L'Exposition des Cent Pastels
Par Jean Guiffrey
L'Exposition des Cent Pastels laissera dans la memoire de ceux qui l'ont visitee
le plus agreable souvenir: on aimera ä se rappeler cette charmante reunion de por-
traits de jolies femmes, souriantes et aimables, de gentilshommes, de lettres, d'artistes,
societe tres choisie, tres delicate, ob l'on a ete quelque temps admis, avant qu'elle se
soit pour toujours dispersee, et on gardera une tres vive reconnaissance envers ceux
qui nous ont permis de frayer quelques semaines en aussi gracieuse compagnie.
L'idee de grouper quelques-uns des plus precieux portraits au pastel des galeries
parisiennes etait particulierement heureuse. Rien mieux que ces peintures, fragiles et
legeres, mais qui ont conserve si fraiches et si douces leurs colorations premieres,
ne peut, en effet, donner une plus juste idee de la societe elegante du XVIIIe siecle
franqais, ni de l'art du portrait ä cette epoque. Et si l'on s'etonne que pareille tenta-
tive n'ait pas encore ete falte, on devra se rendre compte des difficultes exceptionnelles
qu'une pareille exposition devait soulever. La fragilite extreme de ces delicates pein-
tures, que le moindre heurt peut endommager, pouvait justement faire hesiter les pos-
sesseurs de ces chefs d'ceuvre ä les confier ä des etrangers, si zeles et si soigneux
qu'ils puissent etre: il fallut tonte la bonne gräce persuasive et l'ingenieuse charite d'une
grande dame, aidee d'un petit nombre d'amateurs tres delicats, pour vaincre ces
hesitations et reussir au mieux cette difficile entreprise.
Nulle preoccupation de representer completement l'art du pastel au XVIIIe siecle
ne s'y manifestait; quelques-uns des artistes qui l'avaient alors traite avec distinction:
comme Joseph Boze, Lundberg, Alexis Loir, Valade, Mme Vigee-Lebrun etc., etaient ab-
sents, d'autres, plus importants encore, comme Chardin, Prud'hon, Hoin, Mme Labille-
Guyard etc., ne figuraient ici qu'avec une ceuvre ou deux, d'importance parfois
secondaire; en sorte que le grand interet de l'Exposition n'etait pas de connaitre tous
les pastellistes du XVIIIe siecle, mais de pouvoir y etudier et mieux comprendre les
deux plus grands maitres franqais en ce genre, les deux anciens rivaux, qui, pour la
premiere fois, se trouverent en presence dans des conditions sensiblement egales,
avec chacun une trentaine d'ceuvres soigneusement dioisies; ce qui permit ä leurs
admirateurs de mieux apprecier leurs qualites propres et leurs differences.
La Tour et Perronneau, dont la carriere avait ete si differente, connurent
apres leur mort les memes ingratitudes, le meme mepris. Toutefois, La Tour, plus
choye, plus admire, plus heureux pendant sa vie, fut aussi, gräce en partie, il faut
le dire, aux ceuvres humanitaires dont il avait, en mourant, gratifie sa ville natale,
plus vite et mieux compris lors de la rehabilitation, au XIXe siecle, de l'art franqais de
l'epoque de Louis XV. La reconnaissance de ses concitoyens, en recherchant des
documents dans les archives de la ville de S' Quentin, aida beaucoup les amateurs eclaires
et les historiens ä remettre ä sa juste place, definitivement, l'illustre peintre. Paris tire
moins de vanite de ses grands enfants, il y en a trop, et il fallut de longues et
Par Jean Guiffrey
L'Exposition des Cent Pastels laissera dans la memoire de ceux qui l'ont visitee
le plus agreable souvenir: on aimera ä se rappeler cette charmante reunion de por-
traits de jolies femmes, souriantes et aimables, de gentilshommes, de lettres, d'artistes,
societe tres choisie, tres delicate, ob l'on a ete quelque temps admis, avant qu'elle se
soit pour toujours dispersee, et on gardera une tres vive reconnaissance envers ceux
qui nous ont permis de frayer quelques semaines en aussi gracieuse compagnie.
L'idee de grouper quelques-uns des plus precieux portraits au pastel des galeries
parisiennes etait particulierement heureuse. Rien mieux que ces peintures, fragiles et
legeres, mais qui ont conserve si fraiches et si douces leurs colorations premieres,
ne peut, en effet, donner une plus juste idee de la societe elegante du XVIIIe siecle
franqais, ni de l'art du portrait ä cette epoque. Et si l'on s'etonne que pareille tenta-
tive n'ait pas encore ete falte, on devra se rendre compte des difficultes exceptionnelles
qu'une pareille exposition devait soulever. La fragilite extreme de ces delicates pein-
tures, que le moindre heurt peut endommager, pouvait justement faire hesiter les pos-
sesseurs de ces chefs d'ceuvre ä les confier ä des etrangers, si zeles et si soigneux
qu'ils puissent etre: il fallut tonte la bonne gräce persuasive et l'ingenieuse charite d'une
grande dame, aidee d'un petit nombre d'amateurs tres delicats, pour vaincre ces
hesitations et reussir au mieux cette difficile entreprise.
Nulle preoccupation de representer completement l'art du pastel au XVIIIe siecle
ne s'y manifestait; quelques-uns des artistes qui l'avaient alors traite avec distinction:
comme Joseph Boze, Lundberg, Alexis Loir, Valade, Mme Vigee-Lebrun etc., etaient ab-
sents, d'autres, plus importants encore, comme Chardin, Prud'hon, Hoin, Mme Labille-
Guyard etc., ne figuraient ici qu'avec une ceuvre ou deux, d'importance parfois
secondaire; en sorte que le grand interet de l'Exposition n'etait pas de connaitre tous
les pastellistes du XVIIIe siecle, mais de pouvoir y etudier et mieux comprendre les
deux plus grands maitres franqais en ce genre, les deux anciens rivaux, qui, pour la
premiere fois, se trouverent en presence dans des conditions sensiblement egales,
avec chacun une trentaine d'ceuvres soigneusement dioisies; ce qui permit ä leurs
admirateurs de mieux apprecier leurs qualites propres et leurs differences.
La Tour et Perronneau, dont la carriere avait ete si differente, connurent
apres leur mort les memes ingratitudes, le meme mepris. Toutefois, La Tour, plus
choye, plus admire, plus heureux pendant sa vie, fut aussi, gräce en partie, il faut
le dire, aux ceuvres humanitaires dont il avait, en mourant, gratifie sa ville natale,
plus vite et mieux compris lors de la rehabilitation, au XIXe siecle, de l'art franqais de
l'epoque de Louis XV. La reconnaissance de ses concitoyens, en recherchant des
documents dans les archives de la ville de S' Quentin, aida beaucoup les amateurs eclaires
et les historiens ä remettre ä sa juste place, definitivement, l'illustre peintre. Paris tire
moins de vanite de ses grands enfants, il y en a trop, et il fallut de longues et