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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 1.1889

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Nr. 5
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Bonnat, Léon: Barye
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https://doi.org/10.11588/diglit.24445#0420

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BÀRYE.

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forte tète, les yeux ardents braqués sur l’animal, puis, celui-ci dis-
paru, l’émotion passée, il reprend sa marche attristée, ses yeux
s’éteignent et il se couche ou bâille de nostalgie, montrant ses crocs
luisants. Pauvres grands prisonniers, créés pour franchir les
espaces, pour vivre sous un soleil de feu dans la liberté sans limite,
et qui végètent là si tristement, dans les brumes de Paris, dans les
brouillards du Nord !

L’apprenti ciseleur a dû bien souvent faire l’école buissonnière,
passer lui aussi des heures contemplatives, posant ses fraîches joues
contre les barreaux de la grille, il a dû, à cette révélation du beau,
sentir battre son cœur et pressentir qu’un jour viendrait oû il lutterait
avec ces fiers modèles. Et il s’est tenu parole et c’est en vainqueur
qu’il est sorti de la lutte. Regardez son tigre. Tout est merveilleuse-
ment rendu : proportions, souplesse des membres, ampleur du mou-
vement, port de la tète, largeur et développement des mâchoires,
âpreté des poils, clignement des yeux. C’est complet et c’est admi-
rable. Et si, du tigre, Barye passe à la panthère, qu’il la mette en
embuscade et qu’il la fasse bondir sur un cerf, c’est tout aussi admi-
rable. La panthère s’élance et tombe de tout son poids et avec une
précision infaillible sur sa victime que de ses crocs formidables elle
saisit par le cou : ses larges pattes s’étalent puissamment l’une sur le
garrot, l’autre sur le front, et, outre ces armes terribles, la bête
féroce se sert encore de sa pesanteur pour enrayer et paralyser l’élan
de l’animal craintif qui, dompté par la force, anéanti, brisé par
son bourreau, courbe la tête, et frissonnant, baigné de sueur, râle
et jette un cri de douleur suprême.

J’arrive au Jaguar dévorant un lièvre. Je crois que, de l'avis de
tous, c’est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de cet homme qui en a
tant produit. C’est beau comme Y Enclave de Michel-Ange au Louvre.
De sa gueule, le jaguar a saisi le lièvre par les entrailles; la patte
droite avance, son ongle déchire le bassin de la victime, et, lente-
ment, aplati-, le ventre contre terre, rampant comme un serpent, il
va la dévorer dans l’ombre de sa tanière. Déjà il la savoure avec
une joie d’une intensité féroce, « avec la volupté gourmande du
sang », comme dit Edmond de Goncourt dans sa pénétrante descrip-
tion du jaguar. Ses oreilles sont collées contre son cou dont les
muscles puissants dénotent la force. Des crispations nerveuses cou-
rent tout le long de son échine, jusqu’aux dernières vertèbres de la
queue; les yeux farouches, terribles convergent vers le centre et ont
la fixité de l’œil d’une vipère. Malheur à qui s’approcherait pour
 
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