GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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Sèvres, les peintures de Desporles. J’imagine qu’il devait beaucoup aimer
cette ferme, ce pont, ces ruminants, ce ruisseau, et je soupçonne qu’il dut
être tenté d'y ajouter des canards. Corot, au contraire, n’aurait eu qu’indiffé-
rence pour ces jouets de carton et il eût réservé toute sa sympathie pour les
lointains. Regarder même la prairie ou le feuillage du premier plan, comme
s'ils étaient à l’horizon, n’est-ce pas là tout Corot? N’est-ce pas la vision
moderne ?
*
* *
Devant ces images encore si vivantes, notre tentation est grande de nous
élever, après tant d’autres, contre les conventions qui, de tout temps et sur-
tout à l’époque classique, ont étouffé la sincérité de nos artistes et leur ont
fait croire qu’une peinture d’histoire ou quelque panneau de salle à manger
pouvait être un chef-d’œuvre, tandis qu’une modeste esquisse toute fraîche
cueillie dans la nature ne comptait pas. Mais il faut toujours résister à la
tentation de critiquer le passé. Nous pouvons bien regretter que Desportes
— ou, si vous le voulez, Yan der Meulen — ait été conduit par la mode,
par l’esthétique ambitieuse de son temps à dédaigner ses croquis d’après
nature pour ne vouloir montrer que de la « grande peinture », mais à con-
dition de nous rappeler que c’est pour servir cette grande peinture que les
artistes ont été amenés à découvrir la nature, à nous la faire connaître dans
leurs œuvres, avant que nous la vissions dans la réalité.
Félicitons-nous plutôt qu'un artiste, parti pour composer des chasses
décoratives ait rencontré sur son chemin des aspects qui n’étaient pour
lui que des accessoires et qui sont maintenant à nos yeux ce qu’il y a de
plus senti, de plus profond dans son œuvre. Il nous paraît plus grand
par ces esquisses qui le mettent en contact direct avec nous par delà
les conventions d’école. Il est un point de vue d’où les lois de la peinture
nous paraissent avoir détourné de la nature des peintres comme Desportes ;
il en est un autre d'où ces mêmes lois nous semblent au contraire l’avoir
conduit à la découverte de cette nature. Cette remarque dépasse l’histoire de
l’art. Quand nous regardons en arrière, il y a toujours deux manières de
juger le passé ; suivant notre humeur ou notre point de vue, nous lui repro-
chons d’avoir fait obstacle à T avenir, ou nous le remercions d'avoir préparé
le présent.
LOUIS HOURTICQ
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Sèvres, les peintures de Desporles. J’imagine qu’il devait beaucoup aimer
cette ferme, ce pont, ces ruminants, ce ruisseau, et je soupçonne qu’il dut
être tenté d'y ajouter des canards. Corot, au contraire, n’aurait eu qu’indiffé-
rence pour ces jouets de carton et il eût réservé toute sa sympathie pour les
lointains. Regarder même la prairie ou le feuillage du premier plan, comme
s'ils étaient à l’horizon, n’est-ce pas là tout Corot? N’est-ce pas la vision
moderne ?
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Devant ces images encore si vivantes, notre tentation est grande de nous
élever, après tant d’autres, contre les conventions qui, de tout temps et sur-
tout à l’époque classique, ont étouffé la sincérité de nos artistes et leur ont
fait croire qu’une peinture d’histoire ou quelque panneau de salle à manger
pouvait être un chef-d’œuvre, tandis qu’une modeste esquisse toute fraîche
cueillie dans la nature ne comptait pas. Mais il faut toujours résister à la
tentation de critiquer le passé. Nous pouvons bien regretter que Desportes
— ou, si vous le voulez, Yan der Meulen — ait été conduit par la mode,
par l’esthétique ambitieuse de son temps à dédaigner ses croquis d’après
nature pour ne vouloir montrer que de la « grande peinture », mais à con-
dition de nous rappeler que c’est pour servir cette grande peinture que les
artistes ont été amenés à découvrir la nature, à nous la faire connaître dans
leurs œuvres, avant que nous la vissions dans la réalité.
Félicitons-nous plutôt qu'un artiste, parti pour composer des chasses
décoratives ait rencontré sur son chemin des aspects qui n’étaient pour
lui que des accessoires et qui sont maintenant à nos yeux ce qu’il y a de
plus senti, de plus profond dans son œuvre. Il nous paraît plus grand
par ces esquisses qui le mettent en contact direct avec nous par delà
les conventions d’école. Il est un point de vue d’où les lois de la peinture
nous paraissent avoir détourné de la nature des peintres comme Desportes ;
il en est un autre d'où ces mêmes lois nous semblent au contraire l’avoir
conduit à la découverte de cette nature. Cette remarque dépasse l’histoire de
l’art. Quand nous regardons en arrière, il y a toujours deux manières de
juger le passé ; suivant notre humeur ou notre point de vue, nous lui repro-
chons d’avoir fait obstacle à T avenir, ou nous le remercions d'avoir préparé
le présent.
LOUIS HOURTICQ