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lies d'une délicatesse exquise, on trouve des
tons heurtés placés les uns à côté des autres,
et qu'il reproduit systématiquement.

Il a fait quelques paysages remarquables :
Ovide chez les Scythes, le fond de son Apollon
vainqueur du serpent Python, au Louvre; mais
la nature est avant tout pour lui un prétexte
pour faire de la couleur. Un rien lui suffit :
une tache fauve — lion, tigre ou panthère
— sur des terrains d'un vert intense avec
des montagnes d'un bleu sombre à l'arrière-
plan, un ciel gris et des nuages orangés à
l'horizon, une lumière pâle, froide et qui est
également répandue partout. C'est là une de
ses notes favorites et qu'il a répétée avec le
plus de complaisance.

Cependant cette foule de tableaux de che-
valet que Delacroix envoyait à chacune de
nos expositions, ne représentent pas, à mon
sens, les côtés les plus élevés de son talent.
C'est dans les importantes peintures murales
dont il a décoré, à diverses époques de sa
vie, quelques églises et quelques palais , qu'il
a particulièrement montré la fertilité, la sou-
plesse de son esprit et les ressources de sa
merveilleuse palette. Il avait le génie de la
décoration. Il entendait'admirablement cette
alliance de la peinture et de l'architecture,
dont les artistes du seizième siècle nous ont
laissé d'inimitables modèles. La peinture
monumentale l'a élevé et soutenu. Elle a dé-
veloppé chez lui des qualités qui ne pouvaient
pas se produire dans les tableaux de petite
ou de moyenne dimension. Que l'on néglige
ces incohérences, ces vulgarités, ces incor-
rections qui se rencontrent dans toutes les
œuvres de Delacroix, et l'on trouvera dans
les peintures du Palais-Législatif, du Luxem-
bourg, dans le plafond d'Apollon, au Louvre,
des beautés de premier ordre et qui dénotent
un talent d'une rare vigueur.

Le sujet des peintures de la salle du Trône,
au palais du Corps-Législatif, est certaine-
ment l'un des plus importants qu'un artiste
puisse se proposer. C'est l'histoire de la civi-
lisation antique, depuis les temps fabuleux
jusqu'à l'invasion de l'Italie par les Barbares.
Delacroix n'est pas resté au-dessous d'une si
grande tâche. Dans une suite de tableaux
qui ornent les cinq petites coupoles de la
salle, il a représenté un certain nombre de
faits qui caractérisentle monde ancien; puis,
dans les deux vastes compositions des hémi-
cycles , Orphée enseignant aux Grecs les arts
de la paix et Attila foulant aux pieds VItalie
et les arts, il a résumé l'antiquité tout entière.
Cette conception grandiose est exécutée dans
quelques-unes de ses parties avec beaucoup
de bonheur. L'Orphée, en particulier, est
l'une des compositions les plus touchantes
et les plus poétiques de Delacroix. Au mi-

lieu des plus beaux paysages, des bergers à
demi-nus, des femmes, des enfants, des nym-
phes, des centaures, toutes les créatures réel-
les ou chimériques qui peuplaient la terre à
l'origine de l'histoire, écoutant, charmées,
les accents du lils d'Apollon. Minerve et Cérès
planent dans l'azur du ciel. Les types, les
ajustements de quelques-uns de ces personna-
ges ne sont rien moins que conformes aux tra-
ditions classiques et cependant il s'exhale de
toutecette scène un certain parfum d'antiquité.
Dans YAttila, au contraire, tout est violence,
mouvement, désordre. Le peintre est ici dans
son élément. Cette dernière convulsion de la
civilisation romaine est exprimée avec la
plus sauvage énergie. Je doute que de sem-
blables sujets, compris de cette manière,
soient du domaine de l'art. Mais cette com-
position prouverait, s'il en était besoin , quel
sentiment vif et profond Delacroix avait de
la vérité historique. Le peintre a pu s'égarer,
l'homme a montré une fois de plus la pers-
picacité et l'étendue de son esprit.

Tout autre que Delacroix aurait reculé
devant la difficulté de décorer de peintures
la bibliothèque du Luxembourg. La coupole,
en effet, n'est éclairée que de bas en haut par
une fenêtre placée au niveau du parquet, et
c'est au milieu de ces conditions déplorables
que le peintre a trouvé le moyen d'exécuter
celle de ses compositions où se trouvent des
beautés de l'ordre le plus élevé. Le sujet est
emprunté au quatrième chant de l'Enfer,
Virgile présente le Dante aux poètes, aux
guerriers, aux sages de l'antiquité.

Ici, comme dans son Orphée du palais
législatif, la scène est calme, et Delacroix
devait résolument renoncer à mettre en sail-
lie ses qualités dramatiques. Il s'est conformé
avec une aisance parfaite à des conditions
qui contrariaient sa nature. II a remplacé
l'énergie par une élégance relative des plus
remarquables. Son Homère, son Ovide, son
Alcibiade ont une largeur, une grâce, un
charme extrêmes. Son Aspasie est ravissante,
et jamais Delacroix n'a représenté la beauté
féminine avec autant de bonheur qu'il ne l'a
fait dans la voluptueuse figure de l'amante de
Périclès.

Ce fut donc un bonheur pour Delacroix
d'avoir à décorer ces grands espaces qui
n'admettent aucune des mesquineries de la
peinture de chevalet. Il a pu donner carrière
à sa féconde et brillante imagination. Il a pu
développer quelques-unes de ses qualités les
plus éminentes. Mais je me demande ce qui
fût arrivé, si, au lieu de rester dès le com-
mencement de sa carrière le seul représentant
de l'extrême réaction romantique, il eût con-
tinué d'avoir, pour le modérer et pour le
diriger, l'esprit ferme et la main sûre de

Géricault. L'espace qui le sépare des tradi-
tions classiques et de M. Ingres en particu-
lier , est trop grand pour qu'il eût été possible
de le franchir. C'est bien réellement du côté
où il a marché que le portait son talent. II
se serait vainement efforcé d'atteindre à ces
beautés que son esprit perspicace comprenait
à merveille, mais qui n'étaient pas dans les
ressources de sa main. Nous avons tous un
homme, une œuvre ou une idée qui nous
apparaît comme le type de la perfection.
C'est à Venise qu'était son étoile polaire, et
je crois volontiers, qu'étant au Louvre devant
les Noces de Cana, il ait pu dire, comme on
l'assure, qu'un jour viendrait où le tableau
de Véronèse serait tenu pour le plus grand
des chefs-d'œuvre. Mais la mort prématurée
de Géricault fut pour lui un irréparable mal-
heur. Il aurait suivi volontiers le jeune auteur
de la Méduse, qu'il regardait comme son
maître, vers ce naturalisme élevé que lui-
même, en une certaine mesure , s'est efforcé
d'atteindre dans ses deux premiers tableaux,
la Barque de Dante et le Massacre de Scio.
Après la mort de Géricault, tout en gardant,
et à un très haut degré, ses brillantes quali-
tés naturelles, il tomba de plus en plus du
côté où il penchait. II n'eut plus affaire qu'à
des dénigrements absolus ou à des admira-
rations fanatiques. Son éducation d'artiste
n'était pas complète. Il aurait eu besoin, à
un certain moment, de conseils sévères et
sympathiques. II ne les trouva pas. La nature
le gênait. Il s'en servit de moins en moins,
et en vint à ces créations qui ne manquent
certes ni d'originalité, ni de charme, ni de
grandeur, mais qui ne reposent pas assez
fermement sur la réalité. De l'héritage de
Géricault il n'a gardé que la conception dra-
matique, le sentiment de la vie et du mouve-
ment. Il subordonne tout à la couleur, qui
devient ainsi le but, au lieu de rester le
moyen. Je ne crois pas manquer de res-
pect à une tombe à peine fermée, en
signalant les ombres d'un si grand et si sym-
pathique talent. Il ne faut pas se le dissimu-
ler, il y a deux rhétoriques, et elle ne valent
guère mieux l'une que l'autre. On veut reve-
nir à la nature, échapper au conventionnel
et à l'académique; mais la laideur, l'incor-
rection systématiques sont une convention
tout autant, pour le moins, que cette beauté
froide et terne, ces formes et ces types usés
qui passent de main en main dans l'école et
auxquels on a raison de vouloir échapper. Le
choix des formes, l'harmonie des lignes, la
sévérité du dessin, la force du modelé, n'ex-
cluent certes ni le sentiment de la vie ni
celui de la couleur. Dans notre siècle même,
et quoique placés à des points de vue très
différents, Géricault et M. Ingres l'ont bien
 
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