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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
double flamme, qui palpite au vent comme les ailes d’un oiseau de
haut vol, semblent-ils nous apporter du nouveau. Le portrait du
prélat agenouillé rappelle celui de Pierre II, avec plus de style, plus
de finesse dans l’exécution1. Mais c’est surtout à la noble figure
debout, celle du patron — un vrai portrait aussi, —que se mesure
l’étendue du progrès accompli. Cette expression de bonté pensive
est d’un sentiment profond et rare. C’est bien l’esprit — mais seu-
lement l’esprit — des grandes figures de Hugo van der Goes, trans-
porté dans une autre région. Ici, plus de nimbe autour de la tête du
saint protecteur, plus de toque coiffant le donateur, mais des cou-
ronnes, feuillage tressé et relevé au front d’un bijou, ou cercle d’or
rehaussé d’une alternance de perles et de gemmes. Nous nous ache-
minons à une conception plus profane, plus mondaine des person-
nages, même sacrés. Cette évolution laïque trouvera un terme dans
le maître de Moulins, à l’œuvre duquel le tableau de Glasgow se relie
aussi, et peut d’ailleurs, à maint autre égard, servir de trait d'union2.
Avant d’aborder l’étude de cet autre maître, il faut bien toucher
quelques mots de la question réservée plus haut, celle de la qualité
des personnages représentés.
Le saint patron, avec sa cuirasse, son étendard et son bouclier,
apparaît comme un saint d’ordre militaire, un de ces nombreux
officiers de la milice romaine convertis au christianisme, et qui,
martyrs de leur foi, sacrifièrent au Christ leurs honneurs et leur
vie. Ici, est-ce saint Adrien, saint Maurice, saint Sébastien ou saint
Victor que nous voyons? Ce dernier nom a été proposé; et la cou-
ronne de laurier qui ceint le front confirmerait cette désignation,
en l’absence d’attributs bien nettement significatifs. Quant au blason
— sur fond de gueules une « escarboucle » d'or à huit rais fleur-
delysés — qui figure deux fois, à l’écu et au pennon flottant au
sommet de la lance, il faudrait d’assez longues recherches pour en
bien établir l’origine et fixer le sens. Il faudrait aussi le revoir
attentivement sur la peinture même. Jusqu’ici, je n’ai trouvé
d’approchant que celui d’une maison bourguignonne, la famille des
de Ray, ainsi formulé : «de gueules, aux rais d’escarboucles, pom-
1. Il faut dire aussi que l’état de conservation du panneau de Glasgow est
infiniment meilleur que celui du panneau de Paris... C’est ici le lieu de donner
les dimensions du premier (je les avais omises, ne faisant pas une description en
règle pour l’instant) : il mesure 0m56 de haut sur 0m46 de large.
2. Le saint debout est ganté de blanc, innovation de date récente, dont
nous rencontrons des exemples plus tard.
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double flamme, qui palpite au vent comme les ailes d’un oiseau de
haut vol, semblent-ils nous apporter du nouveau. Le portrait du
prélat agenouillé rappelle celui de Pierre II, avec plus de style, plus
de finesse dans l’exécution1. Mais c’est surtout à la noble figure
debout, celle du patron — un vrai portrait aussi, —que se mesure
l’étendue du progrès accompli. Cette expression de bonté pensive
est d’un sentiment profond et rare. C’est bien l’esprit — mais seu-
lement l’esprit — des grandes figures de Hugo van der Goes, trans-
porté dans une autre région. Ici, plus de nimbe autour de la tête du
saint protecteur, plus de toque coiffant le donateur, mais des cou-
ronnes, feuillage tressé et relevé au front d’un bijou, ou cercle d’or
rehaussé d’une alternance de perles et de gemmes. Nous nous ache-
minons à une conception plus profane, plus mondaine des person-
nages, même sacrés. Cette évolution laïque trouvera un terme dans
le maître de Moulins, à l’œuvre duquel le tableau de Glasgow se relie
aussi, et peut d’ailleurs, à maint autre égard, servir de trait d'union2.
Avant d’aborder l’étude de cet autre maître, il faut bien toucher
quelques mots de la question réservée plus haut, celle de la qualité
des personnages représentés.
Le saint patron, avec sa cuirasse, son étendard et son bouclier,
apparaît comme un saint d’ordre militaire, un de ces nombreux
officiers de la milice romaine convertis au christianisme, et qui,
martyrs de leur foi, sacrifièrent au Christ leurs honneurs et leur
vie. Ici, est-ce saint Adrien, saint Maurice, saint Sébastien ou saint
Victor que nous voyons? Ce dernier nom a été proposé; et la cou-
ronne de laurier qui ceint le front confirmerait cette désignation,
en l’absence d’attributs bien nettement significatifs. Quant au blason
— sur fond de gueules une « escarboucle » d'or à huit rais fleur-
delysés — qui figure deux fois, à l’écu et au pennon flottant au
sommet de la lance, il faudrait d’assez longues recherches pour en
bien établir l’origine et fixer le sens. Il faudrait aussi le revoir
attentivement sur la peinture même. Jusqu’ici, je n’ai trouvé
d’approchant que celui d’une maison bourguignonne, la famille des
de Ray, ainsi formulé : «de gueules, aux rais d’escarboucles, pom-
1. Il faut dire aussi que l’état de conservation du panneau de Glasgow est
infiniment meilleur que celui du panneau de Paris... C’est ici le lieu de donner
les dimensions du premier (je les avais omises, ne faisant pas une description en
règle pour l’instant) : il mesure 0m56 de haut sur 0m46 de large.
2. Le saint debout est ganté de blanc, innovation de date récente, dont
nous rencontrons des exemples plus tard.