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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
le plein jour, le ciel du Midi, la grande rondeur concave qui enve-
loppe et groupe toutes les inégalités de la terre sous la magnificence
et l’uniformité de sa coupole.
Dans ces lignes qu’il trace, rien de convenu ni d’appris; aucune
recette d’école comme chez ses devanciers; lui aussi, il s’est affranchi
de la tradition, il s’est remis en face de la nature, il se garde bien de
réformer les formes pour un prétendu plaisir des jeux. Ses paysages
ne sont pas, comme ceux de Perelle 1, des montagnes quelconques, la
mer en général. C’est un site réel qu’il copie, tel site et de tel point
de vue. Seulement il a choisi son point de vue; ses camarades
d’étude disent qu’il le trouvait à l’instant, que c’était le meilleur, le
seul bon; en deçà ou au delà, à gauche, à droite, aucune place,
épreuve faite, ne fournissait un si beau motif. Une fois assis, sans
efforts ni hâte, sans tâtonnements ni repentirs, sa main obéissait à
son œil, et son œil à son esprit. 11 simplifiait; rien d’autre, ni de
plus; tout son procédé est là. Pas un trait du modèle n’est altéré,
arrangé , pas un trait de la copie n'est inventé, ajouté ; mais, parmi
les traits du modèle, la copie ne répète que les principaux; ses omis-
sions sont un surcroît de fidélité; elles nous dévoilent le grandiose
qui, dans le modèle, demeurait obscur, indistinct; nous saisissons,
non les superficies, mais les profondeurs de la vérité; c’est elle, et,
du premier regard, nous la reconnaissons. Voilà bien les sites que
nous avons vus, Sorrente, Amalfi, Capri, l’interminable escalier
taillé dans la montagne, les longues allées qui montent entre leurs
deux soutènements de larges dalles, les oliviers et les chênes verts,
leurs troncs tortueux ou trapus, leurs souches bosselées, leurs
racines accrochées et enfoncées dans les fissures de la pierre, les
terrasses et les bâtisses étagées, la haute paroi de la côte à pic, sorte
de bordure ouvragée qui tourne, enserrant la mer luisante. Et voici
Subiaco, Terni, Tivoli, San Germano, l’Apennin, ses découpures sur
le ciel clair, tantôt son échine saillante, une longue chaîne intacte
de vertèbres minérales, tantôt des vertèbres désarticulées, fra-
cassées, écroulées, en tas dans une fondrière ou éparses sur une
pente. De telles formes sont uniques; on ne les imagine pas, on n’a
pas pu les fabriquer; elles sont trop originales, trop cohérentes; elles
tiennent trop étroitement à la géologie intime, à l’histoire authen-
tique de la planète, à l’histoire positive de l’humanité; de même, les
autres formes, en Sicile, sur le Bosphore, en Grèce, en Egypte,
1. « Cent cinquante paysages et marines inventés et gravés par Perelle ».
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
le plein jour, le ciel du Midi, la grande rondeur concave qui enve-
loppe et groupe toutes les inégalités de la terre sous la magnificence
et l’uniformité de sa coupole.
Dans ces lignes qu’il trace, rien de convenu ni d’appris; aucune
recette d’école comme chez ses devanciers; lui aussi, il s’est affranchi
de la tradition, il s’est remis en face de la nature, il se garde bien de
réformer les formes pour un prétendu plaisir des jeux. Ses paysages
ne sont pas, comme ceux de Perelle 1, des montagnes quelconques, la
mer en général. C’est un site réel qu’il copie, tel site et de tel point
de vue. Seulement il a choisi son point de vue; ses camarades
d’étude disent qu’il le trouvait à l’instant, que c’était le meilleur, le
seul bon; en deçà ou au delà, à gauche, à droite, aucune place,
épreuve faite, ne fournissait un si beau motif. Une fois assis, sans
efforts ni hâte, sans tâtonnements ni repentirs, sa main obéissait à
son œil, et son œil à son esprit. 11 simplifiait; rien d’autre, ni de
plus; tout son procédé est là. Pas un trait du modèle n’est altéré,
arrangé , pas un trait de la copie n'est inventé, ajouté ; mais, parmi
les traits du modèle, la copie ne répète que les principaux; ses omis-
sions sont un surcroît de fidélité; elles nous dévoilent le grandiose
qui, dans le modèle, demeurait obscur, indistinct; nous saisissons,
non les superficies, mais les profondeurs de la vérité; c’est elle, et,
du premier regard, nous la reconnaissons. Voilà bien les sites que
nous avons vus, Sorrente, Amalfi, Capri, l’interminable escalier
taillé dans la montagne, les longues allées qui montent entre leurs
deux soutènements de larges dalles, les oliviers et les chênes verts,
leurs troncs tortueux ou trapus, leurs souches bosselées, leurs
racines accrochées et enfoncées dans les fissures de la pierre, les
terrasses et les bâtisses étagées, la haute paroi de la côte à pic, sorte
de bordure ouvragée qui tourne, enserrant la mer luisante. Et voici
Subiaco, Terni, Tivoli, San Germano, l’Apennin, ses découpures sur
le ciel clair, tantôt son échine saillante, une longue chaîne intacte
de vertèbres minérales, tantôt des vertèbres désarticulées, fra-
cassées, écroulées, en tas dans une fondrière ou éparses sur une
pente. De telles formes sont uniques; on ne les imagine pas, on n’a
pas pu les fabriquer; elles sont trop originales, trop cohérentes; elles
tiennent trop étroitement à la géologie intime, à l’histoire authen-
tique de la planète, à l’histoire positive de l’humanité; de même, les
autres formes, en Sicile, sur le Bosphore, en Grèce, en Egypte,
1. « Cent cinquante paysages et marines inventés et gravés par Perelle ».