ET DE LA CURIOSITE
115
LE SALON
DE LA
Société Nationale des Beaux-Arts
L'institution précieuse d'auditions musicales pa-
rait seule appelée à différencier, aux yeux de
l'avenir, ce seizième Salon do ses aînés. L'absence
de nouveauté, qui constitue avec le désordre dans
la présentation, ses caractères signalétiques, mar-
que aussi les limites de son intérêt. On n'y suit pas,
comme aux Indépendants et au Salon d'automne,
l'évolution do l'école moderne dans la lièvre do
ses recherches dernières ; à d'autres égards, l'ex-
position de l'ancienne Société des Artistes fran-
çais est plus renseignante sur les destinées pro-
mises aux talents formés dans les ateliers officiels ;
ce Salon, que Degas et Claude Monet déserlent,
est cependant celui où fréquentent les maîtres à
qui la gloire n'est que lentement venue, après
d'âpres luttes encore inoubliées : ici s'imposèrent
à une admiration pou à peu consentie Puvis de
Ghavannes, notre grand Carrière, dont le Salon
entier semble porter le deuil ; puis Rodin, puis
Besnard et Maurice Denis ; celui-ci goûte cette année
la joie do voir ratifiée par le nombre le suffrage de
l'élite. La célébrité des exposants familiers de la
Société Nouvelle n'a point connu la fortune, de
ces revirements ; elle s'est trouvée d'emblée pres-
que hors do conteste ; leur contribution à ce Salon
garde, du consentement général, son habituelle
prépondérance. Deux vétérans, MM. Gustave Colin
et Paul Benouard, y obtiennent la faveur, âproment
convoitée, d'une exposition spéciale. D'autre part,
il apparaît qu'il y a dans le culte voué à Whistler
comme une recrudescence de ferveur: ce ne sont
que portraits noyés dans les demi-ténèbres ou
voilés d'une brume légère qui affine le ton, lo perle
ou l'éteint. Dès maintenance devinentlcs tableaux
auxquels la reproduction assurera demain la popu-
larité, et l'on songo au portrait en plein air de
l'Empereur Guillaume par M. Borchardt, à Cinq
heures chez Paquin par M. Gervex, aux Adieux
de M. Jean Béraud, à La Fête des Lutteurs dans
les Alpes, par M. Charles Giron...
Salle I. — Ce sont, cette fois, do M. Albert Bes-
nard, des portraits d'intérieur et de plein air :
l'effigie officielle du ministre de France à Rome,
en tenue d'apparat sévère et sombre, sa fine sta-
ture se profilant sur le clair et somptueux décor
des appartements du palais Farnèse ; puis une
image toute riante, où dans l'allée d'un parc, par
la douce lumière d'une journée de printemps, des
enfants s'empressent et se groupent affectueusement
autour de leur mère. Les bonheurs do composition,
d'arrangement abondent ; lo coloris conserve les
transparentes fraîcheurs de l'aquarelle ; toute la
page est conduite avec la belle aisance d'une science
qui se laisse si bien ignorer que le seul souvenir
gardé est celui de l'abandon, de la grâce et du
charme.
Une figure nue par M. Morisset, à la carnation
nacrée, irisée, opalisée ; des paysages do Flandre
quiets et silencieux do M. Buysso ; des portraits où
la ressemblance du modèle se pressent exacte et
dont la manière différente certifie à nouveau la vir-
tuosité de M. Blanche.
Salle II. — On y retrouve le portrait de femme j
que M. Dagnan montra naguère à une exhibition
de cercle ; une simple étude d'après le statuaire
Jean Dampt découvre mieux en son auteur l'émule
et l'égal de Bastien-Lepage.
M. Aman-Jean s'est complu à une délicate har-
monie en mauve et en gris [Jeune fille); les inti-
mités de M. Dolachaux et les dessins de lui par
ailleurs montrés gagnent la sympathie par l'effet
d'une émotion timide presque à force d'être re-
cueillie. — L'Automne, de M"° Florence Este.
Salle III. — C'est la salle do M. René Ménard et
de M. Lucien Simon, de M. Anglada et de M. Jean
Veber. Los dons du premier ont trouvé leur j loin
emploi dans doux frises destinées à la Sorbonne (Le
Temple, Le Golfe); l'invention en est noblo, le coloris
volontairement tenu dans les gammes discrètes du
camaïeu ; tout paraît s'y approprier, comme il sied,
à la gravité d'un lieu d'étude et de méditation.
N'était le bouquet de fleurs, aux tonalités sourdes
et discordes à notre gré, le Soir d'été de M. Lucien
Simon constituerait le meilleur tableau clair qu'ait
jusqu'ici signé un moderniste formé à l'école des
maîtres du passé. Comme en 1900, et sans moins
de succès, M. Jean Veber met au service d'une
entreprise décorative la fantaisie de son imagination
[Les Contes de fées), en même temps qu'il se
prouve satiriste social de la lignée des Breughcl et
des Hogarth (La Correction conjugale, et Près de
la famille).
Le renouvellement dont on fait gloire à l'école
espagnole tient peut-être moins aux variations sur-
venues dans la conception qu'à l'emploi de procé-
dés, plus affranchis, plus nouveaux : ceux dont use
M. Anglada, sont d'un coloriste épris de la belle ma-
tière qui, sous ses pinceaux, se diapré et s'émaillo
prestigieusement.
Dans l'atelier, par M. Hugues do Boaumont; des
portraits do MM. Rolshovon, Raymond Woog
(n° 1235), Ablett.
Salle IV. — M. Rupert Bunny est parmi les
artistes qui se sont le plus généreusement dépensés
à l'occasion de ce Salon : il y intervient comme
peintre do portraits, d'intérieurs (Saint Paul), d'al-
légories [Le Bain, Vers Cylhère), et partout s'accuse
la personnalité de son goût, sa volonté d'étendre le
répertoire do ses moyens, de proposer à son effort
des thèmes qui requièrent l'emploi d'une figuration
nombreuse, plus difficile à mettre en scène.
Un Torse déjeune fille, de M. Morren; Versail-
les, par M. Bernard Boutet do Monvel; La Femme
en noir, par M. E. Paul Ulmann.
Salle V. — Voici l'exemp'o unique d'un peintre
dont lo talent s'orne, s'enrichit, s'amplifie chaque
jour, sans que ses acquisitions portent lo moins du
monde atteinte à l'originalité foncière. M. Maurice
Denis a pu tirer bénéfice de son commerce rai-
sonné avec les maîtres et conserver quand mémo
la délicieuse fraîcheur d'inspiration par où ses
premiers ouvrages avaient séduit les connaisseurs.
Les paysages mythologiques, Nausicaa, Calypso,
L'Heureux verqbr, sont d'un novateur quePoussin,
Puvis de Chavanncs et Renoir no désavoueraient
pas pour leur disciple ; tant il est vrai que les
artistes si inconsidérément taxés de révolution-
naires ne sont, lo plus souvent, que les continua-
teurs de la pure tradition française.
La Fête des lutteurs en Suisse, épisode do la
vie alpestre traité par M. Charles Giron dans la
grandeur même do la nature.
Orphée, panneau décoratif de M. Francis An-
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LE SALON
DE LA
Société Nationale des Beaux-Arts
L'institution précieuse d'auditions musicales pa-
rait seule appelée à différencier, aux yeux de
l'avenir, ce seizième Salon do ses aînés. L'absence
de nouveauté, qui constitue avec le désordre dans
la présentation, ses caractères signalétiques, mar-
que aussi les limites de son intérêt. On n'y suit pas,
comme aux Indépendants et au Salon d'automne,
l'évolution do l'école moderne dans la lièvre do
ses recherches dernières ; à d'autres égards, l'ex-
position de l'ancienne Société des Artistes fran-
çais est plus renseignante sur les destinées pro-
mises aux talents formés dans les ateliers officiels ;
ce Salon, que Degas et Claude Monet déserlent,
est cependant celui où fréquentent les maîtres à
qui la gloire n'est que lentement venue, après
d'âpres luttes encore inoubliées : ici s'imposèrent
à une admiration pou à peu consentie Puvis de
Ghavannes, notre grand Carrière, dont le Salon
entier semble porter le deuil ; puis Rodin, puis
Besnard et Maurice Denis ; celui-ci goûte cette année
la joie do voir ratifiée par le nombre le suffrage de
l'élite. La célébrité des exposants familiers de la
Société Nouvelle n'a point connu la fortune, de
ces revirements ; elle s'est trouvée d'emblée pres-
que hors do conteste ; leur contribution à ce Salon
garde, du consentement général, son habituelle
prépondérance. Deux vétérans, MM. Gustave Colin
et Paul Benouard, y obtiennent la faveur, âproment
convoitée, d'une exposition spéciale. D'autre part,
il apparaît qu'il y a dans le culte voué à Whistler
comme une recrudescence de ferveur: ce ne sont
que portraits noyés dans les demi-ténèbres ou
voilés d'une brume légère qui affine le ton, lo perle
ou l'éteint. Dès maintenance devinentlcs tableaux
auxquels la reproduction assurera demain la popu-
larité, et l'on songo au portrait en plein air de
l'Empereur Guillaume par M. Borchardt, à Cinq
heures chez Paquin par M. Gervex, aux Adieux
de M. Jean Béraud, à La Fête des Lutteurs dans
les Alpes, par M. Charles Giron...
Salle I. — Ce sont, cette fois, do M. Albert Bes-
nard, des portraits d'intérieur et de plein air :
l'effigie officielle du ministre de France à Rome,
en tenue d'apparat sévère et sombre, sa fine sta-
ture se profilant sur le clair et somptueux décor
des appartements du palais Farnèse ; puis une
image toute riante, où dans l'allée d'un parc, par
la douce lumière d'une journée de printemps, des
enfants s'empressent et se groupent affectueusement
autour de leur mère. Les bonheurs do composition,
d'arrangement abondent ; lo coloris conserve les
transparentes fraîcheurs de l'aquarelle ; toute la
page est conduite avec la belle aisance d'une science
qui se laisse si bien ignorer que le seul souvenir
gardé est celui de l'abandon, de la grâce et du
charme.
Une figure nue par M. Morisset, à la carnation
nacrée, irisée, opalisée ; des paysages do Flandre
quiets et silencieux do M. Buysso ; des portraits où
la ressemblance du modèle se pressent exacte et
dont la manière différente certifie à nouveau la vir-
tuosité de M. Blanche.
Salle II. — On y retrouve le portrait de femme j
que M. Dagnan montra naguère à une exhibition
de cercle ; une simple étude d'après le statuaire
Jean Dampt découvre mieux en son auteur l'émule
et l'égal de Bastien-Lepage.
M. Aman-Jean s'est complu à une délicate har-
monie en mauve et en gris [Jeune fille); les inti-
mités de M. Dolachaux et les dessins de lui par
ailleurs montrés gagnent la sympathie par l'effet
d'une émotion timide presque à force d'être re-
cueillie. — L'Automne, de M"° Florence Este.
Salle III. — C'est la salle do M. René Ménard et
de M. Lucien Simon, de M. Anglada et de M. Jean
Veber. Los dons du premier ont trouvé leur j loin
emploi dans doux frises destinées à la Sorbonne (Le
Temple, Le Golfe); l'invention en est noblo, le coloris
volontairement tenu dans les gammes discrètes du
camaïeu ; tout paraît s'y approprier, comme il sied,
à la gravité d'un lieu d'étude et de méditation.
N'était le bouquet de fleurs, aux tonalités sourdes
et discordes à notre gré, le Soir d'été de M. Lucien
Simon constituerait le meilleur tableau clair qu'ait
jusqu'ici signé un moderniste formé à l'école des
maîtres du passé. Comme en 1900, et sans moins
de succès, M. Jean Veber met au service d'une
entreprise décorative la fantaisie de son imagination
[Les Contes de fées), en même temps qu'il se
prouve satiriste social de la lignée des Breughcl et
des Hogarth (La Correction conjugale, et Près de
la famille).
Le renouvellement dont on fait gloire à l'école
espagnole tient peut-être moins aux variations sur-
venues dans la conception qu'à l'emploi de procé-
dés, plus affranchis, plus nouveaux : ceux dont use
M. Anglada, sont d'un coloriste épris de la belle ma-
tière qui, sous ses pinceaux, se diapré et s'émaillo
prestigieusement.
Dans l'atelier, par M. Hugues do Boaumont; des
portraits do MM. Rolshovon, Raymond Woog
(n° 1235), Ablett.
Salle IV. — M. Rupert Bunny est parmi les
artistes qui se sont le plus généreusement dépensés
à l'occasion de ce Salon : il y intervient comme
peintre do portraits, d'intérieurs (Saint Paul), d'al-
légories [Le Bain, Vers Cylhère), et partout s'accuse
la personnalité de son goût, sa volonté d'étendre le
répertoire do ses moyens, de proposer à son effort
des thèmes qui requièrent l'emploi d'une figuration
nombreuse, plus difficile à mettre en scène.
Un Torse déjeune fille, de M. Morren; Versail-
les, par M. Bernard Boutet do Monvel; La Femme
en noir, par M. E. Paul Ulmann.
Salle V. — Voici l'exemp'o unique d'un peintre
dont lo talent s'orne, s'enrichit, s'amplifie chaque
jour, sans que ses acquisitions portent lo moins du
monde atteinte à l'originalité foncière. M. Maurice
Denis a pu tirer bénéfice de son commerce rai-
sonné avec les maîtres et conserver quand mémo
la délicieuse fraîcheur d'inspiration par où ses
premiers ouvrages avaient séduit les connaisseurs.
Les paysages mythologiques, Nausicaa, Calypso,
L'Heureux verqbr, sont d'un novateur quePoussin,
Puvis de Chavanncs et Renoir no désavoueraient
pas pour leur disciple ; tant il est vrai que les
artistes si inconsidérément taxés de révolution-
naires ne sont, lo plus souvent, que les continua-
teurs de la pure tradition française.
La Fête des lutteurs en Suisse, épisode do la
vie alpestre traité par M. Charles Giron dans la
grandeur même do la nature.
Orphée, panneau décoratif de M. Francis An-