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N° 23.

15 Décembre 1875.

Dix-septième Année.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE

paraissant deux fois par mois, sous la direction de M. Ad. SIRET, membre de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant
de la Commission royale des monuments, membre de l'Institut des provinces de France, de la Société française d'Archéologie, etc.

ON S'ABONNE : à Anvers, chez TESSAEO, éditeur; à Bruxelles, chez DECQ et
DDHENT et chez MUQUAEDT ; à Gand, chez HOSTE et chez EOGGHÉ ; à Liège, chez DE SOEE
et chez DECQ : à Louvain, chez Ch. PEETEES ; dans les autres villes, chez tous les libraires. Pour
l'Allemagne, la Eussie et l'Amérique : C. MUQUAEDT. La France : DUSACQ et Cie, Paris. Pour
la Hollande : MABTINUS NYHOFF, à la Haye. — PEIX D'ABONNEMENT :
pour toute la Belgique (port compris). Par an, 9 fr. — Etranger (port compris) : Allemagne, Angle-

terre, France, Hollande, Italie et Suisse, 12 fr. Pour les autres pays, même prix, le port en sus. —
PRIX PAE NTJMÉEO : 60 c. - RECLAMES : 60 c. la ligne. — Pour les
grandes annonces on traite à forfait. —ANN ONCES : 40 e. la ligne. — Pour tout ce qui
regarde l'Administration ou les annonces s'adresser à l'Administration, rue du Progrès, 28, à
St-Nicolas (Flandre orientale) ou à Louvain, rue Marie-Thérèse, 22. — Il pourra être rendu compte
des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction.

SOMMAIRE : Belgique : Paul Lauters. — Michel"
angiolo Buonarroti.-— Question Van de Kerkhove-
— Bibliographie : Jeanne d'Arc •— Iconographie :
la Grande Passion. — Pbance : Correspondance
particulière : Carpeaux et Auber. — Chronique
générale. — Quelques prix de la vente Minntoli. —
Périodiques illustrés. — Annonces.

Belgique.
PAUL LAUTERS.

Il faut voiler d'un crêpe ce nom aimé et
justement populaire. La vie de Lauters vient
de s'éteindre après de cruelles souffrances,
supportées avec une grande force d'âme, et
que les soins les plus affectueux, les plus
intelligents s'efforçaient vainement d'adou-
cir. Quoiqu'il atteignît à sa soixante neu-
vième année, sa fin semble prématurée et la
foule qui assistait hier à ses funérailles, se
demandait, non sans tristesse, comment tant
d'animation et de vitalité s'étaient arrêtées
aussi vite sous l'étreinte glacée de la mort.
Lui-même s'abandonna longtemps à de
douces illusions, malgré les douleurs qui
semblaient lui ronger les entrailles. Il n'y a
guère qu'un an qu'il alla consulter, à Paris,
deux illustres médecins; ils le rassurèrent
pleinement, mais, plus sincères avec sa fille,
(Madame Gueymard-Lauters) ils déclarèrent
à celle-ci que le mal était incurable et la fin
prochaine. Soit que notre artiste fût dupe
d'un consolant mensonge, soit qu'il voulût
dissiper l'expression de" tristesse qu'il dé-
couvrait sur les visages de sa femme et de
sa fille, il fut, ce jour là, de la plus étourdis-
sante gaieté, et, tandis que sa famille, ses
amis, l'écoutaient le cœur serré, il n'inter-
rompait le cours de ses plaisanteries, de
ses saillies et de ses coqs à l'âne, que
lorsque l'intensité de la douleur le rendait
haletant.

Toujours affable et franc, disposé à rire et
prêt à obliger, Lauters comptait ses cama-
rades et ses disciples par centaines. Qui-
conque a noirci du papier par ses crayons
ou gâté du bristol sous prétexte d'aqua-
relle, doit quelque chose à ce laborieux
et excellent maître. On tapisserait une
rue entière des croquis, pochades, mo-
dèles de tous genres, qu'il jetait chaque
année par la fenêtre de son atelier et qui,
emportés au souffle de la publicité, allaient
s'éparpiller dans les écoles, les académies
et les collèges du pays. En manifestant son
activité avec tant d'abandon et de verve, il
fournissait non-seulement les éléments,
l'occasion, les procédés de l'art du dessin, il
en révélait aussi le charme, il en offrait la
tentation. A voir ses études on croyait aisé-
ment qu'il n'y eût qu'à saisir, comme lui, un

crayon pour montrer, en se jouant, des bois,
des prés, des vallées ombreuses, les champs
fertiles du Brabant ou les bords rocailleux
de la Meuse. On ne se détrompait qu'en es-
sayant.

_ L'impression produite par certains paysa-
gistes est analogue à celle des grands écri-
vains du xvni0 siècle : en lisant ceux-ci on se
persuade volontiers qu'ils n'ont fait que re-
vêtir d'une forme choisie nos idées les plus
habituelles ; en contemplant ceux-là on croit,
non moins vite, qu'ils se sont plu à ressus-
citer nos propres souvenirs. Oui, se dit-on,
c'est bien là le ruisseau dont nons avons
suivi le cours à travers la prairie ; le chêne
et l'orme aux pieds desquels nous allâmes
nous asseoir ; ou, tout au loin, à l'extrémité
de la plaine, le clocher du village au milieu
des toits qui fument. Cette soudaine com-
munion d'idées et d'impressions, réalisable
seulement dans la sphère du vrai, est
l'attribut d'un petit nombre d'esprits pri-
vilégiés. Lauters en était doué, bien qu'il
n'ait laissé aucun chef-d'œuvre et que sa
destinée l'obligea, en quelque sorte, à gas-
piller chaque jour, en petite monnaie, de
rares et merveilleuses aptitudes ; mais tant
de vérité et de bonhommie brillent sans dis-
continuité dans ses œuvres, que son nom a
mérité de survivre. Tableau, dessin, aqua-
relle, quoi qu'il fit, tout, jusqu'aux moin-
dres détails, procède de l'observation de la
nature et en conserve l'accent. Jamais de
convention , de formule systématique , de
ces adroits mensonges qualifiés du nom de
ficelles, n'entâchent son exécution chaleu-
reuse et de premier jet. Pêcheur endurci, il
ignora toujours les repentirs, et il eût plutôt
commencé dix tableaux que d'en refaire pa-
tiemment un seul. De tant de facilité naît le
charme, mais découle aussi l'insuffisance du
rendu.Ille savait mieux quepersonne.Exempt
des complaisances égoïstes de la paternité,
il mesurait même son talent avec trop de ri-
gueur et passait de l'enthousiasme au dé-
goût, en rapprochant son idéal des réalités
incomplètes auxquelles il pouvait atteindre.
« Je ne ferai plus de peinture, disait-il dans
ces moments de défaillance. C'est trop diffi-
cile ! » Puis, chassant cette pensée impor-
tune, véritable boutade d'amoureux, il van-
tait, non sans un grain de malice, ces
bonshommes du paysage qui savent, dans
une composition, omettre tout ce qui les
gêne, vendre des études pour des tableaux
et s'arrêter juste au moment où les difficultés
d'exécution commencent. « Moi aussi, ajou-
tait-il, je ne sais pas achever; mais je suis
trop bête ! j'ai la naïveté de l'avouer. »

Propos de vieux, dira-t-on peut-être ; pro-
pos de vieux qui se place devant le soleil
levant pour en cacher lalumière. Lauters se
fût révoltéà un aussi injuste reproche! Non-

seulement toutes ses affinités le rattachaient
à la jeunesse ; mais, comme il le disait plai-
samment, il n'eût permis à personne de se
montrer plus jeune que lui. Par philosophie,
par tolérance, il était d'ailleurs porté vers
l'éclectisme. Toute œuvre vieille ou nou-
velle, classique ou réaliste, pourvu qu'elle
fût expressive et vraie, le trouvait favorable-
ment disposé. Il aimait à louer et savourait
le rare et délicat plaisir de l'admiration ;
mais il n'accordait la sienne qu'à bon escient.
Il s'écria un jour, devant une œuvre singu-
lièrement surfaite, «Ce tableau n'est remar-
quable que par ses absences ! Tout y manque :
dessin, couleur et invention! Si, comme on
l'a dit, l'art est le langage du beau, ceci n'en
est pas même le bégaiement.» Il ne se grisait
pas, on le voit, par les fumigations de gros-
sier encens qui tendent à porter aux nues
certaines rapsodies.

L'examen d'aucune question d'art ne pou-
vait trouver Lauters au dépourvu. Il avait
feuilleté tant de livres, il en avait tant illus-
tré que grâce à sa vive compréhension, des
assises nouvelles étaient venues s'ajouter
constamment aux bases solides de son in-
struction première. Nul n'était cependant
moins prompt que lui à étaler son bagage
intellectuel et l'on s'étonnait de la variété
de ses connaissances quand, abordant des
questions sérieuses, il sortait de sa réserve
habituelle. Il avait étudié la géométrie, la
perspective, l'anatomie, l'architecture; s'était
familiarisé avec les chefs-d'œuvre littéraires
et n'ignorait aucun fait important de l'his-
toire de l'art et de l'histoire de la civilisa-
tion. Faut-il ajouter qu'il laissait aux poseurs
et aux sots le ton doctoral, sentencieux, et
que sa causerie à bâtons rompus, pleine
d'incidences et de parenthèses, était assai-
sonnée d'esprit, de gaieté et parfois d'une
ébouriffante mimique. Satisfait d'une exis-
tence modeste et se dévouant avec plaisir à
un labeur sans fin, il aimait à mêler des
joyeusetés d'enfant à l'accomplissement des
plus rudes devoirs. Ce rayonnement de belle
humeur ne s'interrompit que deux fois: après
la mort dé son fils et lors de la perte acci-
dentelle d'un de ses petits-enfants. Trop
vivement touché au cœur pour pouvoir
dissimuler sa blessure, on le vit alors morne,
silencieux, et ses meilleurs amis même
n'osèrent pendant longtemps essayer de le
dérider.

Le sort ne l'avait pas gâté. Ses commence-
ments surtout furent pénibles. Né à Bruxelles
dans une condition médiocre (16juillet 1806)
il reçut, à l'âge de quatorze ans, des leçons
de dessin de M.Malaise, secrétaire de l'Aca-
démie , puis entra dans cette institution
publique où il se fit remarquer, pendant trois
années, par la rapidité de ses progrès. Il obtint
ensuite un emploi de dessinateur dans Fini-
 
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