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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Heureusement pour sa gloire d’artiste, Murillo ne s’est pas uni-
quement inspiré de ce mysticisme raffiné ; il a puisé à des sources
plus saines et plus fortifiantes, et le Musée du Prado nous montre
maintes créations de lui infiniment plus dignes de notre entière
admiration. Nous n’en voulons pour preuves que son Adoration des
Bergers et surtout que cette Sainte Famille à l’oiseau, d’une intimité
si naïve et si touchante. Qu’elle est simple et vraie cette scène
familiale où le père et la mère, deux braves gens, deux honnêtes
figures d’artisans, regardent en souriant jouer leur jeune enfant!
La chambre où ils habitent accuse leur pauvreté, et des outils de
charpentier, çà et là suspendus, et le rouet de la mère disent
leurs occupations journalières. Est-ce donc là une Sainte Famille?
Assurément, Murillo eût pu recourir à des formules plus nobles et
plus savantes, mais il s’en est bien gardé. Il a aperçu une scène toute
semblable dans quelque humble intérieur de Séville, et ce qu’il a vu,
il le traduit ici avec toute sa sincérité, avec toute sa bonne foi. Ces
interprétations réalistes des scènes de la Bible et de l’Evangile
sont, on le voit, de tous les temps, et sous ce rapport les peintres
modernistes n’ont point inventé. Mais combien, à une époque encore
pleine de foi, n’étaient-elles pas propres à parler aux cœurs des
fidèles et à toucher les âmes simples? D’ailleurs, Murillo lui-même
est un de ces simples. Ce qu'il exprime si éloquemment, il le croit
candidement, et ce qui fait précisément l’insigne et véritable valeur
de ses ouvrages, c’est qu’on perçoit tout de suite en lui l’accord
complet et si rare de la beauté parfaite du métier avec la sincérité,
la profondeur du sentiment. Et c’est de cet accord que naissent les
chefs-d’œuvre.
L'Éducation de la Vierge est aussi une peinture d’une intimité
charmante. Elle date de 1675 ou 1676. Murillo l’a exécutée de son
pinceau le plus caressant, mais sans virtuosité ni mollesse, et en
l’imprégnant de ce sentiment tendrement familier qu’il excelle à tra-
duire. La petite Marie tient un livre qu’elle appuie sur les genoux de
sainte Anne assise. L’enfant semble interroger, en désignant du doigt
un passage du livre ; la mère sourit et répond affectueusement. Sous
son riche vêtement composé d’une robe à plis traînants, d’un rosepâle,
d’un manteau bleu rejeté sur le bras gauche; avec ses cheveux longs,
retombant librement et coquettement agrémentés d’un nœud rouge,
Marie a, comme expression, toute la grâce à la fois songeuse et
mutine qu’on note sur le visage de la petite infante de Yelazquez,
dans le tableau des Meninas. La tradition veut que Murillo ait pris
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Heureusement pour sa gloire d’artiste, Murillo ne s’est pas uni-
quement inspiré de ce mysticisme raffiné ; il a puisé à des sources
plus saines et plus fortifiantes, et le Musée du Prado nous montre
maintes créations de lui infiniment plus dignes de notre entière
admiration. Nous n’en voulons pour preuves que son Adoration des
Bergers et surtout que cette Sainte Famille à l’oiseau, d’une intimité
si naïve et si touchante. Qu’elle est simple et vraie cette scène
familiale où le père et la mère, deux braves gens, deux honnêtes
figures d’artisans, regardent en souriant jouer leur jeune enfant!
La chambre où ils habitent accuse leur pauvreté, et des outils de
charpentier, çà et là suspendus, et le rouet de la mère disent
leurs occupations journalières. Est-ce donc là une Sainte Famille?
Assurément, Murillo eût pu recourir à des formules plus nobles et
plus savantes, mais il s’en est bien gardé. Il a aperçu une scène toute
semblable dans quelque humble intérieur de Séville, et ce qu’il a vu,
il le traduit ici avec toute sa sincérité, avec toute sa bonne foi. Ces
interprétations réalistes des scènes de la Bible et de l’Evangile
sont, on le voit, de tous les temps, et sous ce rapport les peintres
modernistes n’ont point inventé. Mais combien, à une époque encore
pleine de foi, n’étaient-elles pas propres à parler aux cœurs des
fidèles et à toucher les âmes simples? D’ailleurs, Murillo lui-même
est un de ces simples. Ce qu'il exprime si éloquemment, il le croit
candidement, et ce qui fait précisément l’insigne et véritable valeur
de ses ouvrages, c’est qu’on perçoit tout de suite en lui l’accord
complet et si rare de la beauté parfaite du métier avec la sincérité,
la profondeur du sentiment. Et c’est de cet accord que naissent les
chefs-d’œuvre.
L'Éducation de la Vierge est aussi une peinture d’une intimité
charmante. Elle date de 1675 ou 1676. Murillo l’a exécutée de son
pinceau le plus caressant, mais sans virtuosité ni mollesse, et en
l’imprégnant de ce sentiment tendrement familier qu’il excelle à tra-
duire. La petite Marie tient un livre qu’elle appuie sur les genoux de
sainte Anne assise. L’enfant semble interroger, en désignant du doigt
un passage du livre ; la mère sourit et répond affectueusement. Sous
son riche vêtement composé d’une robe à plis traînants, d’un rosepâle,
d’un manteau bleu rejeté sur le bras gauche; avec ses cheveux longs,
retombant librement et coquettement agrémentés d’un nœud rouge,
Marie a, comme expression, toute la grâce à la fois songeuse et
mutine qu’on note sur le visage de la petite infante de Yelazquez,
dans le tableau des Meninas. La tradition veut que Murillo ait pris