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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Nous avons eu au Salon de la Société Nationale, en 1899, une
collection instructive de ces dessins, documents immédiats sur
lesquels Cazin travaillait. Dirai-je que nous les avons admirés ? Oui,
si du moins on retire à ce mot d’« admiration » tout ce qu'il implique
de surprise déconcertée devant quelque prouesse inimitable. Il
semblait que tout le monde, avec de l’application, de la ferveur et
un peu d’étude, eût pu dessiner aussi bien que Cazin. Et ce qu’il y
avait de plus instructif, de plus précieux à garder de cette exposition,
c'était cela justement. Très peu de dextérité, un scrupule extrême,
des hésitations dans le trait, des brisures, d’innombrables reprises ;
et, en fait de dons supérieurs, seulement un flair singulier pour
choisir le spectacle digne d’être regardé et conforme à sa tournure
personnelle de sensibilité. Je me trompe : en fait de dons supérieurs,
tous ceux, justement, qui tiennent moins à la technique qu’à la
moralité, qui attestent moins l'excellence du peintre que la valeur
de l’homme. Quelle leçon ! Et quel encouragement aussi, car ce
parti pris d’honnêteté, dans un homme au cœur fin, servi par des
moyens qui n’ont rien de prestigieux, a suffi à faire de Cazin un
artiste de toute rareté.
Il ne faut donc pas, si on veut l’apprécier équitablement et le
bien goûter, concentrer toute son attention sur sa technique. Certes,
il s’était beaucoup soucié de cette partie ; ses préparations étaient fort
expertes, ses tons rompus très déliés, la fluidité de son travail tout
à fait délicieuse ; il avait aussi essayé des divers procédés connus, la
peinture à la cire, la gouache, le pastel, pour arriver à la matité que
demandaient certaines harmonies sourdes. Mais c’était encore par
scrupule de bon ouvrier qu’il s’était imposé ces recherches, afin que
le travail fût bien fait... Ce qu’il eut en propre, ce qui fut sa distinc-
tion et sa marque, ce qu'il faut regretter de lui, tout en nous réjouis-
sant de l’avoir possédé parmi nous et d’en garder de si charmants
témoignages, c'est une sensibilité neuve et inédite quant à son objet,
et aussi par un certain mélange singulier de tristesse inquiète et de
tendre sérénité.
L’objet auquel cette sensibilité s’attache n’avait jamais, il me
semble, frappé les artistes. C’est la stérilité de Ja terre, la vacuité du
ciel, enfin l’inverse de tout ce qui réjouissait l’imagination païenne.
Un sol où rien ne prospère, une cabane boudeuse, un chien-et-loup
frissonnant, ou bien encore la monotonie de longues files d’arbres
bordant une route, la mesquinerie de petites maisons alignées dans
une rue de province, une charretterie, un moulin hors d’usage, un
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Nous avons eu au Salon de la Société Nationale, en 1899, une
collection instructive de ces dessins, documents immédiats sur
lesquels Cazin travaillait. Dirai-je que nous les avons admirés ? Oui,
si du moins on retire à ce mot d’« admiration » tout ce qu'il implique
de surprise déconcertée devant quelque prouesse inimitable. Il
semblait que tout le monde, avec de l’application, de la ferveur et
un peu d’étude, eût pu dessiner aussi bien que Cazin. Et ce qu’il y
avait de plus instructif, de plus précieux à garder de cette exposition,
c'était cela justement. Très peu de dextérité, un scrupule extrême,
des hésitations dans le trait, des brisures, d’innombrables reprises ;
et, en fait de dons supérieurs, seulement un flair singulier pour
choisir le spectacle digne d’être regardé et conforme à sa tournure
personnelle de sensibilité. Je me trompe : en fait de dons supérieurs,
tous ceux, justement, qui tiennent moins à la technique qu’à la
moralité, qui attestent moins l'excellence du peintre que la valeur
de l’homme. Quelle leçon ! Et quel encouragement aussi, car ce
parti pris d’honnêteté, dans un homme au cœur fin, servi par des
moyens qui n’ont rien de prestigieux, a suffi à faire de Cazin un
artiste de toute rareté.
Il ne faut donc pas, si on veut l’apprécier équitablement et le
bien goûter, concentrer toute son attention sur sa technique. Certes,
il s’était beaucoup soucié de cette partie ; ses préparations étaient fort
expertes, ses tons rompus très déliés, la fluidité de son travail tout
à fait délicieuse ; il avait aussi essayé des divers procédés connus, la
peinture à la cire, la gouache, le pastel, pour arriver à la matité que
demandaient certaines harmonies sourdes. Mais c’était encore par
scrupule de bon ouvrier qu’il s’était imposé ces recherches, afin que
le travail fût bien fait... Ce qu’il eut en propre, ce qui fut sa distinc-
tion et sa marque, ce qu'il faut regretter de lui, tout en nous réjouis-
sant de l’avoir possédé parmi nous et d’en garder de si charmants
témoignages, c'est une sensibilité neuve et inédite quant à son objet,
et aussi par un certain mélange singulier de tristesse inquiète et de
tendre sérénité.
L’objet auquel cette sensibilité s’attache n’avait jamais, il me
semble, frappé les artistes. C’est la stérilité de Ja terre, la vacuité du
ciel, enfin l’inverse de tout ce qui réjouissait l’imagination païenne.
Un sol où rien ne prospère, une cabane boudeuse, un chien-et-loup
frissonnant, ou bien encore la monotonie de longues files d’arbres
bordant une route, la mesquinerie de petites maisons alignées dans
une rue de province, une charretterie, un moulin hors d’usage, un