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N° 2.

31 Janvier 1875.

Dix-septième Année.

EAUX-ARTS

. ET DE LA LITTERATURE

paraissant deux fois par mois, sous la direction de M. Ad. SIRET, membre de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant
de la Commission royale des monuments, membre de l'Institut des provinces de France; de la Société française d'Archéologie, etc.

OÏST S'ABONKE : à Anvers, chez TESSAEO, éditeur; à Bruxelles, chez DECQ et
DOTENT et chez MUQÏÏARDT; à (iatid, chez HOSTE et chez EOGGHÉ ; à Liège, chez DE SOER
e t ehez DH6Q : à Louvain, chez Ch. PEETERS ; dans les autres villes, chez tous les libraires. Pour
l'Allemagne, la Russie et l'Amérique : C. MTJQUARDT. La France : DUSACQ et Cic, l'aris. Peur
la Hollande : MARTINUS NYHOFF, à la Haye. — PBIX IJ'ABONKKMICNÏ :
pour toute la Belgique (port compris). Par an, 9 fr. — Etranger {port compris) : Allemagne, Angle-

terre, France, Hollande, Italie et Suisse, 12 fr. Pour les autres pays, même prix, le port en sus. —
PEIX PAR KIJMÉEO : 50 c. — RECLAMES : 50 c. la ligne. — Pour les
grandes annonces on traite à l'orfait. —AIN"JNTO!N"CX-CS : 40 e. la ligne. — Pour tout ce qui
regarde l'Administration ou les annonces s'adresser à l'Administration, rue du Progrès, 23, a
St-Nicolas (Flandre orientale) ou à Louvain, rue Marie-Thérèse, 22. — 11 pourra être rendu compte
des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction.

SOMMAIRE : Belgique : Les nouvelles peintures
de l'hôtel de ville de Bruxelles. — Vente de la.col-
lection Sanford. — Notes supplémentaires sur
Frédéric Van de Kerkhove. — Hôltl de ville de
Saint-Nicolas. Concours. — Bibliographie : La
Dentelle. — Jean Joest. — Angleterre : Corres-
pondance particulière : Asst mblée d'évoqués an-
glicans. — Allemagne : Correspondance particu-
lière. — Chronique générale. — Nécrologie. —
Périodiques illustrés. — Annonces.

Igicpue.

LES NOUVELLES PEINTURES
de L'hotel de ville de bruxelles.

La restauration de l'hôtel de ville, commen-
cée il y trente-trois ans et continuée depuis,
sans interruption, ne se borne pas à doter
l'œuvre admirable de Jean de Euysbrocck
d'une nouvelle jeunesse; elle fait plus et mieux
que de la rajeunir: elle l'achève, la complète et
l'enrichit. En effet, tandis qu'une scrupuleuse
science fait réapparaître, extérieurement, avec
leurs formes natives,les délicates effloreseences
de l'art ogival, un goût éclairé préside a la dé-
coration intérieure des salons. Au temps des
conflits et des luttes violentes entre les forces
naissantes de la commune et la vieille auto-
rité des ducs de Brabant, il pouvait suffire que
l'hôtel de ville se présenlùt aux regards (selon
l'expression du comte de Saint-Pol) « comme
une grande et formidable construction » ; au-
jourd'hui, pour rester le symbole de la cité, il
convient qu'il paraisse, non pas formidable,
mais élégant, somptueux, et non dépourvu du
prestige attaché aux belles productions de l'art
contemporain. Cette nécessité a été comprise
et un travail d'harmonisation se réalise peu à
peu, afin de mettre l'organisme de l'édifice en
rapport avec sa destination actuelle. Il trans-
mettra, un jour,à nos descendants, une image
fidèle de l'a prospérité dont la Belgique jouis-
sait pendant la seconde moitié du xix" siècle.

De grandes compositions ont été demandées
à un jeune peintre d'histoire, M. Emile Wau-
ters, et sont en voie d'exécution, tandis que
les Vues du vieux Bruxelles, peintes par M.Van
Moer, viennent d'être enchâssées dans les pan-
neaux d'un salon d'attente précédant le cabinet
du bourgmestre.C'est de cette dernière œuvre,
trop peu connue du public et qui montre le
talent de l'artiste sous un aspect complète-
ment nouveau, que nous voulons entretenir
nos lecteurs.

M. Van Moer occupe, depuis longtemps, une
place des plus honorables dans notre école ;
on se plaisait, assez généralement, à l'y con-
sidérer comme un spécialiste : il s'était sur-
tout fait connaître comme le peintre de la na-
ture méridionale, et ses vues de Venise, de la
Dalmatie, du Portugal, lui avaient fait une

renommée qui s'étendait bien au delà de nos
frontières. On aurait môme pu croire a priori
que, vu sa constitution d'artiste, il ne pouvait
respirer, s'inspirer et peindre qu'en présence
de cette atmosphère chaude et bleuâtre. Or
voici que notre artiste passe tout à coup, des
splendeurs de la ville des Doges aux immon-
dices de sa ville natale. Voici qu'il remplace
les bords du Lido avec ses flots limpides, ses
gondoles et ses barcarolles, par les bords peu
fleuris et moins parfumés encore de la Senne.
— La Senne, cette rivière phénoménale, qui
n'était pas un cours d'eau, mais unépanche-
ment fangeux ! La Senne, qui, au lieu de cou-
ler, s'épatait comme un marais infect! La
Senne, qui ne paraissait avoir d'autres Ilots
que des détritus indéfinissables, ni d'autres
sources que le suintement des murs écaillés
ou verdâtres! Mais n'en parlons plus! La
Senne est aujourd'hui inhumée : que sa boue
repose en paix ! gardons-nous bien de la re-
muer ! gardons - nous surtout d'en médire,
puisqu'un ingénieux et habile artiste a décou-
vert des perles dans son humide fumier.

En suivant les nombreux méandres tracés,
autrefois, par le lit de la rivière, on passait
sur un assez grand nombre de ponts et, de là,
si l'on s'arrêtait, on avait les plus étranges
points de vue : on découvrait subitement les
aspects d'une ville ancienne, attardée, malpro-
pre, et complètement dissemblable de celle
qu'on venait de parcourir. Ce qui s'offrait aux
regards, c'étaient, tantôt, de vieux appentis
de bois, suspendus, en guise de balcon, au
dessus de la Senne et bravant audacieusement
toutes les lois de la statique ; tantôt, un mou-
lin, avec sa roue, formant barrage et se déta-
chant,en vigueur, sur un fond lumineux d'ha-
bitations et de toits rouges ; d'autres fois enfin,
les eaux chaudes et fumantes d'une usine jail-
lisant par un égoût dans la rivière ; ou, bien
encore, les longs bras d'un puisard de brasse-
rie se dressant dans les airs, pareils aux an-
tennes d'un scarabée. Tout cela a disparu, et
le souvenir en serait bientôt effacé si M. Van
Moer, obéissant à son goût du pittoresque et
à ses instincts d'archéologue, n'avait suivi pas
à pas les démolisseurs, qui (selon l'expression
parisienne) Uausmannisaient Bruxelles. Or,
tandis qu'ils employaient la pioche, il se ser-
vait, lui, du pinceau et reproduisait ce qui
allait disparaître, d'abord dans une cinquan-
taine de grandes aquarelles, puis dans quinze
tableaux tonnant la fleur de la collection et
qui, grâce à l'initiative du bourgmestre,ornent
actuellement un des salons de l'hôtel de ville.

Comment, nous dira t on peut-être, prêter
du charme à des tableaux avec des éléments
aussi vulgaires, aussi baroques que ceux que
vous venez d'indiquer ? La vérité, avec sa su-
prême puissance, y suffirait sans doute déjà,
mais l'artiste,pour rendre ses œuvres attracti-
ves, a fait intervenir un second élément dont la

magie est irrésistible : la lumière ! Tous ses
tableanx sont pleins de contrastes sombres et
lumineux, tous représentent diverses heures
du jour, divers états de l'atmosphère,et, à cha-
que fois, la gamme du ciel offre le plus heu-
reux accord avec l'aspect sombre, gai, tran-
quille ou brillant qui résulte de l'ensemble des
constructions. Nous serions long, nous paraî-
trions fastidieux en voulant décrire cette va-
riété même; nous ne l'essayerons que pour
l'une des toiles du maître.

C'est un effet exceptionnel qui a été choisi,
par M. Van Moer, pour le tableau ornant la
cheminée de la salle de l'hôtel de ville et repré-
sentant,à l'approche d'un orage, une vue de la
Senne prise du pont de l'ancienne rue Saint-
Géry. A droite et à gauche, dans la demi-
teinte, des vieux murs percés de fenêtres
irrégulières; au second plan, les construc-
tions charpentées du moulin avec sa roue, son
étroite passerelle et son meunier, qui se
repose avant de se remettre au travail ; au
fond, en plein soleil, les demeures qui fer-
ment la perspective, et, plus haut, au centre
de la composition, la tour Saint-Michel,
avec ses vives et fines dentelures : sous l'in-
fluence des nuages, elle est divisée en deux
zones : l'une sombre vers son sommet, l'autre
lumineuse vers sa base. Tout cela est peint en
pleine pâte, d'un pinceau large et facile, qui,
par un secret trop ignoré, allie la précision
des détails avec le flou de l'ensemble. M. Van
Moer semble savoir mieux que personne, que
si la sécheresse est odieuse aux regards, des
à peu-près de forme ne sauraient satisfaire
l'esprit. Quand il s'agit d'un monument histo-
rique, célèbre, pittoresque, il ne nous suffit
pas de le voir, nous voulons le reconnaître. 11
nous faut un portrait.

C'est, en effet, une galerie de portraits et
d'illustrations que M. Van Moer vient, d'ache-
ver après trois ans de labeurs assidus. Tant
de patience, jointe à tant de verve, constitue
presqu'un phénomène! En général, tout est
hâtif dans notre société avide de luxe et de
sensations, et, si celle-ci n'a pas beaucoup
amélioré le fond des choses, elle en a, tout au
moins, perfectionné l'enveloppe, le débit et
les qualifications qu'elle y rattache. Ce perfec-
tionnement relatif s'est étendu des moindres
aux plus grands produits de l'activité humaine.
Ainsi, pour en citer un exemple, il n'y a pas
longtemps (les quinquagénaires s'en souvien-
nent encore) qu'on ne donnait, aux repas que
deux vins : le blanc et le rouge. Les délicats
seuls se permettaient alors, de vous offrir, à la
fin d'un banquet, quelques verres de lo iîg bou
chon ! Point d'autres noms. Aujourd'hui, les
petits et les grands crus forment, par leur no-
menclature, une véritable litanie, et, si l'on
sort des prix-courants, pour entrer dans les
caves, l'on voit apparaître une suite de Châ-
teaux et une série de Ducs sous des étiquettes
 
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