SAINT LÉON ET ATTILA.
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papauté devenue souveraine de Rome, et un succès dû à la puissance morale
seule, montrer en présence deux civilisations si opposées, le monde romain qui
allait disparaître, l’invasion qui allait triompher : quelle tâche propre à séduire
un peintre d’histoire !
Nul n’aurait pu penser alors que, quelque douze ans plus tard, en pleine
Renaissance, les bandes d’un empereur chrétien s’abattraient, plus féroces que les
hordes d’Attila, sur la Ville éternelle et la livreraient à toutes les horreurs du
pillage. L’épouvantable sac de Rome, en 1627, est la réponse des Barbares aux
insultes que leur avait prodiguées Jules II.
Un beau dessin, conservé au Louvre, nous montre la composition telle que
Raphaël l’avait conçue en premier lieu. Le pape et son escorte, au lieu d’occuper
le premier rang en face d’Attila et d’intervenir comme acteurs principaux, ne
sont ici que de simples spectateurs. Ils s’avancent dans le lointain; lorsqu’ils
arriveront en présence des Huns, le miracle sera déjà accompli, car saint Pierre
et saint Paul les ont précédés. L’apparition des deux princes des apôtres a telle-
ment ébloui et effrayé Attila, qu’il étend une de ses mains devant ses yeux,
comme pour se garantir d’une lumière trop vive. Des guerriers placés à gauche,
à l’endroit qu’occupera plus tard le pape, témoignent par leurs gestes de leur
surprise. Le reste de la composition ne diffère que peu de la fresque.
Un dessin d’Oxford, qui ne paraît toutefois être qu’une copie exécutée par
un élève de Raphaël d’après une esquisse, aujourd’hui perdue, du maître, nous
montre par quelles phases nombreuses Y Attila a passé avant d’aboutir à la
fresque. Les Huns y sont représentés dans le costume des Turcs du xvic siècle;
Attila adresse la parole au pape, tandis que dans le dessin du Louvre et dans la
composition définitive il est ébloui et épouvanté à la vue des apôtres planant
dans les airs. Enfin, et ce détail a la plus grande importance, le pape offre une
frappante ressemblance avec Jules IL L’Attila semble donc avoir été com-
mandé par ce dernier; comme la peinture n’était pas encore achevée au
moment de sa mort, Raphaël substitua à son portrait celui de Léon X, qui
bénéficia ainsi de l’initiative prise par son prédécesseur.
Ne nous plaignons pas des changements apportés à la composition de cette
grande page. Ils ont eu pour effet de resserrer l’action, de la rendre plus dra-
matique. En plaçant le pape en face d’Attila, Raphaël a justifié l’apparition des
deux apôtres qui interviennent comme protecteurs et à la prière du pontife
romain. Il a, en même temps, créé le contraste le plus saisissant entre ce
représentant de la civilisation classique et ces hordes sauvages dont le passage
n’est signalé que par l’incendie et la dévastation. On a beau dire, il y a dans
la Rencontre de saint Léon et d’Attila plus qu’une flatterie à l’adresse du pape
régnant, il y a la représentation d’un grand fait historique. Les sombres
scènes de l’invasion n’ont jamais été retracées en traits plus énergiques, plus
vivants. Le génie d’un Raphaël y a élevé la peinture officielle à la hauteur de
l’épopée.
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papauté devenue souveraine de Rome, et un succès dû à la puissance morale
seule, montrer en présence deux civilisations si opposées, le monde romain qui
allait disparaître, l’invasion qui allait triompher : quelle tâche propre à séduire
un peintre d’histoire !
Nul n’aurait pu penser alors que, quelque douze ans plus tard, en pleine
Renaissance, les bandes d’un empereur chrétien s’abattraient, plus féroces que les
hordes d’Attila, sur la Ville éternelle et la livreraient à toutes les horreurs du
pillage. L’épouvantable sac de Rome, en 1627, est la réponse des Barbares aux
insultes que leur avait prodiguées Jules II.
Un beau dessin, conservé au Louvre, nous montre la composition telle que
Raphaël l’avait conçue en premier lieu. Le pape et son escorte, au lieu d’occuper
le premier rang en face d’Attila et d’intervenir comme acteurs principaux, ne
sont ici que de simples spectateurs. Ils s’avancent dans le lointain; lorsqu’ils
arriveront en présence des Huns, le miracle sera déjà accompli, car saint Pierre
et saint Paul les ont précédés. L’apparition des deux princes des apôtres a telle-
ment ébloui et effrayé Attila, qu’il étend une de ses mains devant ses yeux,
comme pour se garantir d’une lumière trop vive. Des guerriers placés à gauche,
à l’endroit qu’occupera plus tard le pape, témoignent par leurs gestes de leur
surprise. Le reste de la composition ne diffère que peu de la fresque.
Un dessin d’Oxford, qui ne paraît toutefois être qu’une copie exécutée par
un élève de Raphaël d’après une esquisse, aujourd’hui perdue, du maître, nous
montre par quelles phases nombreuses Y Attila a passé avant d’aboutir à la
fresque. Les Huns y sont représentés dans le costume des Turcs du xvic siècle;
Attila adresse la parole au pape, tandis que dans le dessin du Louvre et dans la
composition définitive il est ébloui et épouvanté à la vue des apôtres planant
dans les airs. Enfin, et ce détail a la plus grande importance, le pape offre une
frappante ressemblance avec Jules IL L’Attila semble donc avoir été com-
mandé par ce dernier; comme la peinture n’était pas encore achevée au
moment de sa mort, Raphaël substitua à son portrait celui de Léon X, qui
bénéficia ainsi de l’initiative prise par son prédécesseur.
Ne nous plaignons pas des changements apportés à la composition de cette
grande page. Ils ont eu pour effet de resserrer l’action, de la rendre plus dra-
matique. En plaçant le pape en face d’Attila, Raphaël a justifié l’apparition des
deux apôtres qui interviennent comme protecteurs et à la prière du pontife
romain. Il a, en même temps, créé le contraste le plus saisissant entre ce
représentant de la civilisation classique et ces hordes sauvages dont le passage
n’est signalé que par l’incendie et la dévastation. On a beau dire, il y a dans
la Rencontre de saint Léon et d’Attila plus qu’une flatterie à l’adresse du pape
régnant, il y a la représentation d’un grand fait historique. Les sombres
scènes de l’invasion n’ont jamais été retracées en traits plus énergiques, plus
vivants. Le génie d’un Raphaël y a élevé la peinture officielle à la hauteur de
l’épopée.