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N° 5.

13 Mars 1875.

Dix-septième àn.nék.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTERATURE

paraissant deux fois par mois, sous la direction de M. Ad. SIRET, membre de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant
de la Commission royale des monuments, membre de l'Instilut des provinces de France, de la Société française d'Archéologie, etc.

03ST S'ABONNB : à Anvers, chez TESSARO, éditeur; à Bruxelles, chez DECQ et
DUHENT et chez MUQUARDT; à Gand, chez HOSTE et chez EOGGHÉ ; à Liège, chez DE SOEE
e t chez DECQ : à Louvain, chez Ch. PEETEES ; dans les autres Tilles, chez tous les libraires. Pour
l'Allemagne, la Russie et l'Amérique : C. MUQUARDT. La France : DUSACQ et Cie, Paris. Pour
la Hollande : MARTINUS NYHOFF, à la Haye. -PRIX I3'ABON"îvrlCM3£ISrT :
pour toute la Belgique (port compris). Par an, 9 fr. — Etranger (port compris) : Allemagne, Angle-

terre, France, Hollande, Italie et Suisse, 12 fr. Pour les autres paj's, même prix, le port en sus. —
PRIX PAE NUMERO : 50 c. — RECLAM 1,S : 50 e. la ligne. — Pour les
grandes annonces on traite à forfait. —ANNONCES : 40 c. la ligne. — Pour tout ee qui
regarde l'Administration ou les annonces s'adresser à l'Administration, rue du Progrès, 28, à
St-Nieolas (Flandre orientale) ou à Louvain, rue Marie-Thérèse, 22. — Il pourra être rendu compte
des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction.

SOMMAIRE : Belgique : Esquisse psychologique.
—-L'Enfant de Bruges. — Vente de la collection
Baugnée. — Franc*:: Correspondance particulière
de Paris : Corot. — Hollande : Correspondance
particulière : Ventes Coster et Van Troostwyk. —
Chronique générale. — Périodique3 illustrés. —•
Annonces.

JBelgxcrue.
ESQUISSE PSYCHOLOGIQUE.

Nous recevons à propos de Frédéric Van
de Kerkhove la lettre suivante que nous
sommes heureux de pouvoir communiquer
à nos lecteurs. Comme nous, sans doute, ils
apprécieront les hautes pensées philosophi-
ques qu'elle renferme et qui sont exprimées
dans un style plein de noblesse et d'éléva-
tion.

Cher et excellent ami,

Permettez-moi de vous exprimer ma pen-
sée sur l'enfant de génie auquel vous avez
récemment consacré une notice biographi-
que, et que, le premier, vous avez révélé au
monde des arts. Ce fut, il y a quelques jours,
au moment où s'éteignaient les derniers
échos de l'admiration publique sur la tombe
de Frédéric Van de Kerkhove, que je pus me
rendre à l'exposition du Cercle artistique.
L'impression a dépassé mon attente. L'œuvre
est saisissante d'harmonie, de distinction et
me semble sortie du sanctuaire même de
l'âme. Par une heureuse concordance, j'ai vu
exprimer dans votre étude et dans celle de
M. Camille Lemonnier, la plupart de mes
sentiments sur ces merveilleuses peintures.
Les analyser à mon tour serait de la préten-
tion, et parfaitement superflu. Aussi ne
voudrais-je y revenir que pour répondre à
quelques observations qu'a suggérées chez
plusieurs l'éclosion si rapide de ce génie
précoce. Avant de réfuter l'opinion de ceux
qui mettent, en doute qu'un entant puisse
arriver à une telle dextérité, peut-être n'est-
il pas inutile d'émettre mes réflexions sur
ce phénomène spirituel. L'inspiration et l'ha-
bileté me semblent admissibles chez l'enfant
si l'on veut bien tenir compte du rôle que
jouent en lui la matière, l'esprit infini et
l'observation.

L'enfant paraît au jour bien ou mal con-
formé ; selon les métamorphoses antécé-

dentes, c'est un instrument plus ou moins
bien construit. Si les cordes sont mal ten-
dues, le souffle de la vie universelle n'y peut
produire que des sons discordants. Si, au
contraire, il y a perfection d'organisme,
l'enfant peut recevoir, de par sa nature,
l'inspiration créatrice. Il y est apte sans y
avoir de droit : la grâce de Dieu en décide.
Et il faut encore que l'observation du monde
externe s'ajoute à ce trésor natif. Ce terme
observer marque d'ailleurs trop d'étroitesse
de vues ; l'enfant inspiré contemple, et c'est
pour ainsi dire à son insu que se produisent
les détails dans l'harmonie générale de ses
créations. Et non-seulement il a l'amour de
la vieuniverselle, mais aussi l'habileté, la
dextérité innées, l'idée se fondant dans le
mouvement instinctif qui doit la représenter.
Comme l'aiguille aimantée se tourne sûre-
ment vers le nord; comme l'abeille dirige
instinctivement son vol vers les fleurs aux
sucs nourriciers; comme l'oiseau émigrant
fuit les frimas pour s'abattre dans les con-
trées sereines, comme le pigeon revole des
lointains parages au colombier, ainsi du
fond des abîmes de la matière, l'âme inspirée
se tourne vers la beauté et la vériLé, et s'y
précipite d'un mouvement sûr.

Ne nous étonnons donc jamais de l'appa-
rition de ces génies, à la fois naturels et di-
vins, qui semblent échapper aux prises de la
science expérimentale. Les génies sont de
divers ordres ; Pascal avait pour objectif
la vérité mathématique. Il était possédé de
l'amour abstrait du nombre. Mozart était épris
de l'éternelle harmonie, de même que de
Kerkhove; l'un s'exprimait par le bruit,
l'autre par la couleur. Ces génies divers, qui
concourent au même but, sont à des points
différents de la vie.

Le domaine de l'abstraction philosophique
est supérieur. On est dans l'idée pure, repré-
sentée par le sentiment d'éternité- La région
des contours et des couleurs en est comme
le vêtement. Elia se représente par le senti-
ment d'harmonie universelle. La gradation
est couleur, forme, esprit.

L'étonnement doit donc être moindre
devant l'œuvre de Frédéric Van de Kerk-
hove, que devant la découverte de la propo-
sition d'Euclide par Biaise Pascal. Le génie
de la nuance est plus naturel, plus instinctif.
Comme je l'ai dit, il peut comporter la dex-

térité. L'habileté sort de la sensation même,
reçue par un génie créateur. L'enfant serait-
il d'ailleurs génie s'il n'était habile? Qu'est-
ce qui nous révèle qu'il est génie, sinon
son habileté même.

D'autre part, l'inspiration est plus admis-
sible chez l'enfant que chez l'adolescent. Il
est plus pur, plus près de Dieu, la voix de
la nature n'ayant pas encore étouffé celle
de l'esprit infini; il est plus consciencieux,
l'opinion publique ne le préoccupant point.
Les anciens représentaient le génie sous la
forme d'un enfant aîlé avec une flamme sur
le front. Pourquoi un frêle enfant, dans
une existence solitaire et contemplative,
dans ce calme profond si favorable a l'intui-
tion, ne pourrait-il être pénétré du senti-
ment de la vie illimitée et la reproduire dans
son éternelle grandeur? Il ne faut qu'un
petit fragment de glace pour réverbérer la
voûte du ciel. Un regard clair, appliqué à
une étroite ouverture peut découvrir l'es-
pace.

Je le sais, plus d'un grand artiste dont la
vie s'est consumée dans l'étude, en voyant
une telle science de composition chez un
enfant, se refusera à admettre qu'elle soit
d'inspiration. Un si grand privilège, accordé
à une créature, désoriente. Jugeant d'après
leur propre organisation, beaucoup cher-
cheront la main exercée qui a pu guider, ou
du moins soutenir celle du jeune peintre.
N'étant pas pénétrés de la puissance de
l'idéal, ils ne voudront pas attribuer à un
être entrant dans la vie ce talent transcen-
dant. A quelques-uns, peu favorisés du côlé
de l'âme, qui n'en devinent pas les mer-
veilleuses facultés et qui estiment que
l'homme n'obtient la gloire que par volonté
persévérante, il déplaira de voir l'esprit
éternel venir jouer un aussi grand rôle ici-
bas.

Leur critique découle de leur philosophie
même.

On se demande si l'enfant ne s'est pas
inspiré aux peintures des maîtres qu'il
avait sous les yeux dans la maison pater-
nelle. On ne peut le nier. Le génie est ori-
ginel, individuel, mais n'a jamais d'indé-
pendance absolue, il a ses attaches au monde
extérieur. Rien ne se produit de rien; il y
a solidarité entre tous les phénomènes de la
vie; toutefois il arrive que parfois lesconsé-
 
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