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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Venise et sur Florence, les deux foyers les plus lumineux de la civilisation
passée, qu'à la fin du xvie siècle la nuit est descendue le plus brusquement.
D’autre part, aux deux siècles suivants, le théâtre d’alors a envahi et enivré
la peinture, si bien que la vie profonde et recueillie de l’art du quattrocento
et du cinquecento sembla se muer en Académies solennelles et décoratives
qui n'étaient que des finales d’acte ou des tableaux plastiques, et parfois en
mouvements emphatiques et désordonnés où l’on sentait la recherche de
l'effet et des applaudissements. A la fin du xvie et au xvne siècle les peintres
eux-mêmes ne surent pas avoir d’autre ambition que d’imiter les plus célèbres
de leurs prédécesseurs ; ils voulaient combiner les qualités de dessin, de cou-
leur, de grâce, de force, de composition qui étaient propres à Léonard, à
Michel-Ange, à Raphaël, à Titien, à Véronèse, à Corrège ; ils en tiraient
quelques préceptes, qui ressemblaient à des recettes pharmaceutiques, et l’on
ne pouvait pas, en vérité, demander à la critique la plus bienveillante d’être
moins timide que les peintres eux-mêmes ne l’avaient été dans leurs pro-
grammes. Enfin, à partir da xvnc siècle les Flandres, l'Espagne, la France et
l’Angleterre eurent leurs écoles nationales, qui durent beaucoup, il est vrai, à
l’Italie, mais réussirent à créer des œuvres belles et célèbres qui éclipsèrent,
souvent à juste titre, la renommée des écoles italiennes contemporaines.
Marcel Reymond lui-même, qui fut pourtant un des premiers et des plus
avisés historiens de notre art baroque, s’attacha surtout à en étudier la
sculpture et l’architecture.
Il faut noter un autre fait en ce qui concerne la France. Tous les grands
peintres français, de Vouet à Poussin, viennent à Rome chercher
L’union de la grâce et des proportions,
et le mouvement français s’achève avec Le Brun et l’Académie, c’est-à-dire
avec un art discipliné par une volonté unique. En Italie, au contraire, une
fois qu’on a dépassé la période la plus étroitement austère du Concile de
Trente, de la contre-Réforme et de 1’ « Ecclesia mililans », le mouvement
devient entièrement centrifuge, non seulement à Rome avec 1 « Ecclesia
triumphans », mais encore à Naples, Bologne, Milan, Gênes et Venise. C’est
une tumultueuse délivrance après la tyrannie de l’Académie de Florence et de
celle des Carrache. Reste la tradition ; reste le respect des grands modèles ;
mais chacun les aime à sa façon, d’après son tempérament et sa passion.
L’art baroque, en peinture comme en architecture, n’est pas la décadence ;
son esprit n’est pas contraire à celui de la Renaissance ; il en est la continua-
tion tumultueuse. La contre-épreuve, on la trouve en Allemagne : l’Allemagne,
qui n’a pas eu de Renaissance, n’a pas eu d’art original ni au xvu% ni au
xvnie siècle.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Venise et sur Florence, les deux foyers les plus lumineux de la civilisation
passée, qu'à la fin du xvie siècle la nuit est descendue le plus brusquement.
D’autre part, aux deux siècles suivants, le théâtre d’alors a envahi et enivré
la peinture, si bien que la vie profonde et recueillie de l’art du quattrocento
et du cinquecento sembla se muer en Académies solennelles et décoratives
qui n'étaient que des finales d’acte ou des tableaux plastiques, et parfois en
mouvements emphatiques et désordonnés où l’on sentait la recherche de
l'effet et des applaudissements. A la fin du xvie et au xvne siècle les peintres
eux-mêmes ne surent pas avoir d’autre ambition que d’imiter les plus célèbres
de leurs prédécesseurs ; ils voulaient combiner les qualités de dessin, de cou-
leur, de grâce, de force, de composition qui étaient propres à Léonard, à
Michel-Ange, à Raphaël, à Titien, à Véronèse, à Corrège ; ils en tiraient
quelques préceptes, qui ressemblaient à des recettes pharmaceutiques, et l’on
ne pouvait pas, en vérité, demander à la critique la plus bienveillante d’être
moins timide que les peintres eux-mêmes ne l’avaient été dans leurs pro-
grammes. Enfin, à partir da xvnc siècle les Flandres, l'Espagne, la France et
l’Angleterre eurent leurs écoles nationales, qui durent beaucoup, il est vrai, à
l’Italie, mais réussirent à créer des œuvres belles et célèbres qui éclipsèrent,
souvent à juste titre, la renommée des écoles italiennes contemporaines.
Marcel Reymond lui-même, qui fut pourtant un des premiers et des plus
avisés historiens de notre art baroque, s’attacha surtout à en étudier la
sculpture et l’architecture.
Il faut noter un autre fait en ce qui concerne la France. Tous les grands
peintres français, de Vouet à Poussin, viennent à Rome chercher
L’union de la grâce et des proportions,
et le mouvement français s’achève avec Le Brun et l’Académie, c’est-à-dire
avec un art discipliné par une volonté unique. En Italie, au contraire, une
fois qu’on a dépassé la période la plus étroitement austère du Concile de
Trente, de la contre-Réforme et de 1’ « Ecclesia mililans », le mouvement
devient entièrement centrifuge, non seulement à Rome avec 1 « Ecclesia
triumphans », mais encore à Naples, Bologne, Milan, Gênes et Venise. C’est
une tumultueuse délivrance après la tyrannie de l’Académie de Florence et de
celle des Carrache. Reste la tradition ; reste le respect des grands modèles ;
mais chacun les aime à sa façon, d’après son tempérament et sa passion.
L’art baroque, en peinture comme en architecture, n’est pas la décadence ;
son esprit n’est pas contraire à celui de la Renaissance ; il en est la continua-
tion tumultueuse. La contre-épreuve, on la trouve en Allemagne : l’Allemagne,
qui n’a pas eu de Renaissance, n’a pas eu d’art original ni au xvu% ni au
xvnie siècle.