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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la perspective, l’anatomie, le modelé, les différences de la lumière
dans la peinture et dans la nature, les deux gammes de valeurs hors
du tableau et dans le tableau, la transposition indispensable par
laquelle la première trouve son équivalent dans la seconde, l’art de
composer, l'importance des proportions, la correspondance des mas-
ses et la convergence des effets. — A la fin, chez les maîtres eux-
mêmes, chez Théodore Rousseau et Corot, l’équilibre mental et
nerveux n’était plus intact ; chez leurs successeurs, surtout après
l’ébranlement de 1870 et de 1871, il s’est faussé, puis renversé, et
toujours du même côté, du côté de la sensation absorbante, physique
et personnelle, chezlesuns inculte et brute, chez les autres surexcitée
et pervertie, de plus en plus bas chez quelques-uns, jusqu’à l’étalage
et à l’affichage voulu de soi-même, jusqu’à l’ostentation effrontée des
préférences ignobles, des préoccupations vicieuses, des lèpres et des
souillures intimes, que le sens commun le plus vulgaire ordonne de
cacher. Expérience faite, le chemin que nous avons suivi depuis 1830
descendait vite et par une pente raide ; nous y trébuchons aujourd’hui,
et cela est vrai pour la peinture que l’on fait avec des mots, encore
plus que pour la peinture que l’on fait avec le pinceau. — Cela nous
conduit à regarder l’autre voie que nous n’avons pas suivie, et qui
s’ouvrait aussi devant nous en 1830.
III.
C’était l’antique route, frayée depuis Poussin et Claude Lorrain
jusqu’à Joseph Vernet et Hubert Robert : on pouvait y marcher,
avancer encore, et très loin ; mais elle semblait bien usée et sans
issue. Le public l’avait quittée ; très peu de talents nouveaux y res-
taient engagés, et leur choix était traité de routine. A l’Exposition,
leurs envois n’étaient pas propres à leur ramener la foule : on n’y
voyait que leurs compositions, moins bonnes que leurs études d’après
nature; ils avaient trop remanié leurs croquis, et l’arrangement
surajouté ôtait à leurs tableaux une fleur de vérité et de vie. Parfois,
à l'exemple du Poussin, ils avaient introduit dans leur paysage une
petite scène historique, quelque personnage de la mythologie ou delà
Bible, et la figure classique, drapée dans une attitude noble, faisait
croire que ses alentours étaient, comme elle-même, une œuvre factice
d’académie et de convention. D’ailleurs, pour le spectateur français
et parisien, leurs sites, empruntés à la Grèce ou à l’Italie, étaient
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la perspective, l’anatomie, le modelé, les différences de la lumière
dans la peinture et dans la nature, les deux gammes de valeurs hors
du tableau et dans le tableau, la transposition indispensable par
laquelle la première trouve son équivalent dans la seconde, l’art de
composer, l'importance des proportions, la correspondance des mas-
ses et la convergence des effets. — A la fin, chez les maîtres eux-
mêmes, chez Théodore Rousseau et Corot, l’équilibre mental et
nerveux n’était plus intact ; chez leurs successeurs, surtout après
l’ébranlement de 1870 et de 1871, il s’est faussé, puis renversé, et
toujours du même côté, du côté de la sensation absorbante, physique
et personnelle, chezlesuns inculte et brute, chez les autres surexcitée
et pervertie, de plus en plus bas chez quelques-uns, jusqu’à l’étalage
et à l’affichage voulu de soi-même, jusqu’à l’ostentation effrontée des
préférences ignobles, des préoccupations vicieuses, des lèpres et des
souillures intimes, que le sens commun le plus vulgaire ordonne de
cacher. Expérience faite, le chemin que nous avons suivi depuis 1830
descendait vite et par une pente raide ; nous y trébuchons aujourd’hui,
et cela est vrai pour la peinture que l’on fait avec des mots, encore
plus que pour la peinture que l’on fait avec le pinceau. — Cela nous
conduit à regarder l’autre voie que nous n’avons pas suivie, et qui
s’ouvrait aussi devant nous en 1830.
III.
C’était l’antique route, frayée depuis Poussin et Claude Lorrain
jusqu’à Joseph Vernet et Hubert Robert : on pouvait y marcher,
avancer encore, et très loin ; mais elle semblait bien usée et sans
issue. Le public l’avait quittée ; très peu de talents nouveaux y res-
taient engagés, et leur choix était traité de routine. A l’Exposition,
leurs envois n’étaient pas propres à leur ramener la foule : on n’y
voyait que leurs compositions, moins bonnes que leurs études d’après
nature; ils avaient trop remanié leurs croquis, et l’arrangement
surajouté ôtait à leurs tableaux une fleur de vérité et de vie. Parfois,
à l'exemple du Poussin, ils avaient introduit dans leur paysage une
petite scène historique, quelque personnage de la mythologie ou delà
Bible, et la figure classique, drapée dans une attitude noble, faisait
croire que ses alentours étaient, comme elle-même, une œuvre factice
d’académie et de convention. D’ailleurs, pour le spectateur français
et parisien, leurs sites, empruntés à la Grèce ou à l’Italie, étaient