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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
femme à la National Gallery sont ainsi des œuvres qu’il a laissées
inachevées par crainte d’en détruire la valeur artistique.
Parfois il exigeait un grand nombre de séances et faisait durer
les séances très longtemps. On dit qu’il lui arrivait de garder ses
modèles assis, immobiles, trois heures durant. D’autres fois, au
contraire, il exécutait un portrait en une seule séance d’une heure
ou deux. C’est dans ces conditions qu’il a peint, au dire de C. R. Leslie,
son admirable portrait de la Comtesse Grosvenor (aujourd'hui à Stafford
House), et un portrait à mi-corps de Benjamin West, « le meilleur
portrait d’homme qu’il ait peint ».
« La Révolution française, dit lord Ronald Gower, avait entre
autres changements fait disparaître la mode des cheveux poudrés. A
l’âge de la poudre succéda l’âge de la pommade. Lawrence était
l’homme qu’il fallait pour introduire dans le portrait la mode
nouvelle. Les gentlemen s’étaient mis à porter des manteaux et des
cols en pyramide, avec d’innombrables gilets de toutes couleurs
s’entassant l’un sur l’autre; des bottes à la hessoise, des redingotes
de velours bordées de fourrures. Les dames se coiffaient de vastes
turbans où étaient piqués des oiseaux du Paradis. Leur taille montait
jusque sous leurs bras, que couvraient seuls des gants d’une
longueur fantastique, montant jusqu’aux épaules où se dressaient
pour les recevoir d’énormes gigots. Enfin des boucles de cheveux
éparses couvraient le front et les yeux... Pendant les trente ans
qui suivirent, Lawrence travailla sans relâche à peindre ses modèles
dans ces accoutrements monstrueux. Bien qu’il fût lui-mème très
simple de manières, et qu’il s’habillât toujours de noir, il n’y â
guère de portraits de lui où les modèles, hommes ou femmes, ne
soient vêtus de rouge ou de vert, de bleu ou de pourpre. On ne
pouvait naturellement pas attendre de Lawrence qu’il refusât
d’admettre ou qu’il modifiât dans ses portraits les modes du jour :
mais à coup sûr il ne paraît pas s’être rendu compte du ridicule de
ces modes. »
Lord Ronald Gower ne prévoyait pas que ces modes de la fin du
siècle dernier, les modes féminines surtout, cesseraient de nouveau
de paraître ridicules à la fin de ce siècle-ci, et que dans les portraits
de Lawrence comme dans ceux de David et de Gérard, les toilettes
de 1800, loin d’être une source de déplaisir, contribueraient encore
au charme de la peinture. Mais il n’en est pas moins certain que,
pendant les années qui suivirent l’insuccès de son Satan et qui
coïncidèrent en effet avec le plus complet épanouissement de ces
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
femme à la National Gallery sont ainsi des œuvres qu’il a laissées
inachevées par crainte d’en détruire la valeur artistique.
Parfois il exigeait un grand nombre de séances et faisait durer
les séances très longtemps. On dit qu’il lui arrivait de garder ses
modèles assis, immobiles, trois heures durant. D’autres fois, au
contraire, il exécutait un portrait en une seule séance d’une heure
ou deux. C’est dans ces conditions qu’il a peint, au dire de C. R. Leslie,
son admirable portrait de la Comtesse Grosvenor (aujourd'hui à Stafford
House), et un portrait à mi-corps de Benjamin West, « le meilleur
portrait d’homme qu’il ait peint ».
« La Révolution française, dit lord Ronald Gower, avait entre
autres changements fait disparaître la mode des cheveux poudrés. A
l’âge de la poudre succéda l’âge de la pommade. Lawrence était
l’homme qu’il fallait pour introduire dans le portrait la mode
nouvelle. Les gentlemen s’étaient mis à porter des manteaux et des
cols en pyramide, avec d’innombrables gilets de toutes couleurs
s’entassant l’un sur l’autre; des bottes à la hessoise, des redingotes
de velours bordées de fourrures. Les dames se coiffaient de vastes
turbans où étaient piqués des oiseaux du Paradis. Leur taille montait
jusque sous leurs bras, que couvraient seuls des gants d’une
longueur fantastique, montant jusqu’aux épaules où se dressaient
pour les recevoir d’énormes gigots. Enfin des boucles de cheveux
éparses couvraient le front et les yeux... Pendant les trente ans
qui suivirent, Lawrence travailla sans relâche à peindre ses modèles
dans ces accoutrements monstrueux. Bien qu’il fût lui-mème très
simple de manières, et qu’il s’habillât toujours de noir, il n’y â
guère de portraits de lui où les modèles, hommes ou femmes, ne
soient vêtus de rouge ou de vert, de bleu ou de pourpre. On ne
pouvait naturellement pas attendre de Lawrence qu’il refusât
d’admettre ou qu’il modifiât dans ses portraits les modes du jour :
mais à coup sûr il ne paraît pas s’être rendu compte du ridicule de
ces modes. »
Lord Ronald Gower ne prévoyait pas que ces modes de la fin du
siècle dernier, les modes féminines surtout, cesseraient de nouveau
de paraître ridicules à la fin de ce siècle-ci, et que dans les portraits
de Lawrence comme dans ceux de David et de Gérard, les toilettes
de 1800, loin d’être une source de déplaisir, contribueraient encore
au charme de la peinture. Mais il n’en est pas moins certain que,
pendant les années qui suivirent l’insuccès de son Satan et qui
coïncidèrent en effet avec le plus complet épanouissement de ces