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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
amoureusement. Les Bourbons l’avaient mis à l’écart : cette retraite
forcée lui était une intolérable souffrance, dont la contemplation des
merveilles de sa galerie particulière ne le soulageait plus. Quel pré-
texte pour dauber sur les Bourbons, pour en revenir à l’éternel sujet
de Bonaparte! A propos du fameux surintendant impérial, apprenez
que c’est Cartellier qui a sculpté le marbre de sa tombe. Cartellier!
le maître de Rude à Paris? — Eh oui! lui-même... On assure, entre
parenthèses, qu’il n’a pas oublié son élève et qu’il s’étonne de n’avoir
vu encore, en aucune exposition, nulle marque de son talent. Rude
s’excuse doucement : on ne saurait, de bonne foi, l’accuser de paresse.
S’il n’envoie rien aux Salons parisiens, c’est que ses travaux de sculp-
ture décorative absorbent tout son temps. « Mais, au fait, lui dit-on
en manière de riposte, que ne rentrez-vous à Paris? Rien ne vous
oblige à vous attarder davantage en Belgique. Voilà vos rivaux de
l’École des Beaux-Arts, David (d’Angers), Pradier, Cortot, Roman
dont on commence à parler, tandis qu’on vous ignore par votre
faute. Plus vous attendrez, sachez-le bien, et plus malaisés seront
vos débuts. » Le fils du poêlier répond en souriant qu’il a des com-
mandes à Bruxelles. En aura-t-il de même là-bas? Grande affaire,
vraiment, et qu’un père de famille doit considérer...
Peu à peu, cependant, à force de se reproduire, cette insinuation
qu’il ferait bien de repasser la frontière, impressionne l’artiste.
Voyons ! pourquoi ferait-il naufrage alors que David (d’Angers),
Pradier, Roman, Cortot, réussissent à l’envi? Il les vaut bien, que
diable! si tant est qu’il ne vaille pas mieux. Mouvement de jalousie,
pensera le lecteur ! — Non, simple mouvement — et très humain ■—■
de dignité piquée au jeu et juste désir de gloire. Je suppose qu’il s’est
ouvert à sa femme, à laquelle il ne cache rien, de ses velléités vagues
encore, mais seulement comme d’un rêve réalisable peut-être dans
un lointain, fort lointain avenir... Mme Rude a toutes ses affections,
toutes ses habitudes en Belgique : la perspective d’une installation
à Paris la doit, positivement, effaroucher. Oh! qu’elle soit tranquille !
Son mari n’est pas homme à la contrarier pour si peu... L’idée l’a
traversé, rien de plus — du moins à ce qu’il s’imagine. Néanmoins,
il confessera plus tard avoir été mordu, pour la première fois, vers
cette époque (1826), de la fantaisie d’entreprendre une figure «d’exé-
cution » susceptible d’être exposée à Paris. La Mythologie fournit
de beaux motifs à la statuaire. Que dites-vous de celui-ci, par exemple,
qui lui est venu en tête et dont il cherche la silhouette en se jouant:
« Mercure rattachant ses talonnières » ? Bah! qui vivra verra. L’homme
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
amoureusement. Les Bourbons l’avaient mis à l’écart : cette retraite
forcée lui était une intolérable souffrance, dont la contemplation des
merveilles de sa galerie particulière ne le soulageait plus. Quel pré-
texte pour dauber sur les Bourbons, pour en revenir à l’éternel sujet
de Bonaparte! A propos du fameux surintendant impérial, apprenez
que c’est Cartellier qui a sculpté le marbre de sa tombe. Cartellier!
le maître de Rude à Paris? — Eh oui! lui-même... On assure, entre
parenthèses, qu’il n’a pas oublié son élève et qu’il s’étonne de n’avoir
vu encore, en aucune exposition, nulle marque de son talent. Rude
s’excuse doucement : on ne saurait, de bonne foi, l’accuser de paresse.
S’il n’envoie rien aux Salons parisiens, c’est que ses travaux de sculp-
ture décorative absorbent tout son temps. « Mais, au fait, lui dit-on
en manière de riposte, que ne rentrez-vous à Paris? Rien ne vous
oblige à vous attarder davantage en Belgique. Voilà vos rivaux de
l’École des Beaux-Arts, David (d’Angers), Pradier, Cortot, Roman
dont on commence à parler, tandis qu’on vous ignore par votre
faute. Plus vous attendrez, sachez-le bien, et plus malaisés seront
vos débuts. » Le fils du poêlier répond en souriant qu’il a des com-
mandes à Bruxelles. En aura-t-il de même là-bas? Grande affaire,
vraiment, et qu’un père de famille doit considérer...
Peu à peu, cependant, à force de se reproduire, cette insinuation
qu’il ferait bien de repasser la frontière, impressionne l’artiste.
Voyons ! pourquoi ferait-il naufrage alors que David (d’Angers),
Pradier, Roman, Cortot, réussissent à l’envi? Il les vaut bien, que
diable! si tant est qu’il ne vaille pas mieux. Mouvement de jalousie,
pensera le lecteur ! — Non, simple mouvement — et très humain ■—■
de dignité piquée au jeu et juste désir de gloire. Je suppose qu’il s’est
ouvert à sa femme, à laquelle il ne cache rien, de ses velléités vagues
encore, mais seulement comme d’un rêve réalisable peut-être dans
un lointain, fort lointain avenir... Mme Rude a toutes ses affections,
toutes ses habitudes en Belgique : la perspective d’une installation
à Paris la doit, positivement, effaroucher. Oh! qu’elle soit tranquille !
Son mari n’est pas homme à la contrarier pour si peu... L’idée l’a
traversé, rien de plus — du moins à ce qu’il s’imagine. Néanmoins,
il confessera plus tard avoir été mordu, pour la première fois, vers
cette époque (1826), de la fantaisie d’entreprendre une figure «d’exé-
cution » susceptible d’être exposée à Paris. La Mythologie fournit
de beaux motifs à la statuaire. Que dites-vous de celui-ci, par exemple,
qui lui est venu en tête et dont il cherche la silhouette en se jouant:
« Mercure rattachant ses talonnières » ? Bah! qui vivra verra. L’homme