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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 8.1912

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Koechlin, Charles: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24885#0092

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

spire d’un principe nouveau : une succession d’attitudes immobiles, attitudes de
statues et de bas-reliefs de la Grèce archaïque. Souvent aussi, le haut du corps
reste fige', tandis que les jambes l’entraînent en fuyant. C’est se placer franche-
ment, délibérément, hors de la vraisemblance et de la réalité. Reste à savoir si
l'artiste n’a pas ce droit; et, atout prendre, on ne voit pas bien quelle règle
a priori s’y opposerait si le résultat est harmonieux. Ce résultat ne manque pas
de saveur; parfois il est charmant; et si, par instant, la plastique surprend un peu,
on reconnaît assez vite à quelle simplicité, à quelle pureté peut conduire ce
parti pris singulier. Non que j’estime qu’un beau mouvement déforme fâcheuse-
ment les lignes, ni que la conception de M. Nijinsky soit la seule possible, ni
même peut-être la plus belle. Mais les gestes ainsi réduits à l’essentiel se fixent
avec ordre dans la vision, et l’ensemble du spectacle est une impression de repos
et de sérénité. Je sais bien qu’on critiquera certains détails de réalisation : des
changements de poses si brusques qu’ils semblent exécutés par des marion-
nettes; des gestes archéologiquement exacts, à coup sûr, mais par là même un
peu gauches, étriqués, mécaniques. (Car, si les sculpteurs archaïques ont observé
certains canons, par ignorance d’autres procédés ou par crainte d’enfreindre la
tradition, il en résulte que leurs œuvres donnent parfois quelque impression de
maladresse, comparées à celles de la plus belle époque athénienne.) Certes, on
peut dire tout cela. On peut même regretter que la musique de M. Debussy
n’apparaisse que comme un fond sonore nettement distinct de l’adaptation plas-
tique. Mais, étant donnée la conception de M. Nijinsky, toute sa réalisation
m’apparaît très une et très logique. Or cette conception est la conséquence
immédiate de sa nature même et de la manière dont il a compris le Faune.
L'époque archaïque a dû s’imposer à son choix, peut-être par un goût naturel
pour des temps très anciens, — donc nouveaux, — sans doute aussi par analogie
avec ce qu’il comptait nous faire voir : un jeune mâle ingénu, insoucieux, un peu
gauche bien qu’infiniment agile, subitement troublé par la vue du mystère
féminin, mais gardant un tact et une réserve extrêmes, et dans tout cela obser-
vant la plus harmonieuse sobriété de gestes et d’attitudes.

Quant à l’accueil triomphal que lui fit le public, il me semble qu’on serait
bien injuste d’y voir l’effet d'un snobisme quelconque. Les applaudissements
enthousiastes qui ont reçu Y Après-midi d'un Faune, le Spectre de la Rose, Pétrouchka,
Schéhërazade, sont pour moi l’indice d’une admiration sincère et intelligente.
Est-ce l’aube de la « Renaissance plastique » ?

CHAULES KŒCHLIN
 
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