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LA CHRONIQUE DES ARTS
CORRESPONDANCE D'ANGLETERRE
Cet hiver, la Royal Academy nous offre une
exposition consacrée aux artistes anglais du dernier
siècle, y compris Reynolds, Gainsborough, Turner;
Romney, Hogarth et autres moins connus. En
outre, il y a une douzaine do peintures hollan-
daises, surtout un grand Frans Hais, le clou de
l'exposition. Cette Famille du peintre avait jus-
qu'ici échappé aux recherches de ceux qui ont
étudié le maître, et pourtant die se range parmi
les plus magistraux échanti ljns de son talent. De
grandeur naturelle, ces cinq personnes, debout
dans un paysage où peut-être se révèle la main de
van Goycn, montrent une vivacité extraordinaire :
c'est la vie, la joie de vivre que Hais nous fait
sentir ici. La composition, un peu accidentée, aug-
mente l'impression de spontanéité et de verve ;
tout l'ensemble respire la bonhomie dont ces per-
sonnages portent le reflet sur leurs visages.
Le colonel Warde, l'heureux possesseur de cette
merveille, montre aussi un grand Saint Sebastien 10 uapicme aes Ultiiopiens de M. Lenz et i
par Van Dyck, également inconnu, datant des pre- ^c^(^es Innocents de M. Engelhart. A droite,
mières années do l'artiste, et un très beau porirait "-- .....—
signé Opie, qui place d'emblée ce peintre parmi les
premiers de ses contemporains dans l'école an-
glaise. Jordaens, Janssen, Lely, Kneller sont ici,
mais l'impression générale qui se dégage de l'ex-
position, c'est le triomphe de l'école anglaise. Tout
le monde fait fèto à Reyncl ls, à Turner, à Gains-
borough ; et voici un porirait par Hilton, voici
deux paysages par de Wint, surtout voici de°
Hogarth qui surprennent même ceux qui
symbolisme chrétien, et plus particulièrement ca-
tholique, par des convictions, sinon toujours reli-
gieuses, au moins toujours esthétiques. Et son
particulier enseignement fut de montrer, en l'œuvre
d'un grand artiste polonais, Josof Mehoffcr, une
conciliation possible et, en tout cas, pour une fois,
merveilleusement réussie des deux tendances: l'une
archaïque, soit romano-byzantine avec l'école bé-
nédictine de Beuron, soit médiéviste avec la Société
de l'art chrétien de Munich ; l'autre, pleinement
moderne, représentée en Franco par la décoration
do la chapelle de Saint-Omcr, do M. A. Besnard ;
en Angleterre, par la Madone, d'un coloris si sur-
prenant, de M»1 Marianne Stokes ; en Allemagne,
par les singuliers et véhéments anachronismes do
M. von Uhde.
Qu'on imagine, à vrai dire, deux expositions sé-
parées par une sorte de grand vaisseau, terminé
par une abside enrichie, sous la voûte, d'une com-
position de grand caractère par M. Andri. et, à
son pourtour, de six tableaux ayant tous trait au
sacrement du baptême. Nous en signalerons deux :
le Baptême des Éthiopiens de M. Lenz et le Mas-
sacre des Innocents de M. Engelhart. A droite,
on entrant, ce sont les salles de Beuron et des
Munichois. On sait un peu, à Paris, quelle est
deux paysages par
Hogarth qui surprennent mémo ceux qui connais-
sent lo mieux l'école anglaise.
D'autres salles abritent Rossetti, Burne-Jones,
Millais, Mason, Solomon ; voici une centaine d'es-
quisses de Watts, léguées par lui à la Royal
Academy; voici des gouaches de Cox, Pinwell,
Hunt, Bonington, Et. Turner. En somme, l'Expo-
sition d'hiver est digne des trenle-six auxquelles
elle fait suite.
* *
La Vénus au miroir ! C'est la grande nouvelle
du jour : la célèbre toile do Velasquoz, depuis
une centaine d'années en possession do M. Morrit
à Rokeby, vient d'être achetée par la National
Gallery, grâce aux efforts do la National Art
Collection Fond. Cotte Société, analogue à colle des
Amis du Louvre, a pu trouver la somme énorme
déplus de 1.050.000 francs; il no manque que
très peu d'argent pour compléter l'achat. La
Vénus, malgré les efforts dos musées étrangers,
notamment do l'Amérique, reste ainsi en terre an-
glaise, et tout le monde fera bientôt lo pèlerinage
de la salle espagnole à la National Gallery pour
admirer cette œuvre maîtresse.
II. C.
CORRESPONDANCE D'AUTRICHE
l'exposition de l'art chrétien moderne
a vienne
Elle a eu lieu on novembre et décembre sous les
auspices do la Sécession. Son intérêt fut d'affronter
les deux groupes nettement tranchés d'artis'es qui,
aujourd'hui, adhèrent, sinon à la foi, au moins au
levé les ironies do M. Huysmans à l'égard do ces
« fresques qui reportent à l'imagerie de la Syrie et
de l'Egypte, avec leur Dieu tiare, leurs anges à
bonnets de sphinx, à ailes ramenées en éventail
derrière la tête, leurs vieillards à barbes nattées,
jouant des instruments à cordes ». Si l'on veut bien
se rendre compte du côté faible et factice, do l'inef-
ficacité de cet effort monastique, du reste, plein
d'élévation en des formules d'une morne grandeur,
il faut voir à Prague, au couvent d'Emmaùs, pour
ainsi dire côte à côte, ces grandes images pieuses
aux colorations aussi lourdes que virulentes et les
anciennes fresques à demi effritées des artistes de
l'école de Prague, laquelle attend toujours, sinon,
encore son histoire, au moins son inventaire. La
vie est dans ces ruines, tandis que ces « nouveau-
tés » millénaires sont quelque chose de mort-né.
J'aime déjà mieux l'école de Munich : nous y
avons affaire à un véritable tempérament de déco-
rateur en la personne de M. Patriz Huber de Feld-
kirch (vitraux du Dôme do Brème) et à un naïf et
vin convaincu qui croit encore aux légendes et œu-
vre au seuil du xx° siècle comme on lo pouvait
faire dans les échoppes des petites villes alleman-
des un peu avant Albert Durer : M. Matthseus
Schicssll. Dans ses tableaux do chevalet : Erwin
de Steinbach en contemplation devant le munster
de Strasbourg, ou sainte Nothburge, la petite pay-
sanne tyrolienne, en prière, devant le miracle de sa
faucille demeurée suspenduo^on l'air, comme dans
sa grande peinture murale pour l'église paroissiale
do Kaiserslautern dans lo Palatinat, nous assis-
tous non plus à une pénible reconstitution théori-
que de symboles ou d'actes hiératiques, mais à
une résurrection do la vie et du sentiment religieux
populaire de l'Allemagne d'autrefois dans un décor
allemand. Et au devant d'une Jérusalem céleste
toute ou or sous un ciel bleu, mais fortifiée et
bourrée d'églises et do clochers comme une cité
rhénane, c'est la Sainte Vierge assise sur un trône
au milieu d'un concile de tous les saints d'Aile
LA CHRONIQUE DES ARTS
CORRESPONDANCE D'ANGLETERRE
Cet hiver, la Royal Academy nous offre une
exposition consacrée aux artistes anglais du dernier
siècle, y compris Reynolds, Gainsborough, Turner;
Romney, Hogarth et autres moins connus. En
outre, il y a une douzaine do peintures hollan-
daises, surtout un grand Frans Hais, le clou de
l'exposition. Cette Famille du peintre avait jus-
qu'ici échappé aux recherches de ceux qui ont
étudié le maître, et pourtant die se range parmi
les plus magistraux échanti ljns de son talent. De
grandeur naturelle, ces cinq personnes, debout
dans un paysage où peut-être se révèle la main de
van Goycn, montrent une vivacité extraordinaire :
c'est la vie, la joie de vivre que Hais nous fait
sentir ici. La composition, un peu accidentée, aug-
mente l'impression de spontanéité et de verve ;
tout l'ensemble respire la bonhomie dont ces per-
sonnages portent le reflet sur leurs visages.
Le colonel Warde, l'heureux possesseur de cette
merveille, montre aussi un grand Saint Sebastien 10 uapicme aes Ultiiopiens de M. Lenz et i
par Van Dyck, également inconnu, datant des pre- ^c^(^es Innocents de M. Engelhart. A droite,
mières années do l'artiste, et un très beau porirait "-- .....—
signé Opie, qui place d'emblée ce peintre parmi les
premiers de ses contemporains dans l'école an-
glaise. Jordaens, Janssen, Lely, Kneller sont ici,
mais l'impression générale qui se dégage de l'ex-
position, c'est le triomphe de l'école anglaise. Tout
le monde fait fèto à Reyncl ls, à Turner, à Gains-
borough ; et voici un porirait par Hilton, voici
deux paysages par de Wint, surtout voici de°
Hogarth qui surprennent même ceux qui
symbolisme chrétien, et plus particulièrement ca-
tholique, par des convictions, sinon toujours reli-
gieuses, au moins toujours esthétiques. Et son
particulier enseignement fut de montrer, en l'œuvre
d'un grand artiste polonais, Josof Mehoffcr, une
conciliation possible et, en tout cas, pour une fois,
merveilleusement réussie des deux tendances: l'une
archaïque, soit romano-byzantine avec l'école bé-
nédictine de Beuron, soit médiéviste avec la Société
de l'art chrétien de Munich ; l'autre, pleinement
moderne, représentée en Franco par la décoration
do la chapelle de Saint-Omcr, do M. A. Besnard ;
en Angleterre, par la Madone, d'un coloris si sur-
prenant, de M»1 Marianne Stokes ; en Allemagne,
par les singuliers et véhéments anachronismes do
M. von Uhde.
Qu'on imagine, à vrai dire, deux expositions sé-
parées par une sorte de grand vaisseau, terminé
par une abside enrichie, sous la voûte, d'une com-
position de grand caractère par M. Andri. et, à
son pourtour, de six tableaux ayant tous trait au
sacrement du baptême. Nous en signalerons deux :
le Baptême des Éthiopiens de M. Lenz et le Mas-
sacre des Innocents de M. Engelhart. A droite,
on entrant, ce sont les salles de Beuron et des
Munichois. On sait un peu, à Paris, quelle est
deux paysages par
Hogarth qui surprennent mémo ceux qui connais-
sent lo mieux l'école anglaise.
D'autres salles abritent Rossetti, Burne-Jones,
Millais, Mason, Solomon ; voici une centaine d'es-
quisses de Watts, léguées par lui à la Royal
Academy; voici des gouaches de Cox, Pinwell,
Hunt, Bonington, Et. Turner. En somme, l'Expo-
sition d'hiver est digne des trenle-six auxquelles
elle fait suite.
* *
La Vénus au miroir ! C'est la grande nouvelle
du jour : la célèbre toile do Velasquoz, depuis
une centaine d'années en possession do M. Morrit
à Rokeby, vient d'être achetée par la National
Gallery, grâce aux efforts do la National Art
Collection Fond. Cotte Société, analogue à colle des
Amis du Louvre, a pu trouver la somme énorme
déplus de 1.050.000 francs; il no manque que
très peu d'argent pour compléter l'achat. La
Vénus, malgré les efforts dos musées étrangers,
notamment do l'Amérique, reste ainsi en terre an-
glaise, et tout le monde fera bientôt lo pèlerinage
de la salle espagnole à la National Gallery pour
admirer cette œuvre maîtresse.
II. C.
CORRESPONDANCE D'AUTRICHE
l'exposition de l'art chrétien moderne
a vienne
Elle a eu lieu on novembre et décembre sous les
auspices do la Sécession. Son intérêt fut d'affronter
les deux groupes nettement tranchés d'artis'es qui,
aujourd'hui, adhèrent, sinon à la foi, au moins au
levé les ironies do M. Huysmans à l'égard do ces
« fresques qui reportent à l'imagerie de la Syrie et
de l'Egypte, avec leur Dieu tiare, leurs anges à
bonnets de sphinx, à ailes ramenées en éventail
derrière la tête, leurs vieillards à barbes nattées,
jouant des instruments à cordes ». Si l'on veut bien
se rendre compte du côté faible et factice, do l'inef-
ficacité de cet effort monastique, du reste, plein
d'élévation en des formules d'une morne grandeur,
il faut voir à Prague, au couvent d'Emmaùs, pour
ainsi dire côte à côte, ces grandes images pieuses
aux colorations aussi lourdes que virulentes et les
anciennes fresques à demi effritées des artistes de
l'école de Prague, laquelle attend toujours, sinon,
encore son histoire, au moins son inventaire. La
vie est dans ces ruines, tandis que ces « nouveau-
tés » millénaires sont quelque chose de mort-né.
J'aime déjà mieux l'école de Munich : nous y
avons affaire à un véritable tempérament de déco-
rateur en la personne de M. Patriz Huber de Feld-
kirch (vitraux du Dôme do Brème) et à un naïf et
vin convaincu qui croit encore aux légendes et œu-
vre au seuil du xx° siècle comme on lo pouvait
faire dans les échoppes des petites villes alleman-
des un peu avant Albert Durer : M. Matthseus
Schicssll. Dans ses tableaux do chevalet : Erwin
de Steinbach en contemplation devant le munster
de Strasbourg, ou sainte Nothburge, la petite pay-
sanne tyrolienne, en prière, devant le miracle de sa
faucille demeurée suspenduo^on l'air, comme dans
sa grande peinture murale pour l'église paroissiale
do Kaiserslautern dans lo Palatinat, nous assis-
tous non plus à une pénible reconstitution théori-
que de symboles ou d'actes hiératiques, mais à
une résurrection do la vie et du sentiment religieux
populaire de l'Allemagne d'autrefois dans un décor
allemand. Et au devant d'une Jérusalem céleste
toute ou or sous un ciel bleu, mais fortifiée et
bourrée d'églises et do clochers comme une cité
rhénane, c'est la Sainte Vierge assise sur un trône
au milieu d'un concile de tous les saints d'Aile