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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Loire, en ce « Jardin de France » dont l'antique cité de saint Martin
était la capitale. Par bonheur, si le studieux pèlerin du grand
Jubilé, si le portraitiste tourangeau déjà apprécié et accueilli avec
faveur à Rome, avait subi, en traversant la Toscane et l’Ombrie, le
charme des suaves haleines de la Primavera, l’indépendance de son
goût n’en fut pas atteinte : non transformé, plus riche seulement et
plus mûr, il revint au sol natal avec des vues élargies, un esprit
fidèle à son fonds propre sous l’ornement d'une parure nouvelle ;
et les fruits de sa maturité, moins âpres sans doute, gardèrent
néanmoins toute la saveur du terroir.
Après lui, au moment où nous nous plaçons, les brises d’Italie
soufflèrent plus fréquentes, plus tièdes aussi et plus parfumées, vers
les régions de la Loire et de la Seine, jusqu’à devenir amollissantes,
énervantes même. Ce fut, par une prise de possession insensible, la
revanche des vaincus sur le terrain des arts ; ce fut la consommation
d'un trop délicieux esclavage, en attendant les tristesses de l’abdi-
cation... Dans la période de transition qui nous occupe, rien n'est
encore aliéné de notre patrimoine; le plus souvent, un accord
exquis, une harmonie parfois adorable, s’opèrent entre les qualités
natives des deux races d’artistes. Par Fouquet — touchant souvenir
de voyage — quelque chose nous avait été apporté de la première
génération des quattrocentisti, un reflet du doux maître de Fiesolc
et de la chapelle de Nicolas Y, un avant-goût du disciple de Fra
Angelico, Benozzo Gozzoli, et du Palazzo Riccardi. Maintenant, ce
sont les échos de nouvelles et plus brillantes renommées qui nous
parviennent : non seulement celles des descendants directs des deux
maîtres précédents, tels que Domenico Ghirlandajo,mais aussi celles
des subtils élèves d’un autre Frère, plus émancipé dans son art et
dans sa vie, celles des continuateurs profanes du profane Filippo
Lippi. Puis, avec leurs grands successeurs, la religion italienne, à
qui suffisaient d’abord quelques chapelles françaises, envahit presque
toute l’église nationale ; c’est à peine si elle lui laisse le portrait. La
piété simple des premiers temps, l’admiration indépendante et fière,
ont dégénéré peu à peu en une foi aveugle, en une servile supersti-
tion... Comment l'idolâtrie, comment le fétichisme n'eussent-ils pas
supplanté le sage et libre culte, alors que les dieux en personne,
quittant l’Olympe, descendaient des Alpes vers nous?...
Ainsi nous arrivons, enfin, à cette décevante école de Fontai-
nebleau, à l’excès de ses élégances, à la mièvrerie de ses grâces ; la
contagion a gagné le Nord même, elle nous enveloppe de toutes
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Loire, en ce « Jardin de France » dont l'antique cité de saint Martin
était la capitale. Par bonheur, si le studieux pèlerin du grand
Jubilé, si le portraitiste tourangeau déjà apprécié et accueilli avec
faveur à Rome, avait subi, en traversant la Toscane et l’Ombrie, le
charme des suaves haleines de la Primavera, l’indépendance de son
goût n’en fut pas atteinte : non transformé, plus riche seulement et
plus mûr, il revint au sol natal avec des vues élargies, un esprit
fidèle à son fonds propre sous l’ornement d'une parure nouvelle ;
et les fruits de sa maturité, moins âpres sans doute, gardèrent
néanmoins toute la saveur du terroir.
Après lui, au moment où nous nous plaçons, les brises d’Italie
soufflèrent plus fréquentes, plus tièdes aussi et plus parfumées, vers
les régions de la Loire et de la Seine, jusqu’à devenir amollissantes,
énervantes même. Ce fut, par une prise de possession insensible, la
revanche des vaincus sur le terrain des arts ; ce fut la consommation
d'un trop délicieux esclavage, en attendant les tristesses de l’abdi-
cation... Dans la période de transition qui nous occupe, rien n'est
encore aliéné de notre patrimoine; le plus souvent, un accord
exquis, une harmonie parfois adorable, s’opèrent entre les qualités
natives des deux races d’artistes. Par Fouquet — touchant souvenir
de voyage — quelque chose nous avait été apporté de la première
génération des quattrocentisti, un reflet du doux maître de Fiesolc
et de la chapelle de Nicolas Y, un avant-goût du disciple de Fra
Angelico, Benozzo Gozzoli, et du Palazzo Riccardi. Maintenant, ce
sont les échos de nouvelles et plus brillantes renommées qui nous
parviennent : non seulement celles des descendants directs des deux
maîtres précédents, tels que Domenico Ghirlandajo,mais aussi celles
des subtils élèves d’un autre Frère, plus émancipé dans son art et
dans sa vie, celles des continuateurs profanes du profane Filippo
Lippi. Puis, avec leurs grands successeurs, la religion italienne, à
qui suffisaient d’abord quelques chapelles françaises, envahit presque
toute l’église nationale ; c’est à peine si elle lui laisse le portrait. La
piété simple des premiers temps, l’admiration indépendante et fière,
ont dégénéré peu à peu en une foi aveugle, en une servile supersti-
tion... Comment l'idolâtrie, comment le fétichisme n'eussent-ils pas
supplanté le sage et libre culte, alors que les dieux en personne,
quittant l’Olympe, descendaient des Alpes vers nous?...
Ainsi nous arrivons, enfin, à cette décevante école de Fontai-
nebleau, à l’excès de ses élégances, à la mièvrerie de ses grâces ; la
contagion a gagné le Nord même, elle nous enveloppe de toutes