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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des vases de marbre ou de bronze qui ornaient les jardins. Les
œuvres de Perrault, ce qu’il conçut et ce qu’il fit exécuter, ont
encore grande allure dans ce Panthéon des gloires artistiques du
siècle de Louis XIY. Leur forme sobre, élégante, essentiellement
décorative, est bien en harmonie avec ce cadre majestueux, un peu
emphatique dans sa noblesse rigide et froide, et c’est là, ainsi
entouré, qu’on comprend et qu’on goûte le mieux ce que fit Claude
Perrault, satellite de ce monarque qui avait pris le soleil pour
emblème, et qui prétendait échauffer de scs rayons toutes les imagi-
nations, les séduire à la fois et les éblouir.
Au surplus, le talent d’architecte de Claude Perrault n’était
pas aussi spontané qu’on le pourrait croire. Comme il arrive sou-
vent, il était fait, pour une large part, d’une patience ingénieuse et
subtile, que les contemporains méconnurent, mais qui n’en existait
pas moins réellement. Maintes fois on a disputé sur le point de
savoir si l’architecture, pareille en cela à d’autres arts, admettait
l’improvisation et s’il suffisait, pour être architecte, de concevoir
l’ordonnance générale d’un édifice et d’assembler quelques expres-
sions architectoniques, sans assurer le détail de l’exécution. Naturel-
lement, les architectes de profession nient cette possibilité et, pour
expliquer le cas de Claude Perrault, ils ont imaginé les raisonnements
les plus variés. Prétendre pousser jusqu’au bout la discussion sur ce
point serait hors de saison, puisque les documents péremptoires font
aujourd’hui défaut. Mais on peut faire remarquer, avec preuves à
l’appui, que nul mieux que Perrault n’avait étudié les ouvrages
d’architecture, anciens ou modernes, qu’il avait traduit et commenté
Vitruve avec un savoir à la fois personnel et informé, qu’il l’avait
mis à la portée du public de son temps dans des ouvrages qui, quoi
qu’on en dise, firent autorité. C’était là un excellent moyen d’ap-
prendre la théorie du métier et l’utilisation des matériaux. Con-
trairement à ce qui advint pour les publications littéraires de Claude
Perrault, ses œuvres artistiques sont pleines de tact et de goût ;
c’est un humaniste, pour ainsi dire, qui sait adapter à sa propre
personnalité et aux besoins de son temps des données fournies par
les productions antiques, et les parfaire sans en détériorer le
caractère. En mourant, Claude Perrault laissait le manuscrit d'un
ouvrage sur U Ordonnance des cinq espèces de colonnes selo?i la
méthode des anciens, manuscrit que son frère Charles publia en
1683. C’est le résumé, la quintessence de ce travail de sélection fait
par l’artiste à son usage, à travers les enseignements des anciens,
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des vases de marbre ou de bronze qui ornaient les jardins. Les
œuvres de Perrault, ce qu’il conçut et ce qu’il fit exécuter, ont
encore grande allure dans ce Panthéon des gloires artistiques du
siècle de Louis XIY. Leur forme sobre, élégante, essentiellement
décorative, est bien en harmonie avec ce cadre majestueux, un peu
emphatique dans sa noblesse rigide et froide, et c’est là, ainsi
entouré, qu’on comprend et qu’on goûte le mieux ce que fit Claude
Perrault, satellite de ce monarque qui avait pris le soleil pour
emblème, et qui prétendait échauffer de scs rayons toutes les imagi-
nations, les séduire à la fois et les éblouir.
Au surplus, le talent d’architecte de Claude Perrault n’était
pas aussi spontané qu’on le pourrait croire. Comme il arrive sou-
vent, il était fait, pour une large part, d’une patience ingénieuse et
subtile, que les contemporains méconnurent, mais qui n’en existait
pas moins réellement. Maintes fois on a disputé sur le point de
savoir si l’architecture, pareille en cela à d’autres arts, admettait
l’improvisation et s’il suffisait, pour être architecte, de concevoir
l’ordonnance générale d’un édifice et d’assembler quelques expres-
sions architectoniques, sans assurer le détail de l’exécution. Naturel-
lement, les architectes de profession nient cette possibilité et, pour
expliquer le cas de Claude Perrault, ils ont imaginé les raisonnements
les plus variés. Prétendre pousser jusqu’au bout la discussion sur ce
point serait hors de saison, puisque les documents péremptoires font
aujourd’hui défaut. Mais on peut faire remarquer, avec preuves à
l’appui, que nul mieux que Perrault n’avait étudié les ouvrages
d’architecture, anciens ou modernes, qu’il avait traduit et commenté
Vitruve avec un savoir à la fois personnel et informé, qu’il l’avait
mis à la portée du public de son temps dans des ouvrages qui, quoi
qu’on en dise, firent autorité. C’était là un excellent moyen d’ap-
prendre la théorie du métier et l’utilisation des matériaux. Con-
trairement à ce qui advint pour les publications littéraires de Claude
Perrault, ses œuvres artistiques sont pleines de tact et de goût ;
c’est un humaniste, pour ainsi dire, qui sait adapter à sa propre
personnalité et aux besoins de son temps des données fournies par
les productions antiques, et les parfaire sans en détériorer le
caractère. En mourant, Claude Perrault laissait le manuscrit d'un
ouvrage sur U Ordonnance des cinq espèces de colonnes selo?i la
méthode des anciens, manuscrit que son frère Charles publia en
1683. C’est le résumé, la quintessence de ce travail de sélection fait
par l’artiste à son usage, à travers les enseignements des anciens,