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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 8.1912

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Nr. 5
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Marcel, Henry: Un peintre de la vie rustique au XVIIe siècle: Jean Siberechts
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https://doi.org/10.11588/diglit.24885#0402

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JEAN SIBERECHTS

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demment il envisage dans la vie des champs une source abondante
de thèmes pittoresques, il la peint avec une fidélité sans réserves
(un détail naturaliste du dernier tableau, sur lequel nous n'avons
pas insisté, le prouve) et, par conséquent, avec la sympathie que
l’artiste ne peut manquer d’éprouver pour ses modèles habituels,
qui lui constituent peu à peu, non seulement un matériel, un milieu,
mais presque quelque chose comme une société. Néanmoins, en les
peignant, il se défend, sans bien y penser, aussi bien de la tendance
à ridiculiser ses gagne-pain, ce dont tant de ses confrères tiraient
une popularité fructueuse, que de leur prêter une noblesse et une
fierté innées, de quoi ne s’est jamais avisé aucun Flamand ou Hollan-
dais de la bonne époque. Le respect dù aux travaux utiles, la majesté
attachée aux fonctions nourricières, voilà des inventions d’idéologue,
des thèmes d’amplificateur littéraire qui auraient fait au moins sou-
rire Siberechts. IL ne se fût pas davantage avisé d’apitoyer le specta-
teur sur la dureté du métier de la terre, sur les risques parfois tra-
giques des intempéries ou des fléaux. Aucun drame, naturel ou
humain : tempête, inondation, irruption de larrons armés, n’est
représenté dans les ouvrages que l’on connaît du peintre. Ce n’est
pas lui qui eut tenté, à l’exemple d’Egbert van der Poel, d’exploiter
la« sublime horreur» des incendies. On vit en paix dans ses fermes,
on circule sans crainte sur ses chemins ; chose curieuse, nul loque-
teux n’y tend la main (il faut, au reste, faire la part des ouvrages
perdus, ou non identifiés).

A ce compte, aucun des personnages des Le Nain, de qui
M. Durand-Gréville rapproche ingénieusement Siberechts, ni la
piteuse famille entassée dans la Charrette du Louvre, ni le hâve
Forgeron et les mornes Buveurs qui l’avoisinent, ne sauraient être
évoqués à son propos. A ces pauvres diables, si à court devant la
dure destinée, comparons les laitières de notre homme, bien pei-
gnées, suffisamment lavées, soigneuses de leurs frustes et propres
vêtements, et dont le front bombé, les yeux droits, s’éclairent rare-
ment d’un sourire, mais qui vaquent à leurs tâches avec un acquiesce-
ment placide. C’est une tout autre humanité, que maladies, chô-
mages et famines semblent d’accord pour épargner. Assurément, sur
les visages massifs, au fort menton, il n’y a ni joie ni malice; nul
pli de réflexion ne les sillonne. Ce sont des bipèdes instinctifs, très
voisins de leurs bestiaux familiers, voués aux tâches coutumières,
sans ambitions ni curiosités vaines. Et là gît peut-être le secret de
la démarche calme et de la mine assurée qui les distinguent.
 
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