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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 1.1889

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Nr. 6
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Mantz, Paul: Watteau, 3
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https://doi.org/10.11588/diglit.24445#0518

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472

GAZETTE UES BEAUX-ARTS.

est un thème offert à ceux qui s’essaient à l’art d’écrire. Mais celui de
nous tous qui a donné sur le charmant chef-d’œuvre la note la plus
juste, celle qui le rappelle le mieux au souvenir, c’est Théophile
Gautier. Il a laissé sur l’esquisse de Watteau une page qu’il faut
relire :

« Au bord d’une mer dont l'azur vague se confond avec celui du ciel et des
lointains, près d’un bouquet d’arbres aux branches légères comme des plumes, se
dresse une statue de Vénus ou plutôt un buste de la déesse terminé en gaine à la
façon des Termes et des Hermès. Des guirlandes de fleurs s’y suspendent. Un arc
et un carquois y sont attachés. Non loin de la déesse, sur un banc, une jeune
femme jouant de l’éventail semble hésiter à partir pour l’ile de Cythère. Un pèlerin
agenouillé près d’elle lui chuchote à l’oreille de galantes raisons, et un petit
Amour, le camail sur les épaules, la tire par le pan de sa robe. Il doit être du
voyage sans doute. A côté de ce groupe, un cavalier prend par les mains, pour
l’aider à se lever, une jeune beauté assise sur le gazon. Un autre emmène sa belle,
qui ne résiste plus et dont il entoure du bras le fin corsage. Au second plan, trois
groupes d’amoureux, le camail au dos, le bourdon à la main, se dirigent vers la
barque où sont déjà arrivés deux groupes de pèlerins de la tournure la plus svelte
et la plus coquette. Avec quelle élégance la femme qui va entrer dans l’esquif relève
par derrière, d’un petit tour de main, la traîne de sa robe ! Il n’y a que Watteau
pour saisir au vol ces mouvements féminins. La barque est sculptée, dorée et porte
à sa proue une chimère ailée, cambrant son torse et renversant sa tête dans une
coquille à cannelures. Des rameurs demi-nus la manœuvrent, et de petits Amours
en déploient la tente. Au-dessus de l’esquif, dans des tourbillons de légères
vapeurs, pareilles à des gazes d’argent, volent, se roulent et jouent des Cupidons
enfants, dont l’un agite une torche. Voilà bien à peu près les principaux linéaments
de la composition et la place des personnages. Mais quels mots pourraient
exprimer ce coloris tendre, vaporeux, idéal, si bien choisi pour un rêve de jeunesse
et de bonheur, noyé de frais azur et de brume lumineuse dans les lointains,
réchauffé de blondes transparences sur les premiers plans, vrai comme la nature
et brillant comme une apothéose d’opéra ! Rubens et Paul Véronèse reconnaîtraient
volontiers Watteau pour un de leurs petits-fils.

Et, en effet, le soir clu 28 août 1717, le nouvel académicien put
s’endormir gaiement. A l’heure où la Hollande déchue se délectait
aux peintures métalliques d’Adrien van der Werff, où la Flandre
glissait dans une décadence qu’on pouvait croire sans remède, où
l’Italie, elle-même, oubliait le sentiment et le métier, l’auteur de
Y Embarquement pour Cythère était le premier peintre de l’Europe.

PAUL MANTZ,

(La suite prochainement.)
 
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