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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
membres, toute la famille de Pierre II de Bourbon, laquelle se
trouve réunie dans un ensemble pictural postérieur aux deux pré-
cédents : le triptyque de Moulins, que nous étudierons plus tard.
Pourrons-nous jamais reconstituer ces deux ensembles origi-
naux : le triptyque de 1488, ou le retable du duc et de la duchesse
de Bourbon ; l’oratoire portatif de Suzanne de Bourbon, ou le diptyque
d’après 1490? Il est à craindre que non. Et Paccident est d’autant
plus fâcheux que, par une singulière malechance, il nous prive d’un
élément d’appréciation indispensable pour bien juger le maître de
1488 en son entier, pour l’embrasser en toute son envergure.
En effet, si nous pouvons nous faire une juste et pleine idée du
portraitiste et du paysagiste, nous ignorons tout à fait l’interprète de
la fiction, dont les deux scènes religieuses manquantes nous auraient
donné plus qu’un aperçu. Nous savons comment le peintre compre-
nait la partie réaliste de son art et s'entendait à rendre la nature ;
nous ne pouvons, nous ne pourrons peut-être jamais connaître son
degré d’imagination, son aptitude à traduire les actions idéales, sa
force de conception vraiment créatrice1. Le maître de Moulins n’a
pas éprouvé ce déni de justice du destin : si le paysage ne figure
pas dans les œuvres de lui que nous examinerons, ce n’est évidem-
ment point du fait de mutilations, de dislocations ou de destructions,
mais par un effet de l’instinct ou du libre arbitre de l’artiste, qui ne
se sentait que peu de goût ou n’avait que peu de disposition pour cette
partie de son art, puisqu’elle ne figure ni dans les ensembles, ni dans
les fragments de lui que nous possédons, et où elle aurait pu parfaite-
ment trouver place. C’est là une différence — nous tenons à la marquer
dès à présent — avec son prédécesseur de 1488, qu’il ne faudrait pas
trop vite qualifier de moindre envergure, à cause des lacunes en
question, surtout s’il était l’auteur d'un quatrième fragment que
des liens nombreux, étroits, rattachent aux précédents et à la plus
belle tradition de Foucquet; un chef-d’œuvre dont l’honneur, en
tout cas, doit revenir à notre école nationale.
CAMILLE BENOIT
(La suite prochainement.)
1. Le saint Pierre et le saint Jean ne sont pas des figures d'action, mais plutôt
des « statues » peintes.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
membres, toute la famille de Pierre II de Bourbon, laquelle se
trouve réunie dans un ensemble pictural postérieur aux deux pré-
cédents : le triptyque de Moulins, que nous étudierons plus tard.
Pourrons-nous jamais reconstituer ces deux ensembles origi-
naux : le triptyque de 1488, ou le retable du duc et de la duchesse
de Bourbon ; l’oratoire portatif de Suzanne de Bourbon, ou le diptyque
d’après 1490? Il est à craindre que non. Et Paccident est d’autant
plus fâcheux que, par une singulière malechance, il nous prive d’un
élément d’appréciation indispensable pour bien juger le maître de
1488 en son entier, pour l’embrasser en toute son envergure.
En effet, si nous pouvons nous faire une juste et pleine idée du
portraitiste et du paysagiste, nous ignorons tout à fait l’interprète de
la fiction, dont les deux scènes religieuses manquantes nous auraient
donné plus qu’un aperçu. Nous savons comment le peintre compre-
nait la partie réaliste de son art et s'entendait à rendre la nature ;
nous ne pouvons, nous ne pourrons peut-être jamais connaître son
degré d’imagination, son aptitude à traduire les actions idéales, sa
force de conception vraiment créatrice1. Le maître de Moulins n’a
pas éprouvé ce déni de justice du destin : si le paysage ne figure
pas dans les œuvres de lui que nous examinerons, ce n’est évidem-
ment point du fait de mutilations, de dislocations ou de destructions,
mais par un effet de l’instinct ou du libre arbitre de l’artiste, qui ne
se sentait que peu de goût ou n’avait que peu de disposition pour cette
partie de son art, puisqu’elle ne figure ni dans les ensembles, ni dans
les fragments de lui que nous possédons, et où elle aurait pu parfaite-
ment trouver place. C’est là une différence — nous tenons à la marquer
dès à présent — avec son prédécesseur de 1488, qu’il ne faudrait pas
trop vite qualifier de moindre envergure, à cause des lacunes en
question, surtout s’il était l’auteur d'un quatrième fragment que
des liens nombreux, étroits, rattachent aux précédents et à la plus
belle tradition de Foucquet; un chef-d’œuvre dont l’honneur, en
tout cas, doit revenir à notre école nationale.
CAMILLE BENOIT
(La suite prochainement.)
1. Le saint Pierre et le saint Jean ne sont pas des figures d'action, mais plutôt
des « statues » peintes.