CROSSES A SERPENTS.
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âge a quelquefois représenté celui des croyances du Nord. En retrouvant le mythe de Tyr dans
des chandeliers romans et celui de Sigfried dans le célèbre pilier deFrisingue (Mé/anye^, T. 1,
pa et T. 111, 63), nous avons reconnu dans les dragons les anciennes personnifications populai-
res de 1 esprit du mal, associées, du moins à Frisingue, à des idées chrétiennes. Une pareille
fusion de souvenirs n'aurait elle pas lieu ici? Examinons de nouveau la crosse de saint Erhard
(p. i86). Le serpent suspendu est si évidemment l'esprit du mal vaincu, que l'artiste nous
le montre enchaîné. Mais quelles sont ces chaînes? L'esprit se reporte d'abord à l'Apocalypse,
où nous lisons : (c. XX, l) jEt uàù anye/am Aaàentem catenam magnum m manu saa etappreAeadd
d/'aconem, serpeutem anùquam, qa: est d/aèo/as, et<$ataaa.s, et /i^auùeamper an a os nu'//e. Ce texte
pourrait sans doute, à la rigueur, suffire; cependant, il ne nous donne pas raison des trois
chaînes, que l'artiste n'a pas ciselées sans motif; or ces trois chaînes se retrouvent dans les
traditions septentrionales. Qu on se rappelle le combat du monstre Fenris contre le dieu Tyr,
les deux premières chaînes brisées comme de la paille, et la dernière, précisément la plus
faible en apparence (Æe/amyes, t. I, p. g/j, note), comme elle le paraît ici, victorieuse du dragon
désormais prisonnier des Ases et condamné à d'indicibles angoisses jusqu'au jour du juge-
ment, où il sera délié pour un dernier combat. Avouez que si l'artiste germain avait eu le
dessein de rendre dans l'occasion la plus propice la tradition germanique, il n'aurait pu mieux
s'y prendre.
J'ajoute que si les légendes du Nord expliquent d'une manière nette et adéquate la crosse de
saint Erhard, elles ne jettent pas un jour moins inattendu et moins complet sur le tau de saint
Héribert (p. 177). Que les deux têtes de dragons, languissamment penchées auprès des scènes
où Jésus-Christ meurt et ressuscite, soient l'image du démon vaincu, rien de plus évident;
mais où trouver dans les traditions chrétiennes le motif des entrelacs bizarres enchaînant la
mâchoire supérieure du monstre? Une circonstance aussi peu naturelle peut-elle s'expliquer
par un caprice d'artiste? N'est-il pas présumable quelle renferme quelque allusion de nature
à être comprise par les contemporains, et que le ciseleur a voulu rendre par là quelque
croyance populaire relative à la défaite de l'esprit du mal? Examinons maintenant le peu qui
nous reste de ces traditions primitives, et nous éprouverons le plaisir des petites découvertes
en trouvant que ce qui nous aura paru plus inexplicable dans la ciselure n'est qu une traduc-
tion littérale d'une ancienne légende.
Parmi les représentants du mal dans la mythologie septentrionale, la première place ap-
partient à Loki, le père du dragon Fenris. Le caractère de Loki répondait tellement à celui
du Satan de l'Évangile, que ces deux être sont aujourd'hui encore confondus dans le langage,
au témoignage de FinnMagnussen(Lexicon, V. ToAZ). On appelle le mensonge /a paro/e &
Lo/d; l'odeur du soufre, /odeur de ToA/,- le bois à brûler, /e Ao/s de ZoA/,- le diable se nomme
LoAe etLaaAe en norvégien, et ZaAe en suédois. Parvenu au terme de ses crimes, Loki est en-
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âge a quelquefois représenté celui des croyances du Nord. En retrouvant le mythe de Tyr dans
des chandeliers romans et celui de Sigfried dans le célèbre pilier deFrisingue (Mé/anye^, T. 1,
pa et T. 111, 63), nous avons reconnu dans les dragons les anciennes personnifications populai-
res de 1 esprit du mal, associées, du moins à Frisingue, à des idées chrétiennes. Une pareille
fusion de souvenirs n'aurait elle pas lieu ici? Examinons de nouveau la crosse de saint Erhard
(p. i86). Le serpent suspendu est si évidemment l'esprit du mal vaincu, que l'artiste nous
le montre enchaîné. Mais quelles sont ces chaînes? L'esprit se reporte d'abord à l'Apocalypse,
où nous lisons : (c. XX, l) jEt uàù anye/am Aaàentem catenam magnum m manu saa etappreAeadd
d/'aconem, serpeutem anùquam, qa: est d/aèo/as, et<$ataaa.s, et /i^auùeamper an a os nu'//e. Ce texte
pourrait sans doute, à la rigueur, suffire; cependant, il ne nous donne pas raison des trois
chaînes, que l'artiste n'a pas ciselées sans motif; or ces trois chaînes se retrouvent dans les
traditions septentrionales. Qu on se rappelle le combat du monstre Fenris contre le dieu Tyr,
les deux premières chaînes brisées comme de la paille, et la dernière, précisément la plus
faible en apparence (Æe/amyes, t. I, p. g/j, note), comme elle le paraît ici, victorieuse du dragon
désormais prisonnier des Ases et condamné à d'indicibles angoisses jusqu'au jour du juge-
ment, où il sera délié pour un dernier combat. Avouez que si l'artiste germain avait eu le
dessein de rendre dans l'occasion la plus propice la tradition germanique, il n'aurait pu mieux
s'y prendre.
J'ajoute que si les légendes du Nord expliquent d'une manière nette et adéquate la crosse de
saint Erhard, elles ne jettent pas un jour moins inattendu et moins complet sur le tau de saint
Héribert (p. 177). Que les deux têtes de dragons, languissamment penchées auprès des scènes
où Jésus-Christ meurt et ressuscite, soient l'image du démon vaincu, rien de plus évident;
mais où trouver dans les traditions chrétiennes le motif des entrelacs bizarres enchaînant la
mâchoire supérieure du monstre? Une circonstance aussi peu naturelle peut-elle s'expliquer
par un caprice d'artiste? N'est-il pas présumable quelle renferme quelque allusion de nature
à être comprise par les contemporains, et que le ciseleur a voulu rendre par là quelque
croyance populaire relative à la défaite de l'esprit du mal? Examinons maintenant le peu qui
nous reste de ces traditions primitives, et nous éprouverons le plaisir des petites découvertes
en trouvant que ce qui nous aura paru plus inexplicable dans la ciselure n'est qu une traduc-
tion littérale d'une ancienne légende.
Parmi les représentants du mal dans la mythologie septentrionale, la première place ap-
partient à Loki, le père du dragon Fenris. Le caractère de Loki répondait tellement à celui
du Satan de l'Évangile, que ces deux être sont aujourd'hui encore confondus dans le langage,
au témoignage de FinnMagnussen(Lexicon, V. ToAZ). On appelle le mensonge /a paro/e &
Lo/d; l'odeur du soufre, /odeur de ToA/,- le bois à brûler, /e Ao/s de ZoA/,- le diable se nomme
LoAe etLaaAe en norvégien, et ZaAe en suédois. Parvenu au terme de ses crimes, Loki est en-