FRANÇOIS RUDE.
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en argent? Rude lui semble désigné par sa statue de Maurice de Saxe,
et il lui confie son projet.
Un autre accueillerait avec joie pareille ouverture; Rude l’ac-
cueille avec timidité. La réussite de son Maréchal de Saxe ne l’a pas
convaincu, au fond, qu’on ne déroge pas à sculpter des personnages
ajustés et chamarrés. Peut-être vaudrait-il mieux ne pas renouveler
la tentative? Volontiers, s’il s’écoutait, il dirait comme David : « Je
ne suis pas fait pour reproduire des bottes et des décorations. » Cepen-
dant, ayant vu dans le Manège royal de Pluvinel, l’image où nous est
montré le jeune Louis XIII instruit par un écuyer des règles de
l’équitation, il se laisse séduire. Cette image s’impose à son esprit. Il
rendra le royal adolescent, la cravache à la main, libre de souci, en
une attitude élégante et cavalière, et ce sera, proprement, la synthèse
des aristocratiques affinements. Longuement, sans en sonner mot à
personne, il prépare sa figurine, essaye des mouvements, étudie les
moindres détails. On n’est pas plus mystérieux que Rude dans
l’élaboration de ses œuvres. Même fixé sur tous les points, il a des
scrupules, il hasarde des modifications, abandonne et reprend cent
fois son modèle. Enfin, voilà le jeune prince 1 tel qu’il l’a évoqué,
cambré sur le côté droit, la jambe gauche un peu avancée, du bout
des doigts de la main droite tenant une gaulette qui vient rayer le
sol, la main gauche à la hanche, très négligemment. Ses grandes bottes
s’évasent légèrement à mi-cuisse: de riches broderies coupent de leurs
arabesques en bandes régulières le pourpoint qui moule son corps et
son haut-de-chausses bouffant; une rayonnante collerette de den-
telles en éventail se raidit et se chiffonne tout ensemble autour du col;
de légères écharpes pendent de ses épaules ainsi que des ailes et, sur
sa poitrine, court, en sautoir, un long ruban. Point d’arme, si ce
n’est une petite épée en verrouil. Son âge? Dix-sept ans. Coiffé d’un
feutre à grands bords sans ornement, posé tout à droite et d’où ses
cheveux se déroulent en boucles soyeuses, le jeune homme regarde
vers sa gauche. Je ne sais quelle douceur craintive est dans ses yeux.
Le sourire ne saurait être que furtif sur ses lèvres molles en leur
saillie. Ses mains, d’une mobile finesse sous le gant à manchette, ont
plus de grâce que de force et, quoiqu’on le voie sainement constitué,
il y a quelque chose d’effacé, d’énervé dans tout son être et on ne le
sent ni vivace, ni volontaire. La statue est d’une exécution variée,
souple, large et, pourtant, minutieusement accomplie. N’y voyant
, U Voir l’eau-forte de M. Géry-Richard, 2e période, t. XXXVII, p. 370.
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en argent? Rude lui semble désigné par sa statue de Maurice de Saxe,
et il lui confie son projet.
Un autre accueillerait avec joie pareille ouverture; Rude l’ac-
cueille avec timidité. La réussite de son Maréchal de Saxe ne l’a pas
convaincu, au fond, qu’on ne déroge pas à sculpter des personnages
ajustés et chamarrés. Peut-être vaudrait-il mieux ne pas renouveler
la tentative? Volontiers, s’il s’écoutait, il dirait comme David : « Je
ne suis pas fait pour reproduire des bottes et des décorations. » Cepen-
dant, ayant vu dans le Manège royal de Pluvinel, l’image où nous est
montré le jeune Louis XIII instruit par un écuyer des règles de
l’équitation, il se laisse séduire. Cette image s’impose à son esprit. Il
rendra le royal adolescent, la cravache à la main, libre de souci, en
une attitude élégante et cavalière, et ce sera, proprement, la synthèse
des aristocratiques affinements. Longuement, sans en sonner mot à
personne, il prépare sa figurine, essaye des mouvements, étudie les
moindres détails. On n’est pas plus mystérieux que Rude dans
l’élaboration de ses œuvres. Même fixé sur tous les points, il a des
scrupules, il hasarde des modifications, abandonne et reprend cent
fois son modèle. Enfin, voilà le jeune prince 1 tel qu’il l’a évoqué,
cambré sur le côté droit, la jambe gauche un peu avancée, du bout
des doigts de la main droite tenant une gaulette qui vient rayer le
sol, la main gauche à la hanche, très négligemment. Ses grandes bottes
s’évasent légèrement à mi-cuisse: de riches broderies coupent de leurs
arabesques en bandes régulières le pourpoint qui moule son corps et
son haut-de-chausses bouffant; une rayonnante collerette de den-
telles en éventail se raidit et se chiffonne tout ensemble autour du col;
de légères écharpes pendent de ses épaules ainsi que des ailes et, sur
sa poitrine, court, en sautoir, un long ruban. Point d’arme, si ce
n’est une petite épée en verrouil. Son âge? Dix-sept ans. Coiffé d’un
feutre à grands bords sans ornement, posé tout à droite et d’où ses
cheveux se déroulent en boucles soyeuses, le jeune homme regarde
vers sa gauche. Je ne sais quelle douceur craintive est dans ses yeux.
Le sourire ne saurait être que furtif sur ses lèvres molles en leur
saillie. Ses mains, d’une mobile finesse sous le gant à manchette, ont
plus de grâce que de force et, quoiqu’on le voie sainement constitué,
il y a quelque chose d’effacé, d’énervé dans tout son être et on ne le
sent ni vivace, ni volontaire. La statue est d’une exécution variée,
souple, large et, pourtant, minutieusement accomplie. N’y voyant
, U Voir l’eau-forte de M. Géry-Richard, 2e période, t. XXXVII, p. 370.