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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
suppose de larges sacrifices, déterminés sans doute par la destination
de l’oeuvre, l’éducation et la volonté du peintre, — mais surtout par
les aptitudes spéciales de son œil, la nuance particulière de sa sensi-
bilité, — tout un ensemble de faits irréductibles et efficaces où il
peut trouver tour à tour des éléments de force ou de faiblesse, selon
la direction qu’il imprimera à son activité artistique. Combien n’en
pourrait-on pas citer à qui une fée méchante semble avoir dit, dès le
berceau : « Tu ne te débrouilleras jamais! », restés jusqu’à la fin
penchés sur une recherche fatalement stérile, morts dans l'acharne-
ment de l’eflort malheureux, sans avoir rencontré l’étincelle fécon-
dante qui eût fait jaillir la lumière et la flamme du foyer intérieur
préparé en eux par la nature?
Il y a eu chez M. Puvis de Chavannes un accord parfait, et plus
rare qu’on ne pense, entre les aptitudes natives et la forme d’Art à
laquelle il s’est voué. Comme peintre, il ne devait disposer jamais
que de moyens assez bornés; son œil n’est pas curieux et semble,
par une disposition toute physiologique, n’avoir de la réalité qu’une
vision incomplète, qui atténue les saillies et les vigueurs et lui dicte
des notations un peu pauvres, monotones et plates. On voit par suite
quel domaine de l’Art lui était interdit et comment il était condamné
d’avance à renoncer à toute virtuosité de palette, aux feux d’artifice
de la couleur, aux curiosités raffinées, savantes et subtiles comme
aux opulences et aux reliefs de la forme vivante.
Il était, en revanche, merveilleusement préparé pour formuler
quelques grandes expressions plastiques qui veulent des silhouettes
résumées et synthétisées, des lignes très simples, disciplinées et
associées dans des ensembles composés, où de larges tonalités con-
trastées font vibrer en sourdine, comme dans un andante enveloppé
et lointain, de douces harmonies. Et, comme il avait Reçu en partage
un esprit méditatif et généralisateur, une âme portée à la rêverie et
doublée d’une volonté fortement trempée, il s’est trouvé qu’en dépit de
toutes les résistances — en dépit même peut-être d’une éducation
artistique tardive ou trop hâtive — il nous a donné la forme d’Art la
mieux appropriée aux exigences de la grande peinture monumentale.
Une promenade d’une heure au Panthéon vaut mieux pour cette
démonstration que tous les commentaires; on peut la pressentir du
reste rien qu’à examiner les réductions, exposées rue Laffitte, de
l’Histoire de sainte Geneviève et des peintures murales de la
Sorbonne, d’Amiens et de Lyon.
Dans ces vastes compositions, comme dans les tableaux de cheva-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
suppose de larges sacrifices, déterminés sans doute par la destination
de l’oeuvre, l’éducation et la volonté du peintre, — mais surtout par
les aptitudes spéciales de son œil, la nuance particulière de sa sensi-
bilité, — tout un ensemble de faits irréductibles et efficaces où il
peut trouver tour à tour des éléments de force ou de faiblesse, selon
la direction qu’il imprimera à son activité artistique. Combien n’en
pourrait-on pas citer à qui une fée méchante semble avoir dit, dès le
berceau : « Tu ne te débrouilleras jamais! », restés jusqu’à la fin
penchés sur une recherche fatalement stérile, morts dans l'acharne-
ment de l’eflort malheureux, sans avoir rencontré l’étincelle fécon-
dante qui eût fait jaillir la lumière et la flamme du foyer intérieur
préparé en eux par la nature?
Il y a eu chez M. Puvis de Chavannes un accord parfait, et plus
rare qu’on ne pense, entre les aptitudes natives et la forme d’Art à
laquelle il s’est voué. Comme peintre, il ne devait disposer jamais
que de moyens assez bornés; son œil n’est pas curieux et semble,
par une disposition toute physiologique, n’avoir de la réalité qu’une
vision incomplète, qui atténue les saillies et les vigueurs et lui dicte
des notations un peu pauvres, monotones et plates. On voit par suite
quel domaine de l’Art lui était interdit et comment il était condamné
d’avance à renoncer à toute virtuosité de palette, aux feux d’artifice
de la couleur, aux curiosités raffinées, savantes et subtiles comme
aux opulences et aux reliefs de la forme vivante.
Il était, en revanche, merveilleusement préparé pour formuler
quelques grandes expressions plastiques qui veulent des silhouettes
résumées et synthétisées, des lignes très simples, disciplinées et
associées dans des ensembles composés, où de larges tonalités con-
trastées font vibrer en sourdine, comme dans un andante enveloppé
et lointain, de douces harmonies. Et, comme il avait Reçu en partage
un esprit méditatif et généralisateur, une âme portée à la rêverie et
doublée d’une volonté fortement trempée, il s’est trouvé qu’en dépit de
toutes les résistances — en dépit même peut-être d’une éducation
artistique tardive ou trop hâtive — il nous a donné la forme d’Art la
mieux appropriée aux exigences de la grande peinture monumentale.
Une promenade d’une heure au Panthéon vaut mieux pour cette
démonstration que tous les commentaires; on peut la pressentir du
reste rien qu’à examiner les réductions, exposées rue Laffitte, de
l’Histoire de sainte Geneviève et des peintures murales de la
Sorbonne, d’Amiens et de Lyon.
Dans ces vastes compositions, comme dans les tableaux de cheva-