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— 123 —

d'avoir bien fait. La seule trace de sa défail-
lance doit disparaître, et, dût-il ne point l'ef-
facer lui-même, l'opinion publique s'en char-
gera, en refusant de reconnaître comme
émanant de lui ce Sauveur décoloré. M. Can-
neel, au lieu de commencer, aurait dû finir
par là, car on remarque qu'au fur et à mesure
qu'il marche dans son travail et qu'il en tou-
che le sommet, il devient digne de com-
prendre le Christ.

Chose bizarre! à peine a-t-il secoué cette
difficulté, que le chemin s'élargit et qu'il
marche avec de soudaines allures de force et
de fierté. Il sent tellement le prix de sa liberté
qu'il en exagère même l'expression. Ses douze
Apôtres, de dimensions formidables, se déve-
loppent sur les murs du chœur d'une façon
un peu titanesque, mais, il faut en convenir,
avec une parfaite harmonie, si on n'examine
que les six groupes entre eux. Ce qui les rend
si forts, si puissants, c'est leur comparaison
avec les personnages de la galerie inférieure.
Les deux parties du chœur, considérées
isolément, sont parfaitement comprises ;
rapprochées l'une de l'autre, elles se con-
trarient plutôt qu'elles ne se nuisent; toujours
est-il vrai de dire qu'il y a là une dissonnance
dont il ne faut pas accuser l'auteur seul mais
aussi, et plus légitimement peut-être, la
disposition des murs et des fenêtres.

L'aspect général de ces Apôtres révèle
les tendances des écoles du midi. Dans la
composition, c'est leur ampleur; dans le
dessin, c'est leur contour hàché; dans l'ex-
pression , c'est leur ardeur et leur agitation;
dans le coloris c'est leur manière brusque
de poser le pinceau puis de le retirer, c'est
à dire de peindre par points ou par masses
non retravaillées. Il n'y faut point chercher
le style grave et mélancolique de l'art du
nord, ce dessin suivi et presque réfléchi qui
emprunte à la sculpture son type monumen-
tal, cette couleur émaillée dans laquelle dis-
parait l'artiste au profit de la vérité locale;
chaque zone a sa lumière; dans les régions
chaudes, le soleil éclaire les objets avec un
éclat fulgurant de manière à donner du relief
jusqu'aux moindres détails et à imposer à l'en-
semble l'apparence de mosaïques brillantes ;
dans les régions froides, la nature, moins vi-
goureusement éclairée, revêt un ensemble
plus rêveur. M. Canneel a cru pouvoir dévier
de la routine admise chez nous de marcher
un peu dans les voies des artistes du nord
pour les peintures murales religieuses. Selon
moi, sa tentative n'est pas sans succès, et je
pense que s'il voulait fondre les deux écoles
dans un éclectisme réfléchi, comme il l'a fait
daus sa galerie inférieure, il réussirait com-
plètement. Ce n'est pas un peintre à système,
c'est un artiste à inspiration; le tout est de

trouver la bonne et je suis persuadé qu'il l'a
trouvée dans son groupe de bienheureux,
d'ermites et de bienheureuses auxquel nous
reviendrons.

Il faut distinguer dans les Apôtres une ar-
deur, une foi, un esprit, une passion supé-
| rieurement rendus. L'artiste qui a compris
j les sentiments divers formant la base du
i caractère apostolique des compagnons du
Christ, et qui a su en .matérialiser l'expres-
sion , est évidemment un homme supérieur,
et, il faut le dire, le chiffre de ces natures
d'élite diminue de jour en jour dans le mon-
de des arts. Seulement, elles ont leurs défauts
qu'on leur pardonne volontiers tant leurs
qualités vont à l'âme. Ainsi les Apôtres de
M. Canneel sont trop accentués, et, si n'étaient
leurs ligures si rayonnantes de pensée, on en
aurait peur. Leur personne effraie, leur
visage rassure; leur corps éloigne, leur âme
attire. Ensuite, le peintre pour obéir aux
lois de la perspective, s'est vu obligé de
traiter ses modèles vus de bas en haut, et,
comme il les avait placés trop au bord du
plan sur lequel ils sont posés, il est arrivé
que certains détails ont reçu un relief qui
fatigue le regard et blesse quelquefois le bon
goût.

Parmi ces Apôtres, il en est plusieurs dont
le visage est tout un poëme : tel est par
exemple celui de St. Thomas, où se lit cette
foi courageuse mais souvent ébranlée, qui
forme le type agité de ce robuste pêcheur.

Les autres figures sont également des
pages éloquentes dans lesquelles l'homme et
l'apôtre se résument en une synthèse très
accentuée où l'on pcutvoir poindre et fleurir
les germes de ce christianisme dont ils sont
les premiers initiateurs. Là est pour nous
le grand, le vrai triomphe de l'artiste gan-
tois, et ceux qui, comme nous, marchent,
toujours en éveil, avec l'art contemporain,
pour voir où il va, ceux-là comprendront la
valeur de ce triomphe, car ils savent combien
sont rares les travailleurs qui ont la foi de
leur art et qui en pratiquent fermement la
religion.

Après avoir terminé cette partie de son
œuvre, l'artiste s'est trouvé en face d'un
nouveau monde d'idées. Jusqu'à présent il
avait eu affaire à l'exposé du christianisme,
à sa démonstration ; maintenant il nous en
déroule le triomphe. Ne croyez pas qu'il ait
voulu se dispenser de dépeindre les douleurs
et les luttes de ce christianisme où le sacri-
fice atteint toutes les sublimités; il a repré-
senté les soldats de l'Evangile, non-seule-
ment accompagnés du symbole de leur vie
ou de leur mort, mais aussi revêtus de l'ex-
pression physionomique qui rappelle le
mieux, et cela avec une étonnante force de

démonstration dans l'art plastique, et la cause
pour laquelle le combattant a lutté, et, plus
fortement encore, le caractère passionnel de
ce combattant ; le côté fort, faible, aimant, ter-
rible, enflammé, perplexe, timide ou orgueil-
leux. C'est ainsi qu'on éprouve des sensa-
tions diverses mais délicieuses, tant elles
sont vraies, devant presque tous les membres
de cette pieuse milice. Le premier groupe,
à gauche en entrant dans le chœur, est, sous
ce rapport comme sous celui de la technique,
un des plus beaux morceaux de l'école mo-
derne. La majesté de l'expression, la force as-
cétique, l'ardeur, lefeu, la flamme ardente du
sacrifice, tout cela vit, palpite et rayonne dans
ce groupe des plus illustres moines de la chré-
tienté. En face, il faut aussi mentionner le
groupe de quelques saintes femmes, vérita-
bles merveilles pudiques, douces et char-
mantes, parmi lesquelles Sle Colette est certes
la plus pudique, la plus douce et la plus
charmante. Après ceux-là et celles-là, tout
le monde remarquera un St. Jérôme, d'une
puissante originalité, quelques saints évèques
belges d'une grande noblesse, Ste Hélène,
Ste Elisabeth, presque tout enfin. Je dis
presque à cause de quelques martyrs, revê-
tus de costumes romains très malheureux, et
généralement faibles de composition et d'exé-
cution. Puisque j'en suis à critiquer, signa-
lons quelques mains trop fortes, quelques
tètes trop petites sur des corps trop allongés.
Ce sont là des ombres qu'il ne faut pas fein-
dre de ne point voir. A certains artistes il
faute dire tout, sinon, on deviendrait le com-
plice de leurs faiblesses.

Dans cette dernière partie de son travail,
M. Canneel est beaucoup moins tapageur.
S'il frappe moins, il charme beaucoup plus.
Cette différence est telle qu'on dirait que
deux hommes ont créé ces peintures. L'un,
ardent et rapide comme un Fa Presto, l'au-
tre ému et éclairé comme un Fiesole. C'est là la
marque évidente d'un progrès remarquable
et précieux, et, si nous admettons que ce
progrès persiste, nous aurons un chef-d'œu-
vre à l'église StcAnne, de Gand, que l'ar-
tiste vient d'être chargé de décorer.

La même différence qu'on a signalée dans
le côté expressif se retrouve dans la manière
défaire. Le pinceau de l'artiste est devenu,
dirait-on, plus rêveur; il songe à la cause,
oubliant l'effet; il voit Dieu plus que le
ciel; bref, il s'absorbe et il est résulté de
de celte contemplation intérieure une fac-
ture douce, facile, limpide, s'élaborant de
soi-même sans peine et sans effort, comme
une fleur qui s'ouvre.

Je ne puis terminer cet examen sans félici-
ter M. Canneel du solide succès qu'il vient
de remporter et que chaque jour fortifiera.
 
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