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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Parmi ces inconnus du livret, trois œuvres remarquables étaient extraites des
collections de Limburg-Stirum et de Crombrugghc de Picquendaele. A la première
appartenait un portrait extrêmement curieux de Jean sans Peur, qu’il est permis
de croire contemporain de ce prince, mort en 1419. Il n’y a pas grande hardiesse
à donner un nom au personnage; si les portraits gravés de Jean sans Peur sont
d’un mérite artistique secondaire, ils témoignent, du moins, de l’existence d’un
prototype. Figure longue, futée, donnant plutôt l’idée d’un homme sans scrupule
que sans peur. Le costume est bien également celui de la cour de Bourgogne
au début du xve siècle, ce costume qui, d’après Viollet-le-Duc, semblait avoir pris
comme point de départ l’étude du laid et du difforme et dont le souvenir n’est pas
éteint dans les œuvres des Van Eyck.
Il serait difficile de ne pas prononcer ce nom devant un portrait du duc de
Bourgogne, alors surtout qu’il est peint à l’huile. Parler d’Hubert Van Eyck, c’est
naviguer sans boussole, car aucune peinture du maître n’a pu être identifiée
jusqu’ici. D’ailleurs, son nom n’apparaît pas dans les comptes de la maison de
Bourgogne. Jean Van Eyck, pour sa part, n’est entré au service de celle-ci qu’après
la mort de Jean sans Peur. Tout cela n’empêche que comme exécution aussi bien que
comme tonalité, le portrait exposé à Gand n’offre des points de contact nombreux
avec la manière du glorieux artiste, et il ne faudrait pas trop facilement repousser
l’idée d’y voir une œuvre de sa jeunesse, c’est-à-dire de l’époque où, étant au service
de Jean de Bavière, sa réputation était parvenue jusqu’à Philippe le Bon, comme
l’affirment les documents publiés par le comte de Laborde.
A celle première œuvre, avant tout curieuse, de la collection Limburg-Stirum,
s’en ajoute une seconde, d’un attrait artistique infiniment supérieur, une des perles
de l’exposition de Gand. Simplement désignée sous le titre de Château de Rumbeeck,
l’attachante petite création offre d’abord l’intérêt de représenter un domaine connu,
appartenant à la famille du possesseur même de la Peinture. Le titre n’en donne
qu’une idée très imparfaite. Le château n’est ici qu’un accessoire. L’avant-plan
est occupé par de nombreux personnages, qui sont autant de portraits sans doute.
La date se précise sans grande difficulté par les costumes. Nous touchons à 1540,
époque avancée du règne de Charles-Quint. Les vastes coiffures ont fait place,
pour les hommes, aux toques gracieuses, pour les femmes à la coiffe étoffée que
l’on rencontre surtout dans les portraits de Holbein. Une vaste pièce d’eau, où
s’ébattent des cygnes, occupe le centre de la peinture. Environnée d’arbres à
l’imposante silhouette, elle laisse à droite une échappée de vue sur un village
dépendant du castel dont les créneaux et les tours se découpent sur les frondaisons
d’un parc. Sur la rive la plus distante, une cavalcade de toutes petites figures
s’avance joyeusement vers la noble demeure. Les dames occupent un spacieux
chariot couvert de toile. Les cavaliers et les valets précèdent et suivent. Les per-
sonnages réunis à l’avant-plan sont au nombre de quinze. Ils chantent en s’accom-
pagnant de divers instruments. Un page leur verse du vin. Mais aucun visage ne
s’illumine d’un sourire et les gestes demeurent compassés. Il semble que le peintre,
observateur rigoureux de son modèle, s’est renfermé dans un scrupule de ressem-
blance, imposé par ses clients.
On voit encore, à l’extrémité du groupe, le chapelain de la famille, lisant ses
Heures. Leys eut assurément fait ses délices de cette petite page où le précieux
rendu du détail ne nuit en rien à l’harmonie de l’ensemble, Sous les rayons du
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Parmi ces inconnus du livret, trois œuvres remarquables étaient extraites des
collections de Limburg-Stirum et de Crombrugghc de Picquendaele. A la première
appartenait un portrait extrêmement curieux de Jean sans Peur, qu’il est permis
de croire contemporain de ce prince, mort en 1419. Il n’y a pas grande hardiesse
à donner un nom au personnage; si les portraits gravés de Jean sans Peur sont
d’un mérite artistique secondaire, ils témoignent, du moins, de l’existence d’un
prototype. Figure longue, futée, donnant plutôt l’idée d’un homme sans scrupule
que sans peur. Le costume est bien également celui de la cour de Bourgogne
au début du xve siècle, ce costume qui, d’après Viollet-le-Duc, semblait avoir pris
comme point de départ l’étude du laid et du difforme et dont le souvenir n’est pas
éteint dans les œuvres des Van Eyck.
Il serait difficile de ne pas prononcer ce nom devant un portrait du duc de
Bourgogne, alors surtout qu’il est peint à l’huile. Parler d’Hubert Van Eyck, c’est
naviguer sans boussole, car aucune peinture du maître n’a pu être identifiée
jusqu’ici. D’ailleurs, son nom n’apparaît pas dans les comptes de la maison de
Bourgogne. Jean Van Eyck, pour sa part, n’est entré au service de celle-ci qu’après
la mort de Jean sans Peur. Tout cela n’empêche que comme exécution aussi bien que
comme tonalité, le portrait exposé à Gand n’offre des points de contact nombreux
avec la manière du glorieux artiste, et il ne faudrait pas trop facilement repousser
l’idée d’y voir une œuvre de sa jeunesse, c’est-à-dire de l’époque où, étant au service
de Jean de Bavière, sa réputation était parvenue jusqu’à Philippe le Bon, comme
l’affirment les documents publiés par le comte de Laborde.
A celle première œuvre, avant tout curieuse, de la collection Limburg-Stirum,
s’en ajoute une seconde, d’un attrait artistique infiniment supérieur, une des perles
de l’exposition de Gand. Simplement désignée sous le titre de Château de Rumbeeck,
l’attachante petite création offre d’abord l’intérêt de représenter un domaine connu,
appartenant à la famille du possesseur même de la Peinture. Le titre n’en donne
qu’une idée très imparfaite. Le château n’est ici qu’un accessoire. L’avant-plan
est occupé par de nombreux personnages, qui sont autant de portraits sans doute.
La date se précise sans grande difficulté par les costumes. Nous touchons à 1540,
époque avancée du règne de Charles-Quint. Les vastes coiffures ont fait place,
pour les hommes, aux toques gracieuses, pour les femmes à la coiffe étoffée que
l’on rencontre surtout dans les portraits de Holbein. Une vaste pièce d’eau, où
s’ébattent des cygnes, occupe le centre de la peinture. Environnée d’arbres à
l’imposante silhouette, elle laisse à droite une échappée de vue sur un village
dépendant du castel dont les créneaux et les tours se découpent sur les frondaisons
d’un parc. Sur la rive la plus distante, une cavalcade de toutes petites figures
s’avance joyeusement vers la noble demeure. Les dames occupent un spacieux
chariot couvert de toile. Les cavaliers et les valets précèdent et suivent. Les per-
sonnages réunis à l’avant-plan sont au nombre de quinze. Ils chantent en s’accom-
pagnant de divers instruments. Un page leur verse du vin. Mais aucun visage ne
s’illumine d’un sourire et les gestes demeurent compassés. Il semble que le peintre,
observateur rigoureux de son modèle, s’est renfermé dans un scrupule de ressem-
blance, imposé par ses clients.
On voit encore, à l’extrémité du groupe, le chapelain de la famille, lisant ses
Heures. Leys eut assurément fait ses délices de cette petite page où le précieux
rendu du détail ne nuit en rien à l’harmonie de l’ensemble, Sous les rayons du