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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
les Saisons de la salle à manger de Crozat. Il suffît d’ailleurs de
regarder les estampes, et particulièrement celle du Printemps, où
More, sans draperie et sans parure, apparait couronnée parZéphyre,
pour reconnaître aux traits des visages, à l’accent des parties nues,
que nous sommes en présence de Watteau et non de La Fosse. Un
fait répond du reste aux insinuations de Caylus. M. de Concourt
possède les dessins originaux du Printemps et de Y Automne. « Ces
académies, dit-il, sont du dessin le plus accentué et le plus caracté-
risé de Watteau. » Il ne reste donc rien de l’affirmation de Caylus :
l’ancien mousquetaire s’est trompé.
Mais, au point de vue biographique et pour l’histoire du talent de
Watteau, il est intéressant de voir le jeune peintre conquérir ses
entrées chez le financier Crozat. Un monde nouveau va s’ouvrir pour
lui. Il y avait, dans l’hôtel de la rue de Richelieu, un splendide entas-
sement de merveilles. C’est là que Watteau vit pour la première fois
les œuvres des Vénitiens, c’est là qu’il apprit à peindre ces carnations
chaudes et giorgionesques dont on ne se lasse pas d’admirer les colo-
rations ambrées. En 1712, au moment où il travaillait aux Saisons
de la salle à manger, Watteau ne put prendre qu’un avant-goût des
richesses que renfermait l’hôtel de Crozat; mais sa cohabitation avec
les maîtres de Venise devint plus fraternelle et plus intime lorsque,
comme on le verra tout à l’heure, il eut, quelque temps après, la
bonne fortune de venir demeurer chez le grand amateur et de
pouvoir étudier librement dans son musée.
Watteau rencontra d’ailleurs chez Crozat des personnages de
marque, et parmi ceux-là il en est un qui eut une heureuse influence
sur sa destinée. Charles de La Fosse habitait l’hôtel depuis 1707 : il
y avait peint une galerie où l’on voyait la Naissance de Minerve, et
l’on admettra difficilement, que La Fosse, vieilli, mais valide encore,
ne soit pas quelquefois descendu du logement qu’il occupait avec sa
femme, pour voir les peintures que Watteau exécutait dans la salle
à manger. Il aimait d’ailleurs la jeunesse et prenait plaisir à l’en-
courager. A l’Académie royale, il était parvenu au grade de recteur
et se montrait assidu aux séances du samedi. Si quelqu’un a pu, avec
une autorité persuasive, faire comprendre à Watteau que sa situation
dans l’art était irrégulière et qu’elle l’exposait à recevoir un jour
la visite indiscrète des gardes de la corporation de Saint-Luc, c’est
assurément Charles de La Fosse. Les observations du vieux praticien
étaient la sagesse même. Pour avoir le droit de faire librement de la
peinture, pour se soustraire aux possibilités d’une saisie, il fallait
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
les Saisons de la salle à manger de Crozat. Il suffît d’ailleurs de
regarder les estampes, et particulièrement celle du Printemps, où
More, sans draperie et sans parure, apparait couronnée parZéphyre,
pour reconnaître aux traits des visages, à l’accent des parties nues,
que nous sommes en présence de Watteau et non de La Fosse. Un
fait répond du reste aux insinuations de Caylus. M. de Concourt
possède les dessins originaux du Printemps et de Y Automne. « Ces
académies, dit-il, sont du dessin le plus accentué et le plus caracté-
risé de Watteau. » Il ne reste donc rien de l’affirmation de Caylus :
l’ancien mousquetaire s’est trompé.
Mais, au point de vue biographique et pour l’histoire du talent de
Watteau, il est intéressant de voir le jeune peintre conquérir ses
entrées chez le financier Crozat. Un monde nouveau va s’ouvrir pour
lui. Il y avait, dans l’hôtel de la rue de Richelieu, un splendide entas-
sement de merveilles. C’est là que Watteau vit pour la première fois
les œuvres des Vénitiens, c’est là qu’il apprit à peindre ces carnations
chaudes et giorgionesques dont on ne se lasse pas d’admirer les colo-
rations ambrées. En 1712, au moment où il travaillait aux Saisons
de la salle à manger, Watteau ne put prendre qu’un avant-goût des
richesses que renfermait l’hôtel de Crozat; mais sa cohabitation avec
les maîtres de Venise devint plus fraternelle et plus intime lorsque,
comme on le verra tout à l’heure, il eut, quelque temps après, la
bonne fortune de venir demeurer chez le grand amateur et de
pouvoir étudier librement dans son musée.
Watteau rencontra d’ailleurs chez Crozat des personnages de
marque, et parmi ceux-là il en est un qui eut une heureuse influence
sur sa destinée. Charles de La Fosse habitait l’hôtel depuis 1707 : il
y avait peint une galerie où l’on voyait la Naissance de Minerve, et
l’on admettra difficilement, que La Fosse, vieilli, mais valide encore,
ne soit pas quelquefois descendu du logement qu’il occupait avec sa
femme, pour voir les peintures que Watteau exécutait dans la salle
à manger. Il aimait d’ailleurs la jeunesse et prenait plaisir à l’en-
courager. A l’Académie royale, il était parvenu au grade de recteur
et se montrait assidu aux séances du samedi. Si quelqu’un a pu, avec
une autorité persuasive, faire comprendre à Watteau que sa situation
dans l’art était irrégulière et qu’elle l’exposait à recevoir un jour
la visite indiscrète des gardes de la corporation de Saint-Luc, c’est
assurément Charles de La Fosse. Les observations du vieux praticien
étaient la sagesse même. Pour avoir le droit de faire librement de la
peinture, pour se soustraire aux possibilités d’une saisie, il fallait