Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 3.1890

DOI Heft:
Nr. 5
DOI Artikel:
Courajod, Louis: Eugéne Piot et les objets d'art légués au musée du Louvre
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.24447#0445

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
408

GAZETTE DES BEAUX-AltTS.

Que cet homme a dû être malheureux et combien ne devons-nous
pas être indulgent pour lui! Il fallait que sa foi et ses convictions
fussent bien robustes. Quels doutes terribles ont dû l’assaillir quand
il voyait rentrer au logis les plus précieuses merveilles qu’il avait
inutilement exposées à la convoitise publique! Un autre entêté, un
autre convaincu, un délicat amateur de la même trempe et de la
même école qu’un instant de folie déposséda un beau jour d’une
prodigieuse collection et qui vit passer en vente, sous le dédain uni-
versel, quelques-uns des objets qu’il avait particulièrement aimés et
honorés, Charles Titubai, m’a fait comprendre combien étaient
douloureux ces démentis publics infligés par les enchères à la face
d’un culte intime et des croyances de toute une vie. Piot ne put
jamais dévorer ces affronts, au-devant desquels il était forcé d’aller
périodiquement. Chaque vente renouvelait ses humiliations et ses
supplices. Sa haine et son mépris pour ses contemporains allaient
toujours en grandissant. On s’explique très bien l’attitude qu’il avait
prise dans les dernières années de sa vie. Il gardait malgré lui,
jalousement et farouchement, ce qui lui restait de son trésor.

Comme l’a très bien dépeint M. Charles Yriarte 1 2, Piot est mort
découragé de son effort personnel. Mais il est consolant de penser
qu’il n’est pas mort désespéré. La lecture de son testament 3 est
absolument rassérénante. Elle a surpris un très grand nombre de
personnes parce que Piot ne se livrait pas, parce qu’on no l’abordait
qu’avec méfiance et parce qu’il nous est resté profondément inconnu
de son vivant. Ce testament a fait la lumière. Il nous montre l’unité
d’une vie consacrée à une passion dominante, à une idée primordiale.
Ce testament n’est que le dernier chapitre et l’épilogue du (Minet de
l’Amateur. Celui qui avait résolu en 1842 de « réduire à l’état do
science exacte les instincts des hommes de goût et d’ajouter ainsi
une pierre au vaste édifice de l’Histoire de l’Art », confie en mourant
à l’Académie des Inscriptions l’œuvre inachevée et surhumaine qu’il
avait individuellement entreprise. Sans doute il a impatiemment
supporté les obstacles et les difficultés du chemin dans le désert. Sans
doute il s’est fréquemment et violemment révolté contre l’indifférence
et l’hostilité du monde curieux. Sans doute, après avoir û poino
entrevu la terre promise, il a renoncé capricieusement à son ensei-
gnement doctrinal et s’est enfermé à la fin de sa vio dans un mutisme

1. Le Figaro du 8 février 1800.

2. Voyez la Chronique des Arts du 25 janvier 1890.
 
Annotationen