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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
station devant cette Pietà de Campagna, que j’ai toujours admirée également
pour la façon magistrale dont le corps du Christ est traité ; la morbidesse de
la chair y est rendue comme en dehors de l’antique et de Michel-Ange, on
le voit rarement.
Une autre création de Campagna, aussi grandiose que la Pietà est intime
et touchante, est la décoration du maître-autel de San Giorgio Maggiore.
La composition géniale, la pompe de ce groupe font qu’on ne peut l’oublier,
ne l’eût-on vu qu’une fois. C’est un globe doré énorme, le monde, dominé
par le geste hiératique du Père Eternel, et que supportent sur leurs épaules
les quatre géants de la Révélation, les Evangélistes Mathieu, Marc, Luc et
Jean, que la colombe du Paraclet inspire.
L’impression reçue de ce chef-d’œuvre ne s’effaça jamais de ma mémoire ;
j’avais examiné, étudié ces têtes expressives, ces bras aux muscles saillants,
ces structures d’athlètes, ces envolées de draperies accompagnant, soulignant
les attitudes, et, cette vision surgissant très nette de mes souvenirs devant le
Moïse, je reconnus la main du véritable auteur.
Une simple comparaison avec une photographie de ce monument suffit à
convaincre que le même modèle a posé pour la tête du Très-Haut, du
premier Évangéliste de gauche (saint Jean) aussi bien que pour notre Moïse.
Le crâne puissant est le même, trois fois répété, et la formule très spéciale des
draperies est identique aussi. Nous la trouvons d’ailleurs chez le Tintoret :
longs plis profondément creusés et ininterrompus, que l’on peut suivre depuis
le point où ils prennent naissance jusqu’au bout. Regardez les bras: celui de
Moïse est bien le compagnon de ceux des quatre Evangélistes de San Giorgio,
façonnés par la même main.
J’ai trouvé dans la biographie de l’Aliense, peintre d’origine grecque
(Antonio Vassilacchi) publiée dans le Maraviglie deïïarte du « cavalier »
Carlo Ridolli1 un épisode qui se rapporte étroitement à notre sujet. En l’an
1676 Campagna, jeune alors, travaillait à Padoue pendant que Varotari,
assisté par Vassilacchi, décorait de fresques le castel des seigneurs de Capi-
dilista situé près de la ville au sommet de la Montecchia. Le hasard rappro-
cha le jeune Antonio de notre Gerolamo, son aîné de six ans; ils se lièrent
d’amitié pour la vie: charmante et féconde union qui devait, quinze ans plus
tard, procurer à notre sculpteur la joie de réaliser dans son art une inspira-
tion géniale de son ami le peintre.
Vers cette époque, en 1691, les Bénédictins de San Giorgio avaient
reconstruit leur église d’aprcs les plans grandioses de Palladio comportant
plusieurs autels que devaient orner des toiles du Tintoret et autres contem-
. Padoue, 1837, vol. II.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
station devant cette Pietà de Campagna, que j’ai toujours admirée également
pour la façon magistrale dont le corps du Christ est traité ; la morbidesse de
la chair y est rendue comme en dehors de l’antique et de Michel-Ange, on
le voit rarement.
Une autre création de Campagna, aussi grandiose que la Pietà est intime
et touchante, est la décoration du maître-autel de San Giorgio Maggiore.
La composition géniale, la pompe de ce groupe font qu’on ne peut l’oublier,
ne l’eût-on vu qu’une fois. C’est un globe doré énorme, le monde, dominé
par le geste hiératique du Père Eternel, et que supportent sur leurs épaules
les quatre géants de la Révélation, les Evangélistes Mathieu, Marc, Luc et
Jean, que la colombe du Paraclet inspire.
L’impression reçue de ce chef-d’œuvre ne s’effaça jamais de ma mémoire ;
j’avais examiné, étudié ces têtes expressives, ces bras aux muscles saillants,
ces structures d’athlètes, ces envolées de draperies accompagnant, soulignant
les attitudes, et, cette vision surgissant très nette de mes souvenirs devant le
Moïse, je reconnus la main du véritable auteur.
Une simple comparaison avec une photographie de ce monument suffit à
convaincre que le même modèle a posé pour la tête du Très-Haut, du
premier Évangéliste de gauche (saint Jean) aussi bien que pour notre Moïse.
Le crâne puissant est le même, trois fois répété, et la formule très spéciale des
draperies est identique aussi. Nous la trouvons d’ailleurs chez le Tintoret :
longs plis profondément creusés et ininterrompus, que l’on peut suivre depuis
le point où ils prennent naissance jusqu’au bout. Regardez les bras: celui de
Moïse est bien le compagnon de ceux des quatre Evangélistes de San Giorgio,
façonnés par la même main.
J’ai trouvé dans la biographie de l’Aliense, peintre d’origine grecque
(Antonio Vassilacchi) publiée dans le Maraviglie deïïarte du « cavalier »
Carlo Ridolli1 un épisode qui se rapporte étroitement à notre sujet. En l’an
1676 Campagna, jeune alors, travaillait à Padoue pendant que Varotari,
assisté par Vassilacchi, décorait de fresques le castel des seigneurs de Capi-
dilista situé près de la ville au sommet de la Montecchia. Le hasard rappro-
cha le jeune Antonio de notre Gerolamo, son aîné de six ans; ils se lièrent
d’amitié pour la vie: charmante et féconde union qui devait, quinze ans plus
tard, procurer à notre sculpteur la joie de réaliser dans son art une inspira-
tion géniale de son ami le peintre.
Vers cette époque, en 1691, les Bénédictins de San Giorgio avaient
reconstruit leur église d’aprcs les plans grandioses de Palladio comportant
plusieurs autels que devaient orner des toiles du Tintoret et autres contem-
. Padoue, 1837, vol. II.