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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et là, encore, est sans doute le secret de son étonnante fécondité.
Castillo, ayant quitté Séville pour aller résider à Cadix, ne put
emmener avec lui son élève. Abandonné trop tôt à lui-même,
le jeune artiste n’eut d’autres ressources que de barbouiller force
peintures pour les acheteurs de la feria, sorte de marché toujours
ouvert et qui se tenait sur les parvis de la cathédrale. C’était là
une triste et dangereuse besogne, et Murillo y eût certainement
perverti très vite son jeune talent, si le retour à Séville de Pedro
de Moya, qui revenait d’Angleterre et des Flandres après avoir été
un moment admis comme élève par Van Dyck, ne lui eût inspiré
une résolution salutaire. Très vivement frappé à la vue des
esquisses et des copies, d’après les grands flamands, que Moya avait
rapportées, Murillo décida qu’il irait lui aussi étudier chez eux
ces maîtres qu’il admirait. Ayant réalisé un léger pécule par la
vente de quelques toiles, il partit pour Madrid, oû son grand
compatriote, Arelazquez, l’accueillit affectueusement, et lui facilita,
sans aller plus loin, les moyens tant désirés de perfectionner son
talent. A l’Alcazar, à FEscurial et au Buen Retiro, Murillo étudia
les maîtres à loisir et peignit, pendant deux ans, d’après les plus
beaux tableaux du Titien, de Rubens, de Van Dyck, de Ribera,
appartenant aux collections royales; il visita et consulta souvent
Velâzquez, qui lui fut un guide précieux et un sûr conseiller,
de même que son ancien condisciple Alonso Cano.
Revenu dans sa ville natale, Murillo y accomplit son premier
grand travail : la décoration du petit cloitre des Franciscains,
composée de onze toiles, aujourd’hui dispersées, mais qui se
retrouvent à l’Académie de San-Fernando, aux Musées du Louvre,
de Toulouse, de Dresde, et dans diverses collections particulières.
Dans ces premières productions, qui sont datées 1646, il est aisé
d’observer combien vivace est encore chez Murillo l’impression
des maîtres qu’il a admirés et étudiés. Il hésite, tâtonne et se
cherche encore, mêlant les teintes fraîches de Van Dyck aux
oppositions contrastées de Ribera, l’opulence des colorations véni-
tiennes aux gris fins et discrets de Arelazquez. Mais, à travers ces
réminiscences, on devine la présence latente d’un talent qui va
bientôt s’affirmer et dégager sa propre originalité. Dès 1655,
l’artiste est en pleine possession de tous ses moyens, ainsi que
l’attestent les deux superbes peintures qui sont dans la cathédrale
de Séville et qui représentent saint Isidore et saint Léandre.
Désormais, chaque nouvel ouvrage qu’il entreprendra marquera
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et là, encore, est sans doute le secret de son étonnante fécondité.
Castillo, ayant quitté Séville pour aller résider à Cadix, ne put
emmener avec lui son élève. Abandonné trop tôt à lui-même,
le jeune artiste n’eut d’autres ressources que de barbouiller force
peintures pour les acheteurs de la feria, sorte de marché toujours
ouvert et qui se tenait sur les parvis de la cathédrale. C’était là
une triste et dangereuse besogne, et Murillo y eût certainement
perverti très vite son jeune talent, si le retour à Séville de Pedro
de Moya, qui revenait d’Angleterre et des Flandres après avoir été
un moment admis comme élève par Van Dyck, ne lui eût inspiré
une résolution salutaire. Très vivement frappé à la vue des
esquisses et des copies, d’après les grands flamands, que Moya avait
rapportées, Murillo décida qu’il irait lui aussi étudier chez eux
ces maîtres qu’il admirait. Ayant réalisé un léger pécule par la
vente de quelques toiles, il partit pour Madrid, oû son grand
compatriote, Arelazquez, l’accueillit affectueusement, et lui facilita,
sans aller plus loin, les moyens tant désirés de perfectionner son
talent. A l’Alcazar, à FEscurial et au Buen Retiro, Murillo étudia
les maîtres à loisir et peignit, pendant deux ans, d’après les plus
beaux tableaux du Titien, de Rubens, de Van Dyck, de Ribera,
appartenant aux collections royales; il visita et consulta souvent
Velâzquez, qui lui fut un guide précieux et un sûr conseiller,
de même que son ancien condisciple Alonso Cano.
Revenu dans sa ville natale, Murillo y accomplit son premier
grand travail : la décoration du petit cloitre des Franciscains,
composée de onze toiles, aujourd’hui dispersées, mais qui se
retrouvent à l’Académie de San-Fernando, aux Musées du Louvre,
de Toulouse, de Dresde, et dans diverses collections particulières.
Dans ces premières productions, qui sont datées 1646, il est aisé
d’observer combien vivace est encore chez Murillo l’impression
des maîtres qu’il a admirés et étudiés. Il hésite, tâtonne et se
cherche encore, mêlant les teintes fraîches de Van Dyck aux
oppositions contrastées de Ribera, l’opulence des colorations véni-
tiennes aux gris fins et discrets de Arelazquez. Mais, à travers ces
réminiscences, on devine la présence latente d’un talent qui va
bientôt s’affirmer et dégager sa propre originalité. Dès 1655,
l’artiste est en pleine possession de tous ses moyens, ainsi que
l’attestent les deux superbes peintures qui sont dans la cathédrale
de Séville et qui représentent saint Isidore et saint Léandre.
Désormais, chaque nouvel ouvrage qu’il entreprendra marquera