire, avec abondance et dans un langage
toujours élégant et facile, où sa verve et sa
bonne humeur se donnaient pleine carrière.
Quand il ne pouvait s’adresser de vive voix
à ses amis, il leur faisait de longues lettres
écrites avec esprit, pleines d’abandon et de
cordialité, qu’on lisait et relisait avec plaisir.
Au lieu donc d’emmagasiner pour un temps
ses idées, de.les laisser mûrir et de les ap-
pliquer avec sagesse à un travail quelcon-
que, il les dépensait follement par les che-
mins, soit en paroles, soit en écrits plus ou
moins sérieux et au fur et à mesure de leur
production. Il serait trop long d’énumérer
ici tous les journaux auxquels il a collaboré;
il ne pouvait séjourner quelques jours dans
une ville sans offrir sa plume à l’une des
feuilles de la localité. Histoire, littérature,
critique, roman, archéologie, beaux-arts,
politique même, tout lui était bon, pourvu
qu’on le laissât dire et écrire à sa fantaisie.
C’est vers 1849 et à Moulins, où il s’était
momentanément fixé, qu’il prit la direction
dqV Art enprovince, recueil fondé par Achille
Allier, qui ne put pas soutenir longtemps la
concurrence des journaux de Paris.
Toutefois, malgré sa vie errante et les oc-
cupations multiples qu’il s’était créées, Dau-
’ vergne n’abandonna pas son art. L’archéo-
logie, dont il s’était beaucoup occupé, lui
offrait, dans une de ses branches, — la pein-
ture murale,— le moyen d’utiliser le fruit
de ses premières études; il saisit cette occa-
sion de reprendre ses pinceaux et étudia
avec ardeur cette partie décorative de nos
édifices civils et religieux du moyen âge. Il
releva un grand nombre de ces anciennes
peintures et se prépara ainsi à en exécuter
de nouvelles.
Son premier essai eut lieu de 1850 à 1852
dans l’église de Bourbon-1’Archambault, dont
il révivifia et compléta l’ancienne décoration
murale. Il fut plus tard chargé de décorer
l’église d’Issoire. Des travaux analogues ont
été par lui exécutés en 1851 à la cathédrale
du Puy-en-Velay; en 1854, à Notre-Dame-du-
Port de Clermont, dont il peignit deux cha-
pelles; en 1856, à la cathédrale de la même
ville, où M. Viollet-le-Duc le chargea de dé-
corer la chapelle de la Vierge, etc. Les ar-
chives de la Commission des monuments
historiques contiennent d’excellents relevés
signés du nom de Dauvergne, notamment
des reproductions à l’aquarelle des pein-
tures découvertes dans la chapelle de Saint-
Michel du Puy et dans la cathédrale de Cler-
mont.
Il faut ajouter à l’œuvre du peintre une
vue de Clermont-Ferrand, gravée par Marvy;
un portrait de Moïse Valentin, gravé dans
Y Histoire des peintres, d’Armengaud ; les
portraits de M. le comte de Caumont (Salon
de 1843), de M. l’abbé. Cochet (Salon de
1845), de Mgr Laurence, évêque de Tarbes
(Salon-de 1846) ; de M®r Darcimoles, arche-
vêque d’Aix; de Mgr de Morlhon, évêque du
Puy; de M®r Ant. de Pons, évêque de Mou-
lins, etc.
Comme archéologue, il a beaucoup tra-
vaillé. Le Comité impérial des travaux his-
toriques, dont il était membre, lui doit un
nombre considérable de communications
très-intéressantes qui sont, pour la plupart,
insérées dans son Bulletin. Ces derniers tra-
vaux lui valurent, en 1863, la croix d’hon-
neur.
Dauvergne avait, entre autres, une qua-
lité bien précieuse et bien rare : personne
n’enviait moins que lui le bonheur d’autrui.
La plupart de ses amis, mieux doués que lui
de fixité dans les idées et de persévérance
dans le travail, étaient arrivés à des posi-
tions auxquelles il eût pu prétendre ; loin
de les jalouser, il était heureux de leurs
succès, il s’honorait de leur amitié, il se
vantait avec complaisance des relations af-
fectueuses qu’il entretenait avec eux, il les
grandissait parfois, enfin, jusqu’à les sur-
faire. Peut-être, je le veux bien, se mêlait-il
à son insu à toutes ces louanges un petit
grain de vanité, mais quelle vanité mo-
deste et charmante que celle-là!
Dauvergne s’était retiré depuis quelques
années à Coulommiers pour assister sa
vieille mère caduque et infirme, et qui
n’avait plus que lui sur qui elle pût comp-
ter. Depuis lors, sa vie se passa au chevet
de la malade, dans des soins incessants et