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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
entré dans cette demeure, toute remplie d’objets d’art les plus
précieux, dont depuis longtemps déjà les possesseurs s’appliquaient
à accroître les richesses, avec la noble intention de léguer après
eux tous ces trésors à l’étude et à l’admiration publiques. En per-
pétuant ainsi le souvenir d’un nom doublement cher à tous ceux
qui aiment les arts, les deux époux, unis par une entière communauté
de goûts, couronnaient une vie consacrée à la pratique du bien
comme au culte du beau. Pour ce qui touche l’œuvre de Memling,
M. Ed. André avait même projeté, dès son acquisition, d’en faire
présent au Louvre; mais, de plus en plus épris de ce charmant
ouvrage, il avait ajourné ce don. C’est pour se conformer à un
dessein connu d’elle seule, que Mme Ed. André, dans un sentiment
que comprendront tous ceux qui l’ont approchée, a résolu d’honorer
la mémoire de celui qu’elle a perdu, en devançant sur ce point la
réalisation de son généreux désir. Empressée de s’associer à cet
hommage, la direction de la Gazette a eu la bonne inspiration d’offrir
aux lecteurs d’un journal qui doit tant lui-même à M. André, la
gravurejointeà cet article etqui leur permettra d’apprécier la valeur
d’un tel présent.
L'œuvre, en effet, est de prix, dans un état de conservation irré-
prochable et sans aucune retouche. C’est une de ces peintures d’ora-
toire auxquelles se complaisait Memling, et qui, par la nature des
sujets qu’elle retrace, autant que par la perfection qu’il y a mise, nous
donne la plus haute idée de son talent. Ainsi que l’artiste l’a fait
assez souvent, la composition comprend plusieurs épisodes juxtaposés,
groupés très ingénieusement, mais indépendants les uns des autres, et
nous montre rassemblés sur un même panneau tous les saints dont
un pieux donateur invoque la protection secourable. Enveloppé d’une
large houppelande brune doublée de fourrure, ce donateur, dont les
armoiries sont peintes au-dessous de lui, est agenouillé sur un gazon
parsemé de plantes printanières, des primevères, des chicorées au
feuillage découpé, des lychnis et des violettes. Il prie avec ferveur,
les mains dévotement jointes. Ses cheveux grisonnent et son visage
aux traits fins, à la physionomie timide, un peu craintive, respire
l’honnêteté. Vêtu de la peau de bique traditionnelle, sur laquelle
est jetée une étoffe violacée, saint Jean-Baptiste se tient debout près
de lui. La main gauche posée sur son épaule, comme pour le récon-
forter, il lui indique, de la droite, des figures placées en dehors du
tableau, — peintes sans doute sur un autre panneau accolé à celui-ci,
— le Christ ou la Vierge, auxquels le suppliant adresse sa prière.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
entré dans cette demeure, toute remplie d’objets d’art les plus
précieux, dont depuis longtemps déjà les possesseurs s’appliquaient
à accroître les richesses, avec la noble intention de léguer après
eux tous ces trésors à l’étude et à l’admiration publiques. En per-
pétuant ainsi le souvenir d’un nom doublement cher à tous ceux
qui aiment les arts, les deux époux, unis par une entière communauté
de goûts, couronnaient une vie consacrée à la pratique du bien
comme au culte du beau. Pour ce qui touche l’œuvre de Memling,
M. Ed. André avait même projeté, dès son acquisition, d’en faire
présent au Louvre; mais, de plus en plus épris de ce charmant
ouvrage, il avait ajourné ce don. C’est pour se conformer à un
dessein connu d’elle seule, que Mme Ed. André, dans un sentiment
que comprendront tous ceux qui l’ont approchée, a résolu d’honorer
la mémoire de celui qu’elle a perdu, en devançant sur ce point la
réalisation de son généreux désir. Empressée de s’associer à cet
hommage, la direction de la Gazette a eu la bonne inspiration d’offrir
aux lecteurs d’un journal qui doit tant lui-même à M. André, la
gravurejointeà cet article etqui leur permettra d’apprécier la valeur
d’un tel présent.
L'œuvre, en effet, est de prix, dans un état de conservation irré-
prochable et sans aucune retouche. C’est une de ces peintures d’ora-
toire auxquelles se complaisait Memling, et qui, par la nature des
sujets qu’elle retrace, autant que par la perfection qu’il y a mise, nous
donne la plus haute idée de son talent. Ainsi que l’artiste l’a fait
assez souvent, la composition comprend plusieurs épisodes juxtaposés,
groupés très ingénieusement, mais indépendants les uns des autres, et
nous montre rassemblés sur un même panneau tous les saints dont
un pieux donateur invoque la protection secourable. Enveloppé d’une
large houppelande brune doublée de fourrure, ce donateur, dont les
armoiries sont peintes au-dessous de lui, est agenouillé sur un gazon
parsemé de plantes printanières, des primevères, des chicorées au
feuillage découpé, des lychnis et des violettes. Il prie avec ferveur,
les mains dévotement jointes. Ses cheveux grisonnent et son visage
aux traits fins, à la physionomie timide, un peu craintive, respire
l’honnêteté. Vêtu de la peau de bique traditionnelle, sur laquelle
est jetée une étoffe violacée, saint Jean-Baptiste se tient debout près
de lui. La main gauche posée sur son épaule, comme pour le récon-
forter, il lui indique, de la droite, des figures placées en dehors du
tableau, — peintes sans doute sur un autre panneau accolé à celui-ci,
— le Christ ou la Vierge, auxquels le suppliant adresse sa prière.