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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
muscles. Une belle lumière s’étend sur la joue, s’étale sur la page.
Tout est visible et tout est lisible. L’ombre devient une magie quand
elle est peinte de cette façon-là. » Il était impossible au passionné
critique de faire amende honorable avec plus de verve et d’éclat.
A la suite du Salon de 1878, l’artiste reçut une distinction
depuis longtemps méritée et qui lui fut très sensible : il était
nommé chevalier de la Légion d’honneur. Il y a quatre ans, il fut
promu au grade d’officier. Modeste et fier, il convient de lui rendre
cette justice que ces distinctions, pourtant enviées de quiconque
manie le pinceau ou l’ébauchoir, Ribot ne les a point sollicitées.
A ses deux magistrales peintures dont nous venons de parler,
l’artiste ajouta successivement plusieurs nouvelles toiles d’une
exécution non moins admirable. La plupart ont figuré, en 1890, à la
première exposition delaSociété nationale des Beaux-Arts, au Champ-
de-Mars. L’artiste s’y produisait avec dix nouveaux ouvrages parmi
lesquels on distinguait : Les titres de famille (dont la gravure a paru
dans la Gazette, t. III, livraison de juin 1890), la Femme aux lunettes,
les Perles noires, Au sermon, la Tricoteuse et, par-dessus tout cette
superbe figure de femme intitulée Une Flamande, qui, sous le rapport
du rendu de la chair est, peut-être, ce que Ribot aura produit de plus
achevé, de plus fouillé et de plus prestigieux. Son tableau, Devant
le Calvaire, où cinq femmes, vêtues de noir, debout dans un lieu vague,
regardent au loin on ne sait quoi, sans doute un crucifix, noyé dans
la nuit, était du plus poignant effet et montrait que l’artiste, ainsi
qu’il l’avait déjà prouvé dans ses Descente de croix, contenait en lui
une certainefaculté devision romantique, pourrait-ondire,plutôt que
mystique, mais en tout cas étrange et singulière et capable, avec des
moyens presque naïfs, d’inspirer on ne sait quel mystérieux émoi,
quel religieux frisson.
En cette présente année 1891 il avait envoyé les llècureurs,
la Tireuse de cartes, le Livre d’images, deux intérieurs de cuisine,
pleuplés de ses amusants marmitons, et divers tableaux de nature-
morte, notamment un plantureux et triomphant Gigot où il montrait,
une fois de plus, qu’il est bien, dans ce genre de peinture, de la pure
lignée de Chardin.
Ribot, dont l’œuvre est tout portrait, n’a eu que de rares
occasions de peindre le portrait proprement dit, le portrait décoratif
1. Indépendamment de ses envois aux Salons, les œuvres de Ribot ont été
l’objet de deux expositions, chez MM. Bernheim, rue Laffitte, qui ont publié des
catalogues très bien illustrés, notamment par M. Desmoulin.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
muscles. Une belle lumière s’étend sur la joue, s’étale sur la page.
Tout est visible et tout est lisible. L’ombre devient une magie quand
elle est peinte de cette façon-là. » Il était impossible au passionné
critique de faire amende honorable avec plus de verve et d’éclat.
A la suite du Salon de 1878, l’artiste reçut une distinction
depuis longtemps méritée et qui lui fut très sensible : il était
nommé chevalier de la Légion d’honneur. Il y a quatre ans, il fut
promu au grade d’officier. Modeste et fier, il convient de lui rendre
cette justice que ces distinctions, pourtant enviées de quiconque
manie le pinceau ou l’ébauchoir, Ribot ne les a point sollicitées.
A ses deux magistrales peintures dont nous venons de parler,
l’artiste ajouta successivement plusieurs nouvelles toiles d’une
exécution non moins admirable. La plupart ont figuré, en 1890, à la
première exposition delaSociété nationale des Beaux-Arts, au Champ-
de-Mars. L’artiste s’y produisait avec dix nouveaux ouvrages parmi
lesquels on distinguait : Les titres de famille (dont la gravure a paru
dans la Gazette, t. III, livraison de juin 1890), la Femme aux lunettes,
les Perles noires, Au sermon, la Tricoteuse et, par-dessus tout cette
superbe figure de femme intitulée Une Flamande, qui, sous le rapport
du rendu de la chair est, peut-être, ce que Ribot aura produit de plus
achevé, de plus fouillé et de plus prestigieux. Son tableau, Devant
le Calvaire, où cinq femmes, vêtues de noir, debout dans un lieu vague,
regardent au loin on ne sait quoi, sans doute un crucifix, noyé dans
la nuit, était du plus poignant effet et montrait que l’artiste, ainsi
qu’il l’avait déjà prouvé dans ses Descente de croix, contenait en lui
une certainefaculté devision romantique, pourrait-ondire,plutôt que
mystique, mais en tout cas étrange et singulière et capable, avec des
moyens presque naïfs, d’inspirer on ne sait quel mystérieux émoi,
quel religieux frisson.
En cette présente année 1891 il avait envoyé les llècureurs,
la Tireuse de cartes, le Livre d’images, deux intérieurs de cuisine,
pleuplés de ses amusants marmitons, et divers tableaux de nature-
morte, notamment un plantureux et triomphant Gigot où il montrait,
une fois de plus, qu’il est bien, dans ce genre de peinture, de la pure
lignée de Chardin.
Ribot, dont l’œuvre est tout portrait, n’a eu que de rares
occasions de peindre le portrait proprement dit, le portrait décoratif
1. Indépendamment de ses envois aux Salons, les œuvres de Ribot ont été
l’objet de deux expositions, chez MM. Bernheim, rue Laffitte, qui ont publié des
catalogues très bien illustrés, notamment par M. Desmoulin.