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GAZETTE DES BEAUX-ARJ s.
du xviii0 siècle, nu moment mémo où elle s'amoindrit en se répétant. Indépendamment
des services de table, les faïenciers de Rouen faisaient, en terre cuite, les objets les plus
variés : manches de couteaux, écritoires, fontaines, montures de brosses, crucifix,
pommes de canne, lampes d'église, livres destinés à servir de presse-papiers. Le cha-
pitre des singularités est ici inépuisable, et M. G... a déjà parlé du violon de M. André
Pottier, une des pièces qui ont eu le plus de succès à Rouen.
Cette excellente industrie se maintint pendant le premier tiers du xvme siècle : elle
commença dès lors à décroître, non qu'elle fût encore menacée par le succès des fabri-
cations étrangères, mais parce que l'imitation servile est toujours mauvaise, et parce
que le copiste est fatalement au-dessous de l'inventeur : la faïencerie, qui était un art
sous Louis XIV, n'était plus qu'un vulgaire métier à la fin du règne de Louis XV. Rouen
était donc déjà bien déchu, lorsque, vers 1784, le marché, comme on dirait aujourd'hui,
fut tout à coup envahi par les faïences anglaises. Un long procès intenté devant le
parlement par les faïenciers de Rouen prouva qu'ils étaient encore soucieux de leurs
intérêts, mais leurs œuvres montraient en même temps qu'ils avaient perdu le secret
de bien faire. Ainsi périt une industrie qui fut, pendant un siècle, l'honneur de la cé-
ramique française.
En dehors de la faïence, Rouen paraît s'être illustré jadis par ses ateliers d'orfè-
vrerie; mais l'insuffisance de nos renseignements ne nous permet pas d'indiquer si les
pièces exposées appartiennent à l'art local. Quoi qu'il en soit,cette noble industrie était
représentée à Rouen par divers monuments précieux, entre autres par le calice du car-
dinal de Bourbon, qui appartient, croyons-nous, à l'église Saint-Maclou. Ce calice, dont
le pied et le nœud sont décorés d'émaux translucides sur relief, peut sûrement être
attribué au règne de Henri III, à cause de la similitude parfaite qu'il présente avec un
monument du même genre qu'on voit au Musée de Rouen, et qui porte la date de 1582.
Un amateur bien connu, M. Duthuit, a exposé un exemplaire de l'aiguière en étain
de François Briot. Pour ceux qui ont étudié la réplique conservée au Musée de Cluny,
ce monument, qui provient d'ailleurs de la collection Louis Fould., ne présente rien de
bien nouveau, car, ici comme partout, il s'agit du vase dont le plateau est orné des
médaillons symboliques des Vertus et des Sciences. Mais si nous en parlons aujour-
d'hui, c'est que nous avons quelque chose à ajouter aux lignes, si incomplètes d'ail-
leurs, que nous avons écrites sur François Briot. Comment se fait-il que les aiguières
du potier d'étain, celle du Musée de Cluny, celle de M. Duthuit, celles de la vente Sol-
tykoff, reproduisent toujours le même type? Il n'est pas possible que le mystérieux ar-
tiste n'ait jamais fait qu'un seul modèle. S'il en a sculpté d'autres, où sont-ils?... Mais
ici se présente un détail nouveau : François Briot avait exécuté en argent un exemplaire
de son aiguière ; ce chef-d'œuvre, unique sans doute, a été apporté, il y a environ qua-
rante ans, à la Monnaie de Rouen, — qui l'a fondu. Ce fait, important pour la biogra-
phie du maître, n'a pas laissé de trace écrite; nous l'empruntons aux confidences ver-
bales de M. André Pottier, et nous l'imprimons ici parce que la parole est ailée, et
parce que c'est notre devoir à tous,d'arrêter au passage les bonnes choses qui volent et
qui s'oublient.
Parmi les œuvres d'un art plus récent que nous a montrées l'exposition de Rouen,
nous ne pouvions manquer d'étudier avec un soin particulier la croix d'Anneville, qui
est, comme on sait, datée de 1689. Une obligeante communication de M. A. Darcel
nous a permis de publier ici la gravure de ce petit monument1. Nous avons peu à
1. Gazelle des Beaux-Aria, t. X, p. 153,
GAZETTE DES BEAUX-ARJ s.
du xviii0 siècle, nu moment mémo où elle s'amoindrit en se répétant. Indépendamment
des services de table, les faïenciers de Rouen faisaient, en terre cuite, les objets les plus
variés : manches de couteaux, écritoires, fontaines, montures de brosses, crucifix,
pommes de canne, lampes d'église, livres destinés à servir de presse-papiers. Le cha-
pitre des singularités est ici inépuisable, et M. G... a déjà parlé du violon de M. André
Pottier, une des pièces qui ont eu le plus de succès à Rouen.
Cette excellente industrie se maintint pendant le premier tiers du xvme siècle : elle
commença dès lors à décroître, non qu'elle fût encore menacée par le succès des fabri-
cations étrangères, mais parce que l'imitation servile est toujours mauvaise, et parce
que le copiste est fatalement au-dessous de l'inventeur : la faïencerie, qui était un art
sous Louis XIV, n'était plus qu'un vulgaire métier à la fin du règne de Louis XV. Rouen
était donc déjà bien déchu, lorsque, vers 1784, le marché, comme on dirait aujourd'hui,
fut tout à coup envahi par les faïences anglaises. Un long procès intenté devant le
parlement par les faïenciers de Rouen prouva qu'ils étaient encore soucieux de leurs
intérêts, mais leurs œuvres montraient en même temps qu'ils avaient perdu le secret
de bien faire. Ainsi périt une industrie qui fut, pendant un siècle, l'honneur de la cé-
ramique française.
En dehors de la faïence, Rouen paraît s'être illustré jadis par ses ateliers d'orfè-
vrerie; mais l'insuffisance de nos renseignements ne nous permet pas d'indiquer si les
pièces exposées appartiennent à l'art local. Quoi qu'il en soit,cette noble industrie était
représentée à Rouen par divers monuments précieux, entre autres par le calice du car-
dinal de Bourbon, qui appartient, croyons-nous, à l'église Saint-Maclou. Ce calice, dont
le pied et le nœud sont décorés d'émaux translucides sur relief, peut sûrement être
attribué au règne de Henri III, à cause de la similitude parfaite qu'il présente avec un
monument du même genre qu'on voit au Musée de Rouen, et qui porte la date de 1582.
Un amateur bien connu, M. Duthuit, a exposé un exemplaire de l'aiguière en étain
de François Briot. Pour ceux qui ont étudié la réplique conservée au Musée de Cluny,
ce monument, qui provient d'ailleurs de la collection Louis Fould., ne présente rien de
bien nouveau, car, ici comme partout, il s'agit du vase dont le plateau est orné des
médaillons symboliques des Vertus et des Sciences. Mais si nous en parlons aujour-
d'hui, c'est que nous avons quelque chose à ajouter aux lignes, si incomplètes d'ail-
leurs, que nous avons écrites sur François Briot. Comment se fait-il que les aiguières
du potier d'étain, celle du Musée de Cluny, celle de M. Duthuit, celles de la vente Sol-
tykoff, reproduisent toujours le même type? Il n'est pas possible que le mystérieux ar-
tiste n'ait jamais fait qu'un seul modèle. S'il en a sculpté d'autres, où sont-ils?... Mais
ici se présente un détail nouveau : François Briot avait exécuté en argent un exemplaire
de son aiguière ; ce chef-d'œuvre, unique sans doute, a été apporté, il y a environ qua-
rante ans, à la Monnaie de Rouen, — qui l'a fondu. Ce fait, important pour la biogra-
phie du maître, n'a pas laissé de trace écrite; nous l'empruntons aux confidences ver-
bales de M. André Pottier, et nous l'imprimons ici parce que la parole est ailée, et
parce que c'est notre devoir à tous,d'arrêter au passage les bonnes choses qui volent et
qui s'oublient.
Parmi les œuvres d'un art plus récent que nous a montrées l'exposition de Rouen,
nous ne pouvions manquer d'étudier avec un soin particulier la croix d'Anneville, qui
est, comme on sait, datée de 1689. Une obligeante communication de M. A. Darcel
nous a permis de publier ici la gravure de ce petit monument1. Nous avons peu à
1. Gazelle des Beaux-Aria, t. X, p. 153,