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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dont l’échelle des nombres serait la gamme infinie. En continuant à
songer sur ce thème et les généralisations qu’il comporte, en admet-
tant la chimère d’un tel système esthétique devenu conscient, on
demeure surpris de ses possibilités. C’est l’architecture, le plus
positif des arts, ravie par delà les besognes de l’utile, se jouant des
fatalités de la matière, gravitant, messagère enivrée d’initiations
nouvelles, vers les sphères de l’émotion pure où, seule, beauté
désormais signifie vérité ou sagesse. Pour la sculpture et la pein-
ture, c’est d’abord l'affranchissement. L’art se libère de sa tâche
simiesque, héritage d’humbles ancêtres; il cesse de copier. Révolu-
tion inouïe, à laquelle préludèrent, peut-être sans le savoir,les archi-
tectes arabes, et qui changerait l’axe du monde esthétique. Echappée
vers l’incréé, non pas loin des formes épuisées, mais à travers les
formes mêmes, pénétrées, illuminées du dedans parleur loi resplen-
dissante, les formes-formules ! Rupture apparente avec la Nature
selon le canon ruskinien, mais, en vérité, possession autrement
intime et exaltante de la Nature en son plus mystérieux mystère et
sa plus jalouse volupté ! La science et l’art opéreraient leur synthèse
merveilleuse à une hauteur que nous n’aurions même pas rêvée, et
il nous resterait à couronner de mains pieuses les œuvres sacrées au
pied desquelles l’humanité enfant, après avoir frémi de jeune
allégresse, vénérera, dans la force de son âge, une promesse plus
belle encore que leur leçon.
Cette crise sans doute nécessaire, que l’Islam, sans ses vicissitudes
et moins buté contre sa foi, eût peut-être opérée, les architectes
d’Akbar la pressentirent si peu qu’ils couvrirent les alvéoles polyé-
driques, noyèrent les pures arêtes, lièrent les réseaux mystiques et
leur virtualité d’expansion indéfinie, de tous les feuillages et de
toutes les fleurs, depuis le lotus du Gange jusqu’aux roses de l’Iran.
L’art persan, ses grâces riantes et faciles, devaient séduire et attarder
l’art musulman sur le seuil d’un destin extraordinaire. L’aryen
antropomorphe et imitateur — dont la Grèce antique fut le type le
plus parfait — prenait le dessus, enchaînait la rêverie transcen-
dantale du Sémite. Défaite admirable, que nous ne pouvons nous
persuader de regretter, en en contemplant les vestiges.
Si la polychromie persane n’envahit pas encore l’extérieur du
monument en revêtement de faïences multicolores — elle le fera
moins d’un siècle plus tard, et nous donnera la ravissante mosquée
de Wazir-Khan, à Lahore — elle se répand en peintures murales à
l’intérieur, tend les murs austères d’une tapisserie chatoyante,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dont l’échelle des nombres serait la gamme infinie. En continuant à
songer sur ce thème et les généralisations qu’il comporte, en admet-
tant la chimère d’un tel système esthétique devenu conscient, on
demeure surpris de ses possibilités. C’est l’architecture, le plus
positif des arts, ravie par delà les besognes de l’utile, se jouant des
fatalités de la matière, gravitant, messagère enivrée d’initiations
nouvelles, vers les sphères de l’émotion pure où, seule, beauté
désormais signifie vérité ou sagesse. Pour la sculpture et la pein-
ture, c’est d’abord l'affranchissement. L’art se libère de sa tâche
simiesque, héritage d’humbles ancêtres; il cesse de copier. Révolu-
tion inouïe, à laquelle préludèrent, peut-être sans le savoir,les archi-
tectes arabes, et qui changerait l’axe du monde esthétique. Echappée
vers l’incréé, non pas loin des formes épuisées, mais à travers les
formes mêmes, pénétrées, illuminées du dedans parleur loi resplen-
dissante, les formes-formules ! Rupture apparente avec la Nature
selon le canon ruskinien, mais, en vérité, possession autrement
intime et exaltante de la Nature en son plus mystérieux mystère et
sa plus jalouse volupté ! La science et l’art opéreraient leur synthèse
merveilleuse à une hauteur que nous n’aurions même pas rêvée, et
il nous resterait à couronner de mains pieuses les œuvres sacrées au
pied desquelles l’humanité enfant, après avoir frémi de jeune
allégresse, vénérera, dans la force de son âge, une promesse plus
belle encore que leur leçon.
Cette crise sans doute nécessaire, que l’Islam, sans ses vicissitudes
et moins buté contre sa foi, eût peut-être opérée, les architectes
d’Akbar la pressentirent si peu qu’ils couvrirent les alvéoles polyé-
driques, noyèrent les pures arêtes, lièrent les réseaux mystiques et
leur virtualité d’expansion indéfinie, de tous les feuillages et de
toutes les fleurs, depuis le lotus du Gange jusqu’aux roses de l’Iran.
L’art persan, ses grâces riantes et faciles, devaient séduire et attarder
l’art musulman sur le seuil d’un destin extraordinaire. L’aryen
antropomorphe et imitateur — dont la Grèce antique fut le type le
plus parfait — prenait le dessus, enchaînait la rêverie transcen-
dantale du Sémite. Défaite admirable, que nous ne pouvons nous
persuader de regretter, en en contemplant les vestiges.
Si la polychromie persane n’envahit pas encore l’extérieur du
monument en revêtement de faïences multicolores — elle le fera
moins d’un siècle plus tard, et nous donnera la ravissante mosquée
de Wazir-Khan, à Lahore — elle se répand en peintures murales à
l’intérieur, tend les murs austères d’une tapisserie chatoyante,