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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Cette tombe d’Humayoun forme un des traits saillants du pano-
rama qui entoure Delhi. Les deux portails, la spacieuse terrasse qui
T’exhausse, la simplicité du plan — un carre de murs central à pans
coupés surmonté d'un dôme, accolé de quatre tours plus petites et
de dessin pareil — et les jardins qui l’entourent, lui impriment un
grand caractère. Au centre, le coffre de marbre blanc du cénotaphe
est noblement posé, dans sa nudité éloquente, sous le vaste dôme.
C’en est assez pour sentir, malgré l’absence d’inscriptions lapidaires,
que là dut trouver son terme une vie d’épreuves magnanimes et
fécondes.
Avec Akbar nous quittons Delhi pour Agra ou plutôt Futteh-
pore-Sikri, la capitale qu’il fit surgir autour de l’ermitage du pieux
Sélim Christi et d’où pendant quinze ans il gouverna son empire.
Abandonnée à la suite de raisons stratégiques ou à cause du manque
d’eau, elle couronne encore son rocher, sans avoir relativement trop
souffert de l'injure du temps, et peut-être n’existe-t-il pas d’ensemble
monumental plus homogène et plus expressif, ni qui révèle plus
libéralement une maîtrise et une personnalité. C'est une création plus
complète que Versailles, par exemple, en ce sens que les règnes sui-
vants n’y ont rien ajouté. Et Versailles, dénuée de sensibilité, mais
admirable leçon de goût, selon M. Barrés qui prodigue en France de si
beaux dons de voyageur, Versailles présente la faute de goût de
répéter sans discrétion l’apothéose servile d’une personnalité
certes imposante par le sens de sa prérogative et de sa dignité,
mais intellectuellement bornée, sans philosophie ni inquiétude
humaine. Quelle autre ampleur dans le caractère d’un Akbar !
Quelle leçon que son éclectisme pour un contemporain comme
Philippe II d’Espagne ou pour le monarque des Dragonnades, un
siècle plus tard ! Toute cette race des Timourides montre une
conception profonde de la destinée, de la vanité universelle, émou-
vante chez ces élus ou ces fléaux de Dieu, et dont le fatalisme iro-
nique ou grave s’égale souvent, par la majesté de l’accent, au
stoïcisme d’un Marc-Aurèle. Timour, en recevant Bajazet prisonnier
dans sa tente, éclate de rire. L’empereur s’étonne, interroge.
« C’est que je pense, répond leMogol, que dans trente ans nous serons
morts tous deux, le vainqueur et le vaincu. » Baber, dans ses
mémoires candides et terribles, entre le récit d’une nuit d’amour
et de vin, et l'épisode d’un « minaret de crânes » bâti quelque soir
de bataille, raconte qu’il pleura au parfum d’un melon de Kaboul,
en souvenir de sa patrie. Akbar couvre de sentences désabusées la
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Cette tombe d’Humayoun forme un des traits saillants du pano-
rama qui entoure Delhi. Les deux portails, la spacieuse terrasse qui
T’exhausse, la simplicité du plan — un carre de murs central à pans
coupés surmonté d'un dôme, accolé de quatre tours plus petites et
de dessin pareil — et les jardins qui l’entourent, lui impriment un
grand caractère. Au centre, le coffre de marbre blanc du cénotaphe
est noblement posé, dans sa nudité éloquente, sous le vaste dôme.
C’en est assez pour sentir, malgré l’absence d’inscriptions lapidaires,
que là dut trouver son terme une vie d’épreuves magnanimes et
fécondes.
Avec Akbar nous quittons Delhi pour Agra ou plutôt Futteh-
pore-Sikri, la capitale qu’il fit surgir autour de l’ermitage du pieux
Sélim Christi et d’où pendant quinze ans il gouverna son empire.
Abandonnée à la suite de raisons stratégiques ou à cause du manque
d’eau, elle couronne encore son rocher, sans avoir relativement trop
souffert de l'injure du temps, et peut-être n’existe-t-il pas d’ensemble
monumental plus homogène et plus expressif, ni qui révèle plus
libéralement une maîtrise et une personnalité. C'est une création plus
complète que Versailles, par exemple, en ce sens que les règnes sui-
vants n’y ont rien ajouté. Et Versailles, dénuée de sensibilité, mais
admirable leçon de goût, selon M. Barrés qui prodigue en France de si
beaux dons de voyageur, Versailles présente la faute de goût de
répéter sans discrétion l’apothéose servile d’une personnalité
certes imposante par le sens de sa prérogative et de sa dignité,
mais intellectuellement bornée, sans philosophie ni inquiétude
humaine. Quelle autre ampleur dans le caractère d’un Akbar !
Quelle leçon que son éclectisme pour un contemporain comme
Philippe II d’Espagne ou pour le monarque des Dragonnades, un
siècle plus tard ! Toute cette race des Timourides montre une
conception profonde de la destinée, de la vanité universelle, émou-
vante chez ces élus ou ces fléaux de Dieu, et dont le fatalisme iro-
nique ou grave s’égale souvent, par la majesté de l’accent, au
stoïcisme d’un Marc-Aurèle. Timour, en recevant Bajazet prisonnier
dans sa tente, éclate de rire. L’empereur s’étonne, interroge.
« C’est que je pense, répond leMogol, que dans trente ans nous serons
morts tous deux, le vainqueur et le vaincu. » Baber, dans ses
mémoires candides et terribles, entre le récit d’une nuit d’amour
et de vin, et l'épisode d’un « minaret de crânes » bâti quelque soir
de bataille, raconte qu’il pleura au parfum d’un melon de Kaboul,
en souvenir de sa patrie. Akbar couvre de sentences désabusées la