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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
couleur répétées comme au hasard et comme des notes d’harmonie,
cette musique constante faite d’échos entrecroisés toujours discrets
mais toujours réels, le sentiment des soutiens délicats, la science de
la mise en valeur des effets lumineux, les uns par les autres : tout cela
est montré du doigt par M. Marcille avec une promptitude d’intuition
bien convaincante. L’habitude du maître ne laisse même pas hésiter,
une minute, le fidèle collectionneur, dans ces indications, car il sait
d’avance le pendant ou l’équilibre de tel ton, les repères à distance
de tel autre. C’est de l’analyse logique faite par un œil à portée vive.
Il faut l’entendre surtout devant les Chardin de son vieil ami La Caze,
pour se rendre encore meilleur compte de cette précision visuelle.
Les toiles prêtent, du reste, par leur variété même, à toutes les
remarques de rappels. Et si, comme le racontent les Souvenirs d’un
directeur des beaux-arts, M. La Caze avait fait de l'acquisition de ses
Chardin une question de modèles pour son propre talent de peintre
amateur, on doit lui reconnaître un flair bien pratique dans le choix
de ses morceaux d’imitation.
Le premier spécimen est un Bénédicité, la répétition originale de
ce Bénédicité de la collection de Louis XV si précieusement mis en
armoire par Durameau. Voilà certes un sujet à gravure et avant de
venir aux mains du très habile artiste, M. Gaujean, il inspira plus
d’une convoitise d’aqua-fortiste. En date de 1869, Ch. Chaplin
lui-même demandait à la Chalcographie du Louvre la commande d’une
estampe d’après ce motif. Il s’agissait naturellement du Chardin de
notre vieux fonds, le Bénédicité La Caze existant à peine en espérance.
Les événements ne laissèrent pas aboutir ce vœu. Faut-il le regretter
pour Chardin ? Le peintre-graveur de nos élégances parut s’en
consoler avec une traduction de la Noce juive de Delacroix. Ce double
Bénédicité du Louvre, l’un du Salon de 1740 comme il a été dit, cet
autre de 1761, sont des réductions du Bénédicité capital du cabinet
Marcille. A gauche de la scène où la mère de famille attend la fin de
la prière pour remplir l’assiette des fillettes, un garçon pâtissier
s’avance, porteur d’un plat couvert. La simple addition de ce person-
nage, donne, à elle seule, au tableau de M. Marcille, une importance
toute autre. La tournure du sujet s’en trouve même presque modifiée,
car la présence de ce joli mitron suisse imprime à ce repas d’enfants
un air de petite fête, inconnu aux deux réductions. L’idée de ce détail
était venue à Chardin par la force des choses. Pressé par M. de la Live
de lui faire avec un motif de Bénédicité le pendant d’un tableau en
largeur de Téniers, Chardin imagina cette figure tout exprès pour
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
couleur répétées comme au hasard et comme des notes d’harmonie,
cette musique constante faite d’échos entrecroisés toujours discrets
mais toujours réels, le sentiment des soutiens délicats, la science de
la mise en valeur des effets lumineux, les uns par les autres : tout cela
est montré du doigt par M. Marcille avec une promptitude d’intuition
bien convaincante. L’habitude du maître ne laisse même pas hésiter,
une minute, le fidèle collectionneur, dans ces indications, car il sait
d’avance le pendant ou l’équilibre de tel ton, les repères à distance
de tel autre. C’est de l’analyse logique faite par un œil à portée vive.
Il faut l’entendre surtout devant les Chardin de son vieil ami La Caze,
pour se rendre encore meilleur compte de cette précision visuelle.
Les toiles prêtent, du reste, par leur variété même, à toutes les
remarques de rappels. Et si, comme le racontent les Souvenirs d’un
directeur des beaux-arts, M. La Caze avait fait de l'acquisition de ses
Chardin une question de modèles pour son propre talent de peintre
amateur, on doit lui reconnaître un flair bien pratique dans le choix
de ses morceaux d’imitation.
Le premier spécimen est un Bénédicité, la répétition originale de
ce Bénédicité de la collection de Louis XV si précieusement mis en
armoire par Durameau. Voilà certes un sujet à gravure et avant de
venir aux mains du très habile artiste, M. Gaujean, il inspira plus
d’une convoitise d’aqua-fortiste. En date de 1869, Ch. Chaplin
lui-même demandait à la Chalcographie du Louvre la commande d’une
estampe d’après ce motif. Il s’agissait naturellement du Chardin de
notre vieux fonds, le Bénédicité La Caze existant à peine en espérance.
Les événements ne laissèrent pas aboutir ce vœu. Faut-il le regretter
pour Chardin ? Le peintre-graveur de nos élégances parut s’en
consoler avec une traduction de la Noce juive de Delacroix. Ce double
Bénédicité du Louvre, l’un du Salon de 1740 comme il a été dit, cet
autre de 1761, sont des réductions du Bénédicité capital du cabinet
Marcille. A gauche de la scène où la mère de famille attend la fin de
la prière pour remplir l’assiette des fillettes, un garçon pâtissier
s’avance, porteur d’un plat couvert. La simple addition de ce person-
nage, donne, à elle seule, au tableau de M. Marcille, une importance
toute autre. La tournure du sujet s’en trouve même presque modifiée,
car la présence de ce joli mitron suisse imprime à ce repas d’enfants
un air de petite fête, inconnu aux deux réductions. L’idée de ce détail
était venue à Chardin par la force des choses. Pressé par M. de la Live
de lui faire avec un motif de Bénédicité le pendant d’un tableau en
largeur de Téniers, Chardin imagina cette figure tout exprès pour