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LA CHRONIQUE DES ARTS
Congrès. Ce n'est qu'en 1877 que l'idée de 1848 fut
de nouveau reprise à Paris et, cette fois, fut mise
enfin à exécution. On sait ce qu'a été le Musée de
l'Union centrale des Arts décoratifs, pendant son
installation provisoire de seize ans au Palais do
l'Industrie; actuellement, il est enfermé dans les
caves du Pavillon de Marsan, etl'on ne sait quand
il en sortira.
On était, en province, plus avancé qu'à Paris.
A Lyon, dès 1850, la Chambre de commerce avait
décidé spontanément de fonder un musée d'art
industriel; en 1864, on l'inaugurait. Mais cette
institution, créée tout d'abord pour l'ensemble des
industries artistiques lyonnaises, ne tarda pas à
dériver du côté de la spécialisation de la Soierie ;
et, peu après, cette spécialisation même, sous
l'influence des idées ambiantes do rétrospectivité,
en a fait changer radicalement le caractère et le
but primitifs; le Musée d'art industriel est devenu
le Musée historique des Tissus. A Saint-Étienne,
on 1889, la municipalité, sur mes plans, a fondé
le Musée d'art et d'industrie pour la Rubanerie
et l'Armurerie stéphanoises.
Voilà à quoi se réduit, en France, l'organisme
d'enseignement des industries d'art par le musée.
On avait espéré, un instant, que les musées d'art
do province pourraient, dans les centres indus-
triels et artistiques, remplir, dans une certaine
mesure, cette mission. Mais dans l'organisation
de ces musées, dans le recrutement de leurs col-
lections, dans l'objectif poursuivi, on ne constate
généralement qu'incertitudes, contradictions, illo-
gismes, et surtout ignorance, qui en font, malgré
la bonne volonté de ceux qui les dirigent, des
institutions hybrides, bizarres, indécises et incon-
sistantes, sans aucune influence pour la diffusion
du goût dans le peuple, pour les progrès de l'art
et des industries. Il semble que dans ces musées
l'on ne soit pas sorti de la période primitive d'ins-
tallation, alors qu'ils servaient purement et sim-
plement de dépôts pour les œuvres d'art laissées
à l'abandon après la destruction ou l'évacuation
des édifices religieux, des couvents et des châ-
teaux, pour les objets recueillis dans les fouilles
archéologiques et dans les travaux d'édililé. Aucun
autre but que celui de conserver — la dénomina-
tion logique et expressive de conservateur en est
dérivée — n'apparaît dans la façon dont tout ce
qui les compose est classé, étiqueté et copié ;
aucun souffle de vie n'anime de nouveau ce
passé, définitivement immobilisé dans la mort
des choses, comme les ossements des Cata-
combes. Or, » les morts empoisonnent les
vivants ». On ne s'est, nulle part, fait à cette
conception qu'un musée puisse, dans l'organisme
social et administratif de la cité, être un service
public, absolument utilitaire comme les services
des eaux, du gaz, de la voirie, etc., et qu'en con-
séquence il doit être doté de tout ce qui est néces-
saire pour fonctionner : directeur et personnel do
spécialistes expérimentés, outillage, budget, etc.
On tient le musée pour une création de pur luxe,
qui, dans les cadres de l'administration, est à peu
près au même plan que les sociétés musicales,
mais bien au-dessous de l'opéra et de la comédie.
Il n'en est pas ainsi à l'étranger, surtout dans
les pays qui font à nos industries d'art une con-
currence si terrible qu'elles en sont menacées non
pas séulement dans leur prospérité, mais dans
leur existence. Le musée d'art industriel est tenu
pour une institution publique absolument néces-
saire. Tous les centres industriels en sont pourvus
et leur organisation tout entière est toujours
combinée en vue d'offrir aux usines, aux ateliers et
aux écoles, aux artistes, aux industriels et aux
ouvriers, une collaboration directe, immédiate,
incessante, pour tout ce dont ils peuvent avoir
besoin dans leurs travaux, leurs recherches, leurs
expériences et leurs études. Dans ces musées,
l'on ne poursuit avec méthode, ayee énergie et
avec persévérance qu'un seul but, qui a inspiré
tous les programmes, tous les règlements : le
progrès des industries nalionales.
Voici ce que disaient, en 1850, au Parlement
anglais, 1rs initiateurs du South Kensington
Muséum de Londres :
« Une collection de spécimens montrant à la
« fois le progrès et le plus haut degré do perfec-
« tion atteints dans les diverses manufactures
« quant à la matière, à la main-d'œuvre et à la
« décoration, a été longtemps considérée comme
« une entreprise indispensable pour l'enseigne-
« ment technique. En vérité, un musée offre pro-
ie bablemcnt seul les moyens réellement effectifs
« pour l'éducation de l'adulte, qu'on no peut s'at-
« tendre à voir aller à l'école, comme s'il était
« jeune ; et cependant la nécessité d'instruire
« l'homme fait est aussi grande que celle de
a. former l'intelligence de l'enfant. Par un système
« spécial d'organisation, un musée pourrait rem-
« plir cette mission et être instructif au plus
« haut degré. »
En Allemagne, les fondateurs du premier mu-
sée d'association, le musée du «Central Gewerbe
Verein » do Dûsseldorf, déterminaient avec
autant de précision et de vigueur le but qu'ils se
proposaient par cette institution: « Il s'agit, di-
« saient-ils, de relever, sans nuire à l'utilité pra-
« tique, la moyenne des capacités, au point de vue
« du travail comme au point de vue du goût, et
« de donner de nouveau une forme et une cou-
« leur agréables, même aux ustensiles et objets
« les plus simples qui soient en usage dans la vie
« ordinaire. Or, on ne peut pas atteindre ce but
« par l'étude, c'est-à-dire par le savoir seul. Pour
« y arriver, il faut que les capacités soient culti-
« vées d'une façon toute particulière par un ré-
« gime stimulant, et que l'industriel qui crée
« trouve l'occasion d'être aidé et instruit par la
« contemplation, par les entretiens, et par une
« direction préparatoire. L'ouvrier doit avoir
« l'occasion de s'instruire par la vue des objets
« et par la comparaison ; la considération accor-
« dée au travail bon et beau doit lui donner de
« nouveau du goût pour son métier. Le public
« doit aussi être formé dans ce sens. »
Élevant l'idéal du musée d'art industriel au-
dessus de son utilité d'enseignement artistique et
technique, le créateur d'une institution de ce
genre à Moscou n'hésitait pas à dire au public :
« Tous les travaux du musée n'ont pas été ac-
« complis seulement dans la pensée d'accroître
« l'instruction du peuple russe et d'aider au pro-
« grès matériel de l'industrie; ils ont été inspirés
« par des vues plus hautes. On attend d'eux un
« effet moral, une influence religieuse. Ils doivent
« aider aussi à poursuivre le développement his-
« torique de la nation. »
(A suivre.) Marius Vachon.
LA CHRONIQUE DES ARTS
Congrès. Ce n'est qu'en 1877 que l'idée de 1848 fut
de nouveau reprise à Paris et, cette fois, fut mise
enfin à exécution. On sait ce qu'a été le Musée de
l'Union centrale des Arts décoratifs, pendant son
installation provisoire de seize ans au Palais do
l'Industrie; actuellement, il est enfermé dans les
caves du Pavillon de Marsan, etl'on ne sait quand
il en sortira.
On était, en province, plus avancé qu'à Paris.
A Lyon, dès 1850, la Chambre de commerce avait
décidé spontanément de fonder un musée d'art
industriel; en 1864, on l'inaugurait. Mais cette
institution, créée tout d'abord pour l'ensemble des
industries artistiques lyonnaises, ne tarda pas à
dériver du côté de la spécialisation de la Soierie ;
et, peu après, cette spécialisation même, sous
l'influence des idées ambiantes do rétrospectivité,
en a fait changer radicalement le caractère et le
but primitifs; le Musée d'art industriel est devenu
le Musée historique des Tissus. A Saint-Étienne,
on 1889, la municipalité, sur mes plans, a fondé
le Musée d'art et d'industrie pour la Rubanerie
et l'Armurerie stéphanoises.
Voilà à quoi se réduit, en France, l'organisme
d'enseignement des industries d'art par le musée.
On avait espéré, un instant, que les musées d'art
do province pourraient, dans les centres indus-
triels et artistiques, remplir, dans une certaine
mesure, cette mission. Mais dans l'organisation
de ces musées, dans le recrutement de leurs col-
lections, dans l'objectif poursuivi, on ne constate
généralement qu'incertitudes, contradictions, illo-
gismes, et surtout ignorance, qui en font, malgré
la bonne volonté de ceux qui les dirigent, des
institutions hybrides, bizarres, indécises et incon-
sistantes, sans aucune influence pour la diffusion
du goût dans le peuple, pour les progrès de l'art
et des industries. Il semble que dans ces musées
l'on ne soit pas sorti de la période primitive d'ins-
tallation, alors qu'ils servaient purement et sim-
plement de dépôts pour les œuvres d'art laissées
à l'abandon après la destruction ou l'évacuation
des édifices religieux, des couvents et des châ-
teaux, pour les objets recueillis dans les fouilles
archéologiques et dans les travaux d'édililé. Aucun
autre but que celui de conserver — la dénomina-
tion logique et expressive de conservateur en est
dérivée — n'apparaît dans la façon dont tout ce
qui les compose est classé, étiqueté et copié ;
aucun souffle de vie n'anime de nouveau ce
passé, définitivement immobilisé dans la mort
des choses, comme les ossements des Cata-
combes. Or, » les morts empoisonnent les
vivants ». On ne s'est, nulle part, fait à cette
conception qu'un musée puisse, dans l'organisme
social et administratif de la cité, être un service
public, absolument utilitaire comme les services
des eaux, du gaz, de la voirie, etc., et qu'en con-
séquence il doit être doté de tout ce qui est néces-
saire pour fonctionner : directeur et personnel do
spécialistes expérimentés, outillage, budget, etc.
On tient le musée pour une création de pur luxe,
qui, dans les cadres de l'administration, est à peu
près au même plan que les sociétés musicales,
mais bien au-dessous de l'opéra et de la comédie.
Il n'en est pas ainsi à l'étranger, surtout dans
les pays qui font à nos industries d'art une con-
currence si terrible qu'elles en sont menacées non
pas séulement dans leur prospérité, mais dans
leur existence. Le musée d'art industriel est tenu
pour une institution publique absolument néces-
saire. Tous les centres industriels en sont pourvus
et leur organisation tout entière est toujours
combinée en vue d'offrir aux usines, aux ateliers et
aux écoles, aux artistes, aux industriels et aux
ouvriers, une collaboration directe, immédiate,
incessante, pour tout ce dont ils peuvent avoir
besoin dans leurs travaux, leurs recherches, leurs
expériences et leurs études. Dans ces musées,
l'on ne poursuit avec méthode, ayee énergie et
avec persévérance qu'un seul but, qui a inspiré
tous les programmes, tous les règlements : le
progrès des industries nalionales.
Voici ce que disaient, en 1850, au Parlement
anglais, 1rs initiateurs du South Kensington
Muséum de Londres :
« Une collection de spécimens montrant à la
« fois le progrès et le plus haut degré do perfec-
« tion atteints dans les diverses manufactures
« quant à la matière, à la main-d'œuvre et à la
« décoration, a été longtemps considérée comme
« une entreprise indispensable pour l'enseigne-
« ment technique. En vérité, un musée offre pro-
ie bablemcnt seul les moyens réellement effectifs
« pour l'éducation de l'adulte, qu'on no peut s'at-
« tendre à voir aller à l'école, comme s'il était
« jeune ; et cependant la nécessité d'instruire
« l'homme fait est aussi grande que celle de
a. former l'intelligence de l'enfant. Par un système
« spécial d'organisation, un musée pourrait rem-
« plir cette mission et être instructif au plus
« haut degré. »
En Allemagne, les fondateurs du premier mu-
sée d'association, le musée du «Central Gewerbe
Verein » do Dûsseldorf, déterminaient avec
autant de précision et de vigueur le but qu'ils se
proposaient par cette institution: « Il s'agit, di-
« saient-ils, de relever, sans nuire à l'utilité pra-
« tique, la moyenne des capacités, au point de vue
« du travail comme au point de vue du goût, et
« de donner de nouveau une forme et une cou-
« leur agréables, même aux ustensiles et objets
« les plus simples qui soient en usage dans la vie
« ordinaire. Or, on ne peut pas atteindre ce but
« par l'étude, c'est-à-dire par le savoir seul. Pour
« y arriver, il faut que les capacités soient culti-
« vées d'une façon toute particulière par un ré-
« gime stimulant, et que l'industriel qui crée
« trouve l'occasion d'être aidé et instruit par la
« contemplation, par les entretiens, et par une
« direction préparatoire. L'ouvrier doit avoir
« l'occasion de s'instruire par la vue des objets
« et par la comparaison ; la considération accor-
« dée au travail bon et beau doit lui donner de
« nouveau du goût pour son métier. Le public
« doit aussi être formé dans ce sens. »
Élevant l'idéal du musée d'art industriel au-
dessus de son utilité d'enseignement artistique et
technique, le créateur d'une institution de ce
genre à Moscou n'hésitait pas à dire au public :
« Tous les travaux du musée n'ont pas été ac-
« complis seulement dans la pensée d'accroître
« l'instruction du peuple russe et d'aider au pro-
« grès matériel de l'industrie; ils ont été inspirés
« par des vues plus hautes. On attend d'eux un
« effet moral, une influence religieuse. Ils doivent
« aider aussi à poursuivre le développement his-
« torique de la nation. »
(A suivre.) Marius Vachon.