GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
62
récemment exécutées à Mycènes, non plus dans les tombeaux, mais dans le
palais royal, au sommet de l’Acropole, ont fait reparaître de curieuses pein-
tures sur enduit qui semblent autoriser l’hypothèse, à cette époque reculée,
d’une école indigène, d’un art achéen1. Auprès d’une maison contempo-
raine du palais et située à un niveau un peu inférieur, M. Tsountas a re-
cueilli un singulier fragment que nous reproduisons ici : ce sont trois figures
à tête d’âne, qui portent une longue poutre sur leurs épaules. Sur un autre
morceau, provenant du palais, on voit à droite et à gauche une femme
étendant les mains au-dessus d’un autel : le milieu de la composition est
occupé par une idole indistincte. M. Schuchardt a fait observer2 que l’autel
rappelle, par sa forme, la colonne sculptée de la porte des Lions à Mycènes
et que le vêtement des femmes ressemble à celui que Ton remarque sur
la grande bague d’or trouvée dans la sixième tombe. Il est vrai que l’artiste
primitif qui a exécuté ces grossières peintures, analogues à celles qu’on a
recueillies dans le palais de Tirynthe3, pouvait s’inspirer des gravures sur
métal, phrygiennes ou phéniciennes, que le commerce introduisait à Mycè-
nes. Le motif des figures à tête d’âne ressemble beaucoup aux représenta-
tions gravées sur certaines gemmes découvertes dans l’Archipel4, et que
M. Newton a déjà rapprochées des trouvailles de Mycènes par une intuition
que les observations ultérieures ont confirmée3. La figure humaine à tète
de cheval n’est pas étrangère au plus ancien fonds de la mythologie gréco-
pélasgique, témoin cette vieille image hippocéphale de Déméter, appelée
Erinnys à Thelpousa et Melaina à Phigalie6. Peut-être s’est-il conservé un
souvenir d’une divinité à tête d’âne dans la légende phrygienne du roi
Midas; je serais tenté d’attribuer quelque importance à cette observation,
puisqu’elle me semble venir à l’appui de la tradition admise par les anciens,
qui cherchaient en Asie l’origine de la civilisation mycénienne7.
Aux monuments qui nous restent de l’art grec proprement dit avant
Périclès, les fouilles de l’Acropole d’Athènes, continuées avec vigueur par
M. Cavvadias, ont ajouté quelques sculptures intéressantes datant de la
fin du vie siècle 8. Il faut surtout signaler une tête de Triton, d’un art bru-
tal et réaliste, remarquable aussi par la conservation des couleurs; les
cheveux et la barbe sont d’un bleu éclatant, les pupilles des yeux d’un vert
émeraude 9. L’Institut allemand a publié d’excellentes photographies colo-
■1. Tsountas, ’E^piepiç àpyvaio).oytxY], 1887, p. 155 et suiv., pl. X; Reinach, Re-
vue archéologique, 1888, t. 1, p. 374.
2. Société archéologique de Berlin, mai 1888.
3. Schliemann, Tirynthe, tract, française, pl. v-xiii.
4. Milchhoefer, Anfœnge der Kunst, p. 55.
5. Newton, Essays on art and archaeology, p. 279.
6. Pausanias, VIII, 25, 5.
7. M. Ramsay a déjà signalé, en Phrygie, le motif de la Porte des Lions qu’on
voit à Mycènes (Journal of Hellenic Studies, 1882, p. XXVII, XXVIII.)
8. Voy. le résumé des dernières fouilles de l’Acropole dans notre Chronique
d’Orient de la Revue archéologique, 1888, t. I, p. 357 et suiv.
9. Celte tète a été reproduite dans le Journal of Hellenic Studies, 1888, p. 122,
fig. 2 (article de Mlle Jane Harrison).
62
récemment exécutées à Mycènes, non plus dans les tombeaux, mais dans le
palais royal, au sommet de l’Acropole, ont fait reparaître de curieuses pein-
tures sur enduit qui semblent autoriser l’hypothèse, à cette époque reculée,
d’une école indigène, d’un art achéen1. Auprès d’une maison contempo-
raine du palais et située à un niveau un peu inférieur, M. Tsountas a re-
cueilli un singulier fragment que nous reproduisons ici : ce sont trois figures
à tête d’âne, qui portent une longue poutre sur leurs épaules. Sur un autre
morceau, provenant du palais, on voit à droite et à gauche une femme
étendant les mains au-dessus d’un autel : le milieu de la composition est
occupé par une idole indistincte. M. Schuchardt a fait observer2 que l’autel
rappelle, par sa forme, la colonne sculptée de la porte des Lions à Mycènes
et que le vêtement des femmes ressemble à celui que Ton remarque sur
la grande bague d’or trouvée dans la sixième tombe. Il est vrai que l’artiste
primitif qui a exécuté ces grossières peintures, analogues à celles qu’on a
recueillies dans le palais de Tirynthe3, pouvait s’inspirer des gravures sur
métal, phrygiennes ou phéniciennes, que le commerce introduisait à Mycè-
nes. Le motif des figures à tête d’âne ressemble beaucoup aux représenta-
tions gravées sur certaines gemmes découvertes dans l’Archipel4, et que
M. Newton a déjà rapprochées des trouvailles de Mycènes par une intuition
que les observations ultérieures ont confirmée3. La figure humaine à tète
de cheval n’est pas étrangère au plus ancien fonds de la mythologie gréco-
pélasgique, témoin cette vieille image hippocéphale de Déméter, appelée
Erinnys à Thelpousa et Melaina à Phigalie6. Peut-être s’est-il conservé un
souvenir d’une divinité à tête d’âne dans la légende phrygienne du roi
Midas; je serais tenté d’attribuer quelque importance à cette observation,
puisqu’elle me semble venir à l’appui de la tradition admise par les anciens,
qui cherchaient en Asie l’origine de la civilisation mycénienne7.
Aux monuments qui nous restent de l’art grec proprement dit avant
Périclès, les fouilles de l’Acropole d’Athènes, continuées avec vigueur par
M. Cavvadias, ont ajouté quelques sculptures intéressantes datant de la
fin du vie siècle 8. Il faut surtout signaler une tête de Triton, d’un art bru-
tal et réaliste, remarquable aussi par la conservation des couleurs; les
cheveux et la barbe sont d’un bleu éclatant, les pupilles des yeux d’un vert
émeraude 9. L’Institut allemand a publié d’excellentes photographies colo-
■1. Tsountas, ’E^piepiç àpyvaio).oytxY], 1887, p. 155 et suiv., pl. X; Reinach, Re-
vue archéologique, 1888, t. 1, p. 374.
2. Société archéologique de Berlin, mai 1888.
3. Schliemann, Tirynthe, tract, française, pl. v-xiii.
4. Milchhoefer, Anfœnge der Kunst, p. 55.
5. Newton, Essays on art and archaeology, p. 279.
6. Pausanias, VIII, 25, 5.
7. M. Ramsay a déjà signalé, en Phrygie, le motif de la Porte des Lions qu’on
voit à Mycènes (Journal of Hellenic Studies, 1882, p. XXVII, XXVIII.)
8. Voy. le résumé des dernières fouilles de l’Acropole dans notre Chronique
d’Orient de la Revue archéologique, 1888, t. I, p. 357 et suiv.
9. Celte tète a été reproduite dans le Journal of Hellenic Studies, 1888, p. 122,
fig. 2 (article de Mlle Jane Harrison).