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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
toute autorité. La génération actuelle des peintres ne sera cependant
pas ingrate pour la mémoire de l’ami intègre qui vient de disparaître ;
il ne fut point un critique d’« avant-garde » ; mais il eut toujours la
vision nette du mouvement circulatoire qui fait la vie de l’art. Sans
ambition personnelle, laissé de côté par l’Académie compétente, il
garda sa liberté dépenser et la mit au service de toutes les tentatives
généreuses. Il a été sévère pour « les artistes qui diminuent l’art à
leur niveau et au niveau de la foule, qui ne comprend qu’à moitié
quand elle comprend. » — « Il y a trois sortes de peintures, disait-il
jadis, la bonne et la mauvaise, et une pire que la mauvaise, qui est
la médiocre, fort en honneur à l'Institut. » La scission des Salons
parisiens, loin de le scandaliser, l’intéressa; Lad jonction des œuvres
d’art à la trinité conventionnelle trouva en lui un éloquent défen-
seur, et les essais des jeunes écoles ne l’effrayèrent jamais. « Les
questions d’éclairage, écrit-il en 1890, paraissent intéresser beau-
coup les peintres de l’école moderne. Vibration du rayon de soleil,
mobilité du reflet, pénétration de l’obscur par le clair, transparence
des ombres, tout est étudié, tout est glorifié, et un bénéfice réel
sortira sans doute de ces utiles recherches. » Il avait déjà remarqué
qu’ « avant l’impressionnisme, la peinture du xvme siècle a été
une réaction contre le bitume, réaction amenée par les milieux
clairs dans lesquels vivait cette société ». Dans ces lignes et dans
bien d’autres, quej’hésite à citer, tant elles ont une application immé-
diate, ne retrouve-t-on pas, identique, le jeune écrivain qui n’avait
pas hésité jadis entre l’art officiel d’un Delaroche et d’un Horace
Vernet et l’art primesautier d’un Courbet et d’un Millet, qui avait
ressenti jusqu’au fond du cœur les injustes blessures infligées à
Delacroix, à Th. Rousseau, à J. Dupré, à tout ce groupe de 1830 « qui
rêvait d’introduire dans la peinture les émotions de l'àmé humaine
agrandie et modifiée par les révolutions de l'esprit».
La Gazette des Beaux-Arts, à laquelle Mantz apporta si souvent de
sereines études sur un siècle et demi de l’art universel, est émue du
vide que la mort ouvre dans le rang de ses plus anciens et chers
promoteurs. Les vétérans du libéralisme emportent avec eux beau-
coup de secrets ; parmi ces secrets, celui de la courtoisie et celui du
désintéressement se retrouvent chez leurs successeurs ; mais la grâce
dans l’autorité, la science féconde et l’expérience aimable, le tact et
la mesure philosophique, qui donc est de nos jours héritier de ces
graves vertus ?
ARY RENAN.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
toute autorité. La génération actuelle des peintres ne sera cependant
pas ingrate pour la mémoire de l’ami intègre qui vient de disparaître ;
il ne fut point un critique d’« avant-garde » ; mais il eut toujours la
vision nette du mouvement circulatoire qui fait la vie de l’art. Sans
ambition personnelle, laissé de côté par l’Académie compétente, il
garda sa liberté dépenser et la mit au service de toutes les tentatives
généreuses. Il a été sévère pour « les artistes qui diminuent l’art à
leur niveau et au niveau de la foule, qui ne comprend qu’à moitié
quand elle comprend. » — « Il y a trois sortes de peintures, disait-il
jadis, la bonne et la mauvaise, et une pire que la mauvaise, qui est
la médiocre, fort en honneur à l'Institut. » La scission des Salons
parisiens, loin de le scandaliser, l’intéressa; Lad jonction des œuvres
d’art à la trinité conventionnelle trouva en lui un éloquent défen-
seur, et les essais des jeunes écoles ne l’effrayèrent jamais. « Les
questions d’éclairage, écrit-il en 1890, paraissent intéresser beau-
coup les peintres de l’école moderne. Vibration du rayon de soleil,
mobilité du reflet, pénétration de l’obscur par le clair, transparence
des ombres, tout est étudié, tout est glorifié, et un bénéfice réel
sortira sans doute de ces utiles recherches. » Il avait déjà remarqué
qu’ « avant l’impressionnisme, la peinture du xvme siècle a été
une réaction contre le bitume, réaction amenée par les milieux
clairs dans lesquels vivait cette société ». Dans ces lignes et dans
bien d’autres, quej’hésite à citer, tant elles ont une application immé-
diate, ne retrouve-t-on pas, identique, le jeune écrivain qui n’avait
pas hésité jadis entre l’art officiel d’un Delaroche et d’un Horace
Vernet et l’art primesautier d’un Courbet et d’un Millet, qui avait
ressenti jusqu’au fond du cœur les injustes blessures infligées à
Delacroix, à Th. Rousseau, à J. Dupré, à tout ce groupe de 1830 « qui
rêvait d’introduire dans la peinture les émotions de l'àmé humaine
agrandie et modifiée par les révolutions de l'esprit».
La Gazette des Beaux-Arts, à laquelle Mantz apporta si souvent de
sereines études sur un siècle et demi de l’art universel, est émue du
vide que la mort ouvre dans le rang de ses plus anciens et chers
promoteurs. Les vétérans du libéralisme emportent avec eux beau-
coup de secrets ; parmi ces secrets, celui de la courtoisie et celui du
désintéressement se retrouvent chez leurs successeurs ; mais la grâce
dans l’autorité, la science féconde et l’expérience aimable, le tact et
la mesure philosophique, qui donc est de nos jours héritier de ces
graves vertus ?
ARY RENAN.