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La chronique des arts et de la curiosité — 1872

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No. 28 (20 Juin)
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https://doi.org/10.11588/diglit.26567#0254
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302

LA CHRONIQUE DES ARTS

« Les artistes qui ont remporté les grands prix de
l'Institut, à condition qu’ils passeront à l’École de
Rome les années réglementaires et rempliront toutes
leurs obligations envers l’État. » (Bruits et mouve-
ments divers.)

La parole est à M. Beulé.

M. Beulé. L’amendement que j’ai l’honneur de
proposer à l’Assemblée n’est point une innovation. Je
vous demande la permission de citer, dès le début,
pour me rassurer moi-même et pour justifier la dé-
marche que je fais auprès de vous, les précédents,
qui sont très-courts, et une statistique, qui a son élo-
quence, car elle vous prouvera que c’est un principe
que je défends et non point des intérêts particuliers.

Les précédents, messieurs, les voici :

Sous le premier empire, quand il se faisait une ter-
rible consommation d’hommes, toujours les grands
prix de l’Institut, c’est-à-dire les lauréats qui par-
taient pour Rome, étaient exemptés du service mili-
taire; et non-seulement les lauréats qui partaient,
mais ceux qui avaient obtenu les seconds grands
prix. Vous trouverez dans nos archives des lettres de
Cretet, ministre de l’intérieur, et du comte de Gessac,
ministre d’État, qui en font foi; elles portent la date
de 1809. La loi de 1832, qui est en ce moment dans
les mains de tout le monde, dit expressément, à l’ar-
ticle 14, paragraphe 6, que les grands prix de l’Insti-
tut, c’est-à-dire les membres de l’École de Rome, sont
considérés comme ayant satisfait aux obligations de
la loi militaire. (Interruptions.)

Des précédents je passe à une statistique sommaire
pour vous prouver combien je mets de côté toute

préoccupation de personnes pour m’attacher à ce que
j’estime l’intérêt bien entendu du pays.

Depuis 1801, — date d’heureux augure, puisque
c’est en 1801 qu’Ingres a remporté le prix de Rome,
avant d’avoir atteint l’àge de 20 ans,— depuis 1801
jusqu’à 1871, les lauréats qui se sont succédé à
Rome ont été au nombre de moins de trois cents; la
moyenne est à peine de cinq par an ; un peintre, un
sculpteur, un architecte, un compositeur et, à des
intervalles fixés par les règlements, un graveur.

Savez-vous combien de jeunes gens ayant moins
de vingt ans out remporté le prix de Rome dans ces
soixante-dix années? Trente seulement, trente-cinq
si vous voulez comprendre les seconds grands prix.

Cela ferait, avec la loi actuelle que je vous propose
d’amender, une exemption, un seul exempt tous les
deux ans.

Ce simple énoncé vous prouve que, malgré la solli-
citude si légitime que doive m’inspirer le talent pré-
coce, ce n’est pas lui que je défends, mais un prin-
cipe.

Quel est ce principe? Je demande à l’Assemblée
quelques moments d’attention, non pour l’imposer,
mais pour l’indiquer avec une clarté suffisante.

Il est impossible que dans sa justice, et avec sa
ferme volonté de s’éclairer sur les minutieux détails
de la loi si grave que nous rédigeons, l’Assemblée ne
tienne pas à tout pénétrer. (Très-bien! très-bien!)

Or quel est l’esprit de l’article 19?

On vous l’a dit tout à l’heure avec éloquence, et
vous allez le sentir par l’application que je réclame.

Pourquoi la commission, sans souci des ménage-
ments et des privilèges, mais se préoccupant juste-
ment d’un grand intérêt social et du service le plus
précieux de l’État, pourquoi la commission dispense-
t-elle l’École normale et l’Université? C’est au nom
de l’enseignement! Pourquoi dispense-t-elle les insti-
tuteurs primaires? C’est an nom de l’enseignement!
Pourquoi l'École des chartes? Parce qu’elle forme
les savants qui font revivre notre histoire et gardent
les archives de la France. En un mot, l’esprit et l’es-
sence de l’article 19 est de former, d’élever,de main-
tenir l’intelligence de la nation et cette supériorité
morale qui prime toutes les supériorités, et sans
laquelle aucune grandeur n’est possible, ni aucune
force durable.

Messieurs, je rends hommage aux membres de la
commission. Ils ont voulu que les lettres, les sciences,
l’enseignement populaire, la religion et tous les cultes
reconnus en France, en un mot que tout ce qui fait
le cœur et l’âme de la nation fût protégé, et alors ils
ont formulé l’article 19. Mais ont-ils pensé aux ar-
tistes? Ont-ils fait la part de l’enseignement des a-rts ?
Quelle place ont-ils réservée pour ceux qui ont la
mission d’enseigner les arts?

Les artistes, messieurs, vous diront : « Notre école
normale à nous, c’est l’École de Rome. >» Il ne suffit
pas d’appeler la jeunesse dans les ateliers de l’École
des beaux-arts. Où sont les professeurs qui la dirige-
ront? Où se forment-ils? D’où sortent-ils? Presque
tous, pour ne pas dire tous, sortent de l’École de
Rome.

Je sais très-bien quelles idées sont répandues dans
le public, quels préjugés trop favorables ou trop sé-
vères rencontre cette belle et vraiment nationale insti-
tution. Je ne veux point combattre ces préjugés ni en
profiter. Mais laissez-moi soulever un coin du voile.
Messieurs, ne croyez pas ceux qui proclament que
l’École de Rome est destinée à produire régulièrement
et pour ainsi dire administrativement des hommes
de génie. Le génie est un don du ciel : on le déve-
loppe ou on le persécute, on l’excite, on le glorifie :
on ne le fait point naître. (Très-bien! très-bien!)

Ne croyez pas non plus tout à fait, ou ne croyez
qu’à demi ceux qui répètent que l’École de Rome n’est
faite que pour faire valoir et former des talents natu-
rels que l’on amène à une science exquise ou forte et
à ce degré supérieur qui ressemble à la perfection.
Je ne le nie point, la vérité me confondrait bien
vite, et je me réjouis, au contraire, de compter les
noms illustres qui depuis le commencement du siècle
ont jeté leur éclat sur l’École d’abord, et bientôt sur
tout leur pays. Oui, en ne considérant que les morts,
en omettant volontairement la pléiade qui vit, tra-
vaille et enseigne encore, on reconnaît que la mois-
son est belle. Lorsqu’une école peut montrer parmi
ses peintres Ingres et Flandrin, parmi ses architectes
Blouet et Duban, parmi ses sculpteurs David d’Angers
et Pradier, parmi ses musiciens Hérold et Halévy, je
dis que cette école a bien mérité de la patrie, qu’elle
lui a rendu en honneur et en gloire ce qu’elle en
a reçu eu protection et en bienfaits. (Nouvelles mar-
ques d’approbation.)

Mais ce n’est pas là ce qui me touche aujourd’hui,
 
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